LA DISSONANCE
J'ai décidé de reprendre de textes de René Guénon, car déjà a son époque, il avait venu voir la catastrophe qu'est notre présent. Ce monsieur je l'ai découvert sur internet, en lisant comme d habitude, des informations dites « alternatives ». Comme quoi, être alternatif, profite a notre culture et intellect. Depuis que je me suis mis a visiter ces endroits de connaissance (vers l'année 2007) je me suis rendu compte que la belle phrase de Borges : « Le doute est un autre nom de l intelligence » étais vrais. Depuis ma connaissance s est élargie et le doute s'est transformé en outil de travail. Un autre argument qui m a motivé de m associer a M. Guenon, c'est la pauvreté intellectuelle et autres des hommes qui apparaissent a la télé et que nous avons le malheur qui nous « gouvernent ». leurs langages ne correspondent plus a cette belle langue qu est la langue française. Cela doit être a cause des sujets, dont la nécessité, ne correspond plus aux exigences du vrais terrain. Le sociale, la justice, le partage. L axe actuel, c est de jeter du sable dans les yeux de tout le monde pour que la réalité ne soit point interrogée. La réalité est cachée derrière les contingences de leurs maîtres. Depuis quelque temps, nous savon que la sélection des gens pour les places au gouvernement est fait à l'étranger. Suivez mon regard, il se fixe sur du rouge, bleu et blanc. On va dire que cela ressemble a ce qui se passe en Amérique latine depuis des lustres. Comme quoi la mondialisation a été d'abord politico-stratégique.
René Guénon Orient et Occident - 1924
CHAPITRE IV
CONSTITUTION ET RÔLE DE L'ÉLITE
Nous avons déjà parlé à diverses reprises, dans ce qui précède, de ce que nous appelons l'élite intellectuelle ; on aura probablement compris sans peine que ce que nous entendons par là n'a rien de commun avec ce qui, dans l'Occident actuel, est parfois désigné sous le même nom. Les savants et les philosophes les plus éminents dans leurs spécialités peuvent n'être aucunement qualifiés pour faire partie de cette élite ; il y a même beaucoup de chances pour qu'ils ne le soient pas, en raison des habitudes mentales qu'ils ont acquises, des multiples préjugés qui en sont inséparables, et surtout de cette « myopie intellectuelle » qui en est la plus ordinaire conséquence ; il peut toujours y avoir d'honorables exceptions, assurément, mais il n'y faudrait pas trop compter. D'une façon générale, il y a plus de ressources avec un ignorant qu'avec celui qui s'est spécialisé dans un ordre d'études essentiellement limité, et qui a subi la déformation inhérente à une certaine éducation ; l'ignorant peut avoir en lui des possibilités de compréhension auxquelles il n'a manqué qu'une occasion pour se développer, et ce cas peut être d'autant plus fréquent que la manière dont est distribué l'enseignement occidental est plus défectueuse.
Les aptitudes que nous avons en vue quand nous parlons de l'élite, étant de l'ordre de l'intellectualité pure, ne peuvent être déterminées par aucun critérium extérieur, et ce sont là des choses qui n'ont rien à voir avec l'instruction « profane » ; il y a dans certains pays d'Orient des gens qui, ne sachant ni lire ni écrire, n'en parviennent pas moins à un degré fort élevé dans l'élite intellectuelle. Il ne faut d'ailleurs rien exagérer, pas plus dans un sens que dans l'autre : de ce que deux choses sont indépendantes, il ne s'ensuit pas qu'elles soient incompatibles ; et si, dans les conditions du monde occidental surtout, l'instruction « profane » ou extérieure peut fournir des moyens d'action supplémentaires, on aurait certainement tort de la dédaigner outre mesure.
Seulement, il est certaines études qu'on ne peut faire impunément que quand, ayant déjà acquis cette invariable direction intérieure à laquelle nous avons fait allusion, on est définitivement immunisé contre toute déformation mentale ; quand on est arrivé à ce point, il n'y a plus aucun danger à redouter, car on sait toujours où l'on va : on peut aborder n'importe quel domaine sans risquer de s'y égarer, ni même de s'y arrêter plus qu'il ne convient, car on en connaît d'avance l'importance exacte ; on ne peut plus être séduit par l'erreur, sous quelque forme qu'elle se présente, ni la confondre avec la vérité, ni mêler le contingent à l'absolu ; si nous voulions employer ici un langage symbolique, nous pourrions dire qu'on possède à la fois une boussole infaillible et une cuirasse impénétrable. Mais, avant d'en arriver là, il faut souvent de longs efforts (nous ne disons pas toujours, le temps n'étant pas à cet égard un facteur 86 essentiel), et c'est alors que les plus grandes précautions sont nécessaires pour éviter toute confusion, dans les conditions actuelles tout au moins, car il est évident que les mêmes dangers ne sauraient exister dans une civilisation traditionnelle, où ceux qui sont vraiment doués intellectuellement trouvent d'ailleurs toutes facilités pour développer leurs aptitudes ; en Occident, au contraire, ils ne peuvent rencontrer présentement que des obstacles, souvent insurmontables, et ce n'est que grâce à des circonstances assez exceptionnelles que l'on peut sortir des cadres imposés par les conventions tant mentales que sociales.
Voilà l époque ou un homme politique ressemblait a quelque chose. J'étais étudiant d'école d'art en France. (Je suis apolitique)
A notre époque, l'élite intellectuelle, telle que nous l'entendons, est donc véritablement inexistante en Occident ; les cas d'exception sont trop rares et trop isolés pour qu'on les regarde comme constituant quelque chose qui puisse porter ce nom, et encore sont-ils en réalité, pour la plupart, tout à fait étrangers au monde occidental, car il s'agit d'individualités qui, devant tout à l'Orient sous le rapport intellectuel, se trouvent à peu près, à cet égard, dans la même situation que les Orientaux vivant en Europe, et qui ne savent que trop quel abîme les sépare mentalement des hommes qui les entourent. Dans ces conditions, on est assurément tenté de se renfermer en soi-même, plutôt que de risquer, en cherchant à exprimer certaines idées, de se heurter à l'indifférence générale ou même de provoquer des réactions hostiles ; pourtant, si l'on est persuadé de la nécessité de certains changements, il faut bien commencer à faire quelque chose en ce sens, et tout au moins donner, à ceux qui en sont capables (car il doit y en avoir malgré tout), l'occasion de développer leurs facultés latentes. La première difficulté est d'atteindre ceux qui sont ainsi qualifiés, et qui peuvent ne soupçonner aucunement leurs propres possibilités ; une seconde difficulté serait ensuite d'opérer une sélection et d'écarter ceux qui pourraient se croire qualifiés sans l'être effectivement, mais nous devons dire que, très probablement, cette élimination se ferait presque d'elle-même.
Toutes ces questions n'ont pas à se poser là où il existe un enseignement traditionnel organisé, que chacun peut recevoir selon la mesure de sa propre capacité, et jusqu'au degré précis qu'il est susceptible d'obtenir ; il y a, en effet, des moyens de déterminer exactement la zone dans laquelle peuvent s'étendre les possibilités intellectuelles d'une individualité donnée ; mais c'est là un sujet qui est surtout d'ordre « pratique », si l'on peut employer ce mot en pareil cas, ou « technique », si l'on préfère, et qu'il n'y aurait aucun intérêt à traiter dans l'état actuel du monde occidental. Du reste, nous ne voulons en ce moment que faire pressentir, assez lointainement, quelques unes des difficultés qu'il y aurait à surmonter pour arriver à un commencement d'organisation, à une constitution même embryonnaire de l'élite ; il serait par trop prématuré d'essayer dès maintenant de définir les moyens de cette constitution, moyens qui, s'il y a lieu de les envisager un jour, dépendront forcément des circonstances dans une large mesure, comme tout ce qui est proprement une affaire d'adaptation.
La seule chose qui soit réalisable jusqu'à nouvel ordre, c'est de donner en quelque sorte la conscience d'eux-mêmes aux éléments possibles de la future élite, et cela ne peut se faire qu'en exposant certaines conceptions qui, lorsqu'elles atteindront ceux qui sont capables de comprendre, leur montreront l'existence de ce qu'ils ignoraient, et leur feront en même temps entrevoir la possibilité d'aller plus loin. Tout ce qui se rapporte à l'ordre métaphysique est, en soi, susceptible d'ouvrir, à 87 qui le conçoit vraiment, des horizons illimités ; ce n'est pas là une hyperbole ni une façon de parler, mais il faut l'entendre tout à fait littéralement, comme une conséquence immédiate de l'universalité même des principes. Ceux à qui l'on parle simplement d'études métaphysiques, et de choses qui se tiennent exclusivement dans le domaine de la pure intellectualité, ne peuvent guère se douter, au premier abord, de tout ce que cela implique ; qu'on ne s'y trompe pas : il s'agit là des choses les plus formidables qui soient, et auprès desquelles tout le reste n'est qu'un jeu d'enfants.
J'ai été séduit par Jean Luc Mélenchon depuis 2014 lorsque je l'ai écouté parler sur la sécurité de la France. A cette époque il parlait des enjeux stratégiques. Il est un monsieur avec de la profondeur dans les concepts et idées. Sa sensibilité sociale et humaine fait peur aux autres « hommes politiques ». Il n'a pas eu peur de parler des hommes qu'il admire et que sont de la saleté pour ses adversaires. Hugo Chávez, Rafael Correa, Evo Morales, Mujica. Ces hommes sont répudiés par la nouvelle inquisition dont je parle dans un des mes articles. Vous êtes un exemple monsieur ! Des hommes comme vous, qui ont le courage d'évoluer dans la cage aux hyènes, le monde en a besoin.
C'est pourquoi, d'ailleurs, ceux qui veulent aborder ce domaine sans posséder les qualifications requises pour parvenir au moins aux premiers degrés de la compréhension vraie, se retirent spontanément dès qu'ils se trouvent mis en demeure d'entreprendre un travail sérieux et effectif ; les véritables mystères se défendent d'eux-mêmes contre toute curiosité profane, leur nature même les garantit contre toute atteinte de la sottise humaine, non moins que des puissances d'illusion que l'on peut qualifier de « diaboliques » (libre à chacun de mettre sous ce mot tous les sens qu'il lui plaira, au propre ou au figuré). Aussi serait-il parfaitement puéril de recourir ici à des interdictions qui, en un tel ordre de choses, ne sauraient avoir la moindre raison d'être ; de pareilles interdictions sont peut-être légitimes en d'autres cas, que nous n'avons pas l'intention de discuter, mais elles ne peuvent concerner la pure intellectualité ; et, sur les points qui, dépassant la simple théorie, exigent une certaine réserve, il n'est point besoin de faire prendre, à ceux qui savent à quoi s'en tenir, des engagements quelconques pour les obliger à garder toujours la prudence et la discrétion nécessaires ; tout cela est bien au delà de la portée des formules extérieures, quelles qu'elles puissent être, et n'a aucun rapport avec ces « secrets » plus ou moins bizarres qu'invoquent surtout ceux qui n'ont rien à dire.
Puisque nous avons été amené à parler d'organisation de l'élite, nous devons signaler, à ce propos, une méprise que nous avons eu assez souvent l'occasion de constater : bien des gens, en entendant prononcer ce mot d'« organisation », s'imaginent aussitôt qu'il s'agit de quelque chose de comparable à la formation d'un groupement on d'une association quelconque. C'est là une erreur complète, et ceux qui se font de telles idées prouvent par là qu'ils ne comprennent ni le sens ni la portée de la question ; ce que nous venons de dire en dernier lieu doit déjà en faire apercevoir les raisons. Pas plus que la métaphysique vraie ne peut s'enfermer dans les formules d'un système ou d'une théorie particulière, l'élite intellectuelle ne saurait s'accommoder des formes d'une « société » constituée avec des statuts, des règlements, des réunions, et toutes les autres manifestations extérieures que ce mot implique nécessairement ; il s'agit de bien autre chose que de semblables contingences. Qu'on ne dise pas que, pour commencer, pour former en quelque sorte un premier noyau, il pourrait y avoir lieu d'envisager une organisation de ce genre ; ce serait là un fort mauvais point de départ, et qui ne pourrait guère conduire qu'à un échec. En effet, non seulement cette forme de « société » est inutile en pareil cas, mais elle serait extrêmement dangereuse, en raison des déviations qui ne manqueraient pas de se produire : si rigoureuse que soit la sélection, il serait bien difficile d'empêcher, surtout au début et dans un milieu si peu préparé, qu'il ne s'y introduise quelques unités dont l'incompréhension suffirait pour tout compromettre ; et il est à prévoir que de tels groupements risqueraient fort de se laisser séduire par la 88 perspective d'une action sociale immédiate, peut-être même politique au sens le plus étroit de ce mot, ce qui serait bien la plus fâcheuse de toutes les éventualités, et la plus contraire au but proposé.
On n'a que trop d'exemples de semblables déviations : combien d'associations, qui auraient pu remplir un rôle très élevé (sinon purement intellectuel, du moins confinant à l'intellectualité) si elles avaient suivi la ligne qui leur avait été tracée à l'origine, n'ont guère tardé à dégénérer ainsi, jusqu'à agir à l'opposé de la direction première dont elles continuent pourtant à porter les marques, fort visibles encore pour qui sait les comprendre ! C'est ainsi que s'est perdu totalement, depuis le XVIe siècle, ce qui aurait pu être sauvé de l'héritage laissé par le moyen âge ; et nous ne parlons pas de tous les inconvénients accessoires : ambitions mesquines, rivalités personnelles et autres causes de dissensions qui surgissent fatalement dans les groupements ainsi constitués, surtout si l'on tient compte, comme il le faut bien, de l'individualisme occidental. Tout cela montre assez clairement ce qu'il ne faut pas faire ; on voit peut-être moins bien ce qu'il faudrait faire, et cela est naturel, puisque, au point où nous en sommes, nul ne saurais dire au juste comment l'élite sera constituée, en admettant qu'elle le soit jamais ; il s'agit là probablement d'un avenir lointain, et l'on ne doit pas se faire d'illusions à cet égard.
Quoi qu'il en soit, nous dirons que, en Orient, les organisations les plus puissantes, celles qui travaillent vraiment dans l'ordre profond, ne sont aucunement des « sociétés » au sens européen de ce mot ; il se forme parfois, sous leur influence, des sociétés plus ou moins extérieures, en vue d'un but précis et défini, mais ces sociétés, toujours temporaires, disparaissent dès qu'elles ont rempli la fonction qui leur était désignée. La société extérieure n'est donc ici qu'une manifestation accidentelle de l'organisation intérieure préexistante, et celle-ci, dans tout ce qu'elle a d'essentiel, est toujours absolument indépendante de celle-là ; l'élite n'a pas à se mêler à des luttes qui, quelle qu'en soit l'importance, sont forcément étrangères à son domaine propre ; son rôle social ne peut être qu'indirect, mais il n'en est que plus efficace, car, pour diriger vraiment ce qui se meut, il ne faut pas être entraîné soi-même dans le mouvement1 .
C'est donc là exactement l'inverse du plan que suivraient ceux qui voudraient former d'abord des sociétés extérieures ; celles-ci ne doivent être que l'effet, non la cause ; elles ne pourraient avoir d'utilité et de vraie raison d'être que si l'élite existait déjà au préalable (conformément à l'adage scolastique : « pour agir, il faut être ») et si elle était assez fortement organisée pour empêcher sûrement toute déviation. C'est en Orient seulement qu'on peut trouver actuellement les exemples dont il conviendrait de s'inspirer ; nous avons bien des raisons de penser que l'Occident a eu aussi, au moyen âge, quelques organisations du même type, mais il est au moins douteux qu'il en ait subsisté des traces suffisantes pour qu'on puisse arriver à s'en faire une idée exacte autrement que par analogie avec ce qui existe en Orient, analogie basée d'ailleurs, non sur des suppositions gratuites, mais sur des signes qui ne trompent pas quand on connaît déjà certaines choses; encore faut-il, pour les connaître, s'adresser là où il est possible de les trouver présentement, car il s'agit, non de curiosités archéologiques, mais d'une connaissance qui, pour être profitable, ne peut être que directe.
Cette idée d'organisations qui ne revêtent point la forme de « sociétés », qui n'ont aucun des éléments extérieurs par lesquels celles-ci se caractérisent, et qui n'en sont que plus effectivement constituées, parce qu'elles sont fondées réellement sur ce qu'il y a d'immuable et n'admettent en soi aucun mélange de transitoire, cette idée, disons-nous, est tout à fait étrangère à la mentalité moderne, et nous avons pu nous rendre compte en diverses occasions des difficultés qu'on rencontre à la faire comprendre ; peut-être trouverons-nous le moyen d'y revenir quelque jour, car des explications trop étendues sur ce sujet ne rentreraient pas dans le cadre de la présente étude, où nous n'y faisons allusion qu'incidemment et pour couper court à un malentendu. Cependant, nous n'entendons fermer la porte à aucune possibilité, sur ce terrain pas plus que sur aucun autre, ni décourager aucune initiative, pour peu qu'elle puisse produire des résultats valables et qu'elle n'aboutisse pas à un simple gaspillage de forces ; nous ne voulons que mettre en garde contre des opinions fausses et des conclusions trop hâtives.
Il va de soi que, si quelques personnes, au lieu de travailler isolément, préféraient se réunir pour constituer des sortes de « groupes d'études », ce n'est pas là que nous verrions un danger ni même un inconvénient, mais à la condition qu'elles soient bien persuadées qu'elles n'ont nul besoin de recourir à ce formalisme extérieur auquel la plupart de nos contemporains attribuent tant d'importance, précisément parce que les choses extérieures sont tout pour eux. Du reste, même pour former simplement des « groupes d'études », si l'on voulait y faire un travail sérieux et le poursuivre assez loin, bien des précautions seraient nécessaires, car tout ce qui s'accomplit dans ce domaine met en jeu des puissances insoupçonnées du vulgaire, et, si l'on manque de prudence, on s'expose à d'étranges réactions, du moins tant qu'un certain degré n'a pas été atteint. D'autre part, les questions de méthode, ici, dépendent étroitement des principes mêmes ; c'est dire qu'elles ont une importance bien plus considérable qu'en tout autre domaine, et des conséquences autrement graves que sur le terrain scientifique, où elles sont pourtant déjà loin d'être négligeables.
Ce n'est pas le lieu de développer toutes ces considérations ; nous n'exagérons rien, mais, comme nous l'avons dit au début, nous ne voulons pas non plus dissimuler les difficultés ; l'adaptation à telles ou telles conditions définies est toujours extrêmement délicate, et il faut posséder des données théoriques inébranlables et fort étendues avant de songer à tenter la moindre réalisation. L'acquisition même de ces données n'est pas une tâche si aisée pour des Occidentaux ; en tout cas, et nous n'y insisterons jamais trop, elle est ce par quoi il faut nécessairement débuter, elle constitue l'unique préparation indispensable, sans laquelle rien ne peut être fait, et dont dépendent essentiellement toutes les réalisations ultérieures, dans quelque ordre que ce soit. Il est encore un autre point sur lequel nous devons nous expliquer : nous avons dit ailleurs que l'appui des Orientaux ne ferait pas défaut à l'élite intellectuelle dans l'accomplissement de sa tâche, parce que, naturellement, ils seront toujours favorables à un rapprochement qui sera ce qu'il doit être normalement ; mais cela suppose une élite occidentale déjà constituée, et, pour sa constitution même, il faut 90 que l'initiative parte de l'Occident.
Dans les conditions actuelles, les représentants autorisés des traditions orientales ne peuvent pas s'intéresser intellectuellement à l'Occident ; du moins, ils ne peuvent s'intéresser qu'aux rares individualités qui viennent à eux, directement ou indirectement, et qui ne sont que des cas trop exceptionnels pour permettre d'envisager une action généralisée. Nous pouvons affirmer ceci : jamais aucune organisation orientale n'établira de « branches » en Occident ; jamais même, tant que les conditions ne seront pas entièrement changées, elle ne pourra entretenir de relations avec aucune organisation occidentale, quelle qu'elle soit, car elle ne pourrait le faire qu'avec l'élite constituée conformément aux vrais principes. Donc, jusque là, on ne peut demander aux Orientaux rien de plus que des inspirations, ce qui est déjà beaucoup, et ces inspirations ne peuvent être transmises que par des influences individuelles servant d'intermédiaires, non par une action directe d'organisations qui, à moins de bouleversements imprévus, n'engageront jamais leur responsabilité dans les affaires du monde occidental, et cela se comprend, car ces affaires, après tout, ne les concernent pas ; les Occidentaux sont seuls à se mêler trop volontiers de ce qui se passe chez les autres.
Si personne en Occident ne fait preuve à la fois de la volonté et de la capacité de comprendre tout ce qui est nécessaire pour se rapprocher vraiment de l'Orient, celui-ci se gardera bien d'intervenir, sachant d'ailleurs que ce serait inutile, et, quand bien même l'Occident devrait se précipiter à un cataclysme, il ne pourrait faire autrement que de le laisser abandonné à lui-même ; en effet, comment agir sur l'Occident, à supposer qu'on le veuille, si l'on n'y trouve pas le moindre point d'appui ? De toute façon, nous le redisons encore, c'est aux Occidentaux qu'il appartient de faire les premiers pas ; naturellement, ce n'est pas de la masse occidentale qu'il peut être question, ni même d'un nombre considérable d'individus, ce qui serait peut-être plus nuisible qu'utile à certains égards ; pour commencer, il suffit de quelques-uns, à la condition qu'ils soient capables de comprendre vraiment et profondément tout ce dont il s'agit. Il y a encore autre chose : ceux qui se sont assimilé directement l'intellectualité orientale ne peuvent prétendre qu'à jouer ce rôle d'intermédiaires dont nous parlions tout à l'heure ; ils sont, du fait de cette assimilation, trop près de l'Orient pour faire plus ; ils peuvent suggérer des idées, exposer des conceptions, indiquer ce qu'il conviendrait de faire, mais non prendre par eux-mêmes l'initiative d'une organisation qui, venant d'eux, ne serait pas vraiment occidentale. S'il y avait encore, en Occident, des individualités, même isolées, ayant conservé intact le dépôt de la tradition purement intellectuelle qui a dû exister au moyen âge, tout serait grandement simplifié ; mais c'est à ces individualités d'affirmer leur existence et de produire leurs titres, et, tant qu'elles ne l'auront pas fait, il ne nous appartient pas de résoudre la question.
A défaut de cette éventualité, malheureusement assez improbable, c'est seulement ce que nous pourrions appeler une assimilation au second degré des doctrines orientales qui pourrait susciter les premiers éléments de l'élite future ; nous voulons dire que l'initiative devrait venir d'individualités qui se seraient développées par la compréhension de ces doctrines, mais sans avoir de liens trop directs avec l'Orient, et en gardant au contraire le contact avec tout ce qui peut encore subsister de valable dans la civilisation occidentale, et spécialement avec les vestiges d'esprit traditionnel qui ont pu s'y maintenir, en dépit de la mentalité moderne, principalement sous la forme religieuse. Ce n'est pas à dire que ce contact doive être nécessairement rompu 91 pour ceux dont l'intellectualité est devenue tout orientale, et d'autant moins que, en somme, ils sont essentiellement des représentants de l'esprit traditionnel ; mais leur situation est trop particulière pour qu'ils ne soient pas astreints à une très grande réserve, surtout tant qu'on ne fera pas expressément appel à leur collaboration ; ils doivent se tenir dans l'expectative, comme les Orientaux de naissance, et tout ce qu'ils peuvent faire de plus que ces derniers, c'est de présenter les doctrines sous une forme mieux appropriée à l'Occident, et de faire ressortir les possibilités de rapprochement qui s'attachent à leur compréhension ; encore une fois, ils doivent se contenter d'être les intermédiaires dont la présence prouve que tout espoir d'entente n'est pas irrémédiablement perdu. Qu'on veuille bien ne pas prendre ces réflexions pour autre chose que ce qu'elles sont, ni en tirer des conséquences qui risqueraient d'être fort étrangères à notre pensée ; si trop de points restent imprécis, c'est qu'il ne nous est pas possible de faire autrement, et que les circonstances seules permettront par la suite de les élucider peu à peu. Dans tout ce qui n'est pas purement et strictement doctrinal, les contingences interviennent forcément, et c'est d'elles que peuvent être tirés les moyens secondaires de toute réalisation qui suppose une adaptation préalable ; nous disons les moyens secondaires, car le seul essentiel, il ne faut pas l'oublier, réside dans l'ordre de la connaissance pure (en tant que connaissance simplement théorique, préparation de la connaissance pleinement effective, car celle-ci est non un moyen, mais une fin en soi, par rapport à laquelle toute application n'a que le caractère d'un « accident » qui ne saurait ni l'affecter ni la déterminer).
Si nous avons, dans des questions comme celles-là, le souci de n'en dire ni trop ni trop peu, c'est que, d'une part, nous tenons à nous faire comprendre aussi clairement que possible, et que cependant, d'autre part, nous devons toujours réserver les possibilités, actuellement imprévues, que les circonstances peuvent faire apparaître ultérieurement ; les éléments qui sont susceptibles d'entrer en jeu sont d'une prodigieuse complexité, et, dans un milieu aussi instable que le monde occidental, on ne saurait faire trop large la part de cet imprévu, que nous ne disons pas absolument imprévisible, mais sur lequel nous ne nous reconnaissons pas le droit d'anticiper. C'est pourquoi les précisions qu'on peut donner sont surtout négatives, en ce sens qu'elles répondent à des objections, soit effectivement formulées, soit seulement envisagées comme possibles, ou qu'elles écartent des erreurs, des malentendus, des formes diverses de l'incompréhension, à mesure qu'on a l'occasion de les constater ; mais, en procédant ainsi par élimination, on arrive à une position plus nette de la question, ce qui, somme toute, est déjà un résultat appréciable et, quelles que soient les apparences, véritablement positif. Nous savons bien que l'impatience occidentale s'accommode difficilement de semblables méthodes, et qu'elle serait plutôt disposée à sacrifier la sûreté au profit de la promptitude ; mais nous n'avons pas à tenir compte de ces exigences, qui ne permettent à rien de stable de s'édifier, et qui sont tout à fait contraires au but que nous envisageons. Ceux qui ne sont pas même capables de réfréner leur impatience le seraient encore bien moins de mener à bien le moindre travail d'ordre métaphysique ; qu'ils essaient simplement, à titre d'exercice préliminaire ne les engageant à rien, de concentrer leur attention sur une idée unique, 92 d'ailleurs quelconque, pendant une demi-minute (il ne semble pas que ce soit trop exiger), et ils verront si nous avons tort de mettre en doute leurs aptitudes2 .
Nous n'ajouterons donc rien de plus sur les moyens par lesquels une élite intellectuelle pourra parvenir à se constituer en Occident ; même en admettant les circonstances les plus favorables, cette constitution est loin d'apparaître comme immédiatement possible, ce qui ne veut pas dire qu'il ne faille pas songer à la préparer dès maintenant. Quant au rôle qui sera dévolu à cette élite, il se dégage assez nettement de tout ce qui a été dit jusqu'ici : c'est essentiellement le retour de l'Occident à une civilisation traditionnelle, dans ses principes et dans tout l'ensemble de ses institutions. Ce retour devra s'effectuer par ordre, en allant des principes aux conséquences, et en descendant par degrés jusqu'aux applications les plus contingentes ; et il ne pourra se faire qu'en utilisant à la fois les données orientales et ce qui reste d'éléments traditionnels en Occident même, les unes complétant les autres et s'y superposant sans les modifier en eux-mêmes, mais en leur donnant, avec le sens le plus profond dont ils soient susceptibles, toute la plénitude de leur propre raison d'être. Il faut, nous l'avons dit, s'en tenir tout d'abord au point de vue purement intellectuel, et, par une répercussion toute naturelle, les conséquences s'étendront ensuite de proche en proche, et plus ou moins rapidement, à tous les autres domaines, y compris celui des applications sociales ; si quelque travail valable a déjà été accompli par ailleurs dans ces autres domaines, il n'y aura évidemment qu'à s'en féliciter, mais ce n'est pas à cela qu'il convient de s'attacher en premier lieu, car ce serait donner à l'accessoire le pas sur l'essentiel.
Tant qu'on n'en sera pas arrivé au moment voulu, les considérations qui se rapportent aux points de vue secondaires ne devront guère intervenir qu'à titre d'exemples, ou plutôt d'« illustrations » ; elles peuvent en effet si elles sont présentées à propos et sous une forme appropriée, avoir l'avantage de faciliter la compréhension des vérités plus essentielles en fournissant une sorte de point d'appui, et aussi d'éveiller l'attention de gens qui, par une appréciation erronée de leurs propres facultés, se croiraient incapables d'atteindre à la pure intellectualité, sans d'ailleurs savoir ce qu'elle est ; qu'on se souvienne de ce que nous avons dit plus haut sur ces moyens inattendus qui peuvent déterminer occasionnellement un développement intellectuel à ses débuts. Il est nécessaire de marquer d'une façon absolue la distinction de l'essentiel et de l'accidentel ; mais, cette distinction étant établie, nous ne voulons assigner aucune délimitation restrictive au rôle de l'élite, dans laquelle chacun pourra toujours trouver à employer ses facultés spéciales comme par surcroît et sans que ce soit aucunement au détriment de l'essentiel. En somme, l'élite travaillera d'abord pour elle-même, puisque, naturellement, ses membres recueilleront de leur propre développement un bénéfice immédiat et qui ne saurait faire défaut, bénéfice constituant d'ailleurs une acquisition permanente et inaliénable ; mais, en même temps et par là même, quoique moins immédiatement, elle travaillera aussi nécessairement pour l'Occident en général, car il est impossible qu'une élaboration comme celle dont il s'agit s'effectue dans un milieu quelconque sans y produire tôt ou tard des modifications considérables.
De plus, les courants mentaux sont soumis à des lois parfaitement définies, et la connaissance de ces lois permet une action bien autrement efficace que l'usage de moyens tout empiriques ; mais ici, pour en venir à l'application et la réaliser dans toute son ampleur, il faut pouvoir s'appuyer sur une organisation fortement constituée, ce qui ne veut pas dire que des résultats partiels, déjà appréciables, ne puissent être obtenus avant qu'on en soit arrivé à ce point. Si défectueux et si incomplets que soient les moyens dont on dispose, il faut pourtant commencer par les mettre en œuvre tels quels, sans quoi l'on ne parviendra jamais à en acquérir de plus parfaits ; et nous ajouterons que la moindre chose accomplie en conformité harmonique avec l'ordre des principes porte virtuellement en soi des possibilités dont l'expansion est capable de déterminer les plus prodigieuses conséquences, et cela dans tous les domaines, à mesure que ses répercussions s'y étendent selon leur répartition hiérarchique et par voie de progression indéfinie3 .
Naturellement, en parlant du rôle de l'élite, nous supposons que rien ne viendra interrompre brusquement son action, c'est-à-dire que nous nous plaçons dans l'hypothèse la plus favorable ; il se pourrait aussi, car il y a des discontinuités dans les événements historiques, que la civilisation occidentale vint à sombrer dans quelque cataclysme avant que cette action fût accomplie. Si pareille chose se produisait avant même que l'élite n'ait été pleinement constituée, les résultats du travail antérieur se borneraient évidemment aux bénéfices intellectuels qu'en auraient recueillis ceux qui y auraient pris part, mais ces bénéfices sont, par eux-mêmes, quelque chose d'inappréciable, et ainsi, ne dût-il y avoir rien d'autre, il vaudrait encore la peine d'entreprendre ce travail ; les fruits en demeureraient alors réservés à quelques-uns, mais ceux-là auraient, pour leur propre compte, obtenu l'essentiel. Si l'élite, tout en étant déjà constituée, n'avait pas le temps d'exercer une action suffisamment généralisée pour modifier profondément la mentalité occidentale dans son ensemble, il y aurait quelque chose de plus : cette élite serait véritablement, pendant la période de trouble et de bouleversement, l'« arche » symbolique flottant sur les eaux du déluge, et, par la suite, elle pourrait servir de point d'appui à une action par laquelle l'Occident, tout en perdant probablement son existence autonome, recevrait cependant, des autres civilisations subsistantes, les principes d'un nouveau développement, cette fois régulier et normal.
Mais, dans ce second cas, il y aurait encore, au moins transitoirement, de fâcheuses éventualités à envisager : les révolutions ethniques auxquelles nous avons déjà fait allusion seraient assurément fort graves ; de plus, il serait bien préférable pour l'Occident, au lieu d'être absorbé purement et simplement, de pouvoir se transformer de façon à acquérir une civilisation comparable à celles de l'Orient, mais adaptée à ses conditions propres, et le dispensant, quant à sa masse, de s'assimiler plus ou moins péniblement des formes traditionnelles qui n'ont pas été faites pour lui. Cette transformation, s'opérant sans heurt et comme spontanément, pour restituer à l'Occident une civilisation traditionnelle appropriée, c'est ce que nous venons d'appeler l'hypothèse la plus favorable ; telle serait l'œuvre de l'élite, avec l'appui des détenteurs des traditions orientales, sans doute, mais avec une initiative occidentale comme point de départ ; et l'on doit comprendre maintenant que cette dernière condition, même si elle n'était pas aussi rigoureusement indispensable qu'elle l'est effectivement, n'en apporterait pas moins un avantage considérable, en ce sens que c'est là ce qui permettrait à l'Occident de conserver son autonomie et même de garder, pour son développement futur, les éléments valables qu'il peut avoir acquis malgré tout dans sa civilisation actuelle. Enfin, si celte hypothèse avait le temps de se réaliser, elle éviterait la catastrophe que nous envisagions en premier lieu, puisque la civilisation occidentale, redevenue normale, aurait sa place légitime parmi les autres, et qu'elle ne serait plus, comme elle l'est aujourd'hui, une menace pour le reste de l'humanité, un facteur de déséquilibre et d'oppression dans le monde.
En tout cas, il faut faire comme si le but que nous indiquons ici devait être atteint, puisque, même si les circonstances ne permettent pas qu'il le soit, rien de ce qui aura été accompli dans le sens qui doit y conduire ne sera perdu ; et la considération de ce but peut fournir, à ceux qui sont capables de faire partie de l'élite, un motif d'appliquer leurs efforts à la compréhension de la pure intellectualité, motif qui ne sera point à négliger tant qu'ils n'auront pas pris entièrement conscience de quelque chose de moins contingent, nous voulons dire de ce que l'intellectualité vaut en soi, indépendamment des résultats qu'elle peut produire par surcroit dans les ordres plus ou moins extérieurs. La considération de ces résultats, si secondaires qu'ils soient, peut donc être tout au moins un « adjuvant », et elle ne saurait d'autre part être un obstacle si l'on a soin de la mettre exactement à sa place et d'observer en tout les hiérarchies nécessaires, de façon à ne jamais perdre de vue l'essentiel ni le sacrifier à l'accidentel ; nous nous sommes déjà expliqué là-dessus, suffisamment pour justifier, aux yeux de ceux qui comprennent ces choses, le point de vue que nous adoptons présentement, et qui, s'il ne correspond pas à toute notre pensée (et il ne le peut pas, dès lors que les considérations purement doctrinales et spéculatives sont pour nous au-dessus de toutes les autres), en représente cependant une partie très réelle.
Nous ne prétendons envisager ici rien de plus que des possibilités très éloignées selon toute vraisemblance, mais qui n'en sont pas moins des possibilités, et qui, à ce seul titre, méritent d'être prises en considération ; et le fait même de les envisager peut déjà contribuer, dans une certaine mesure, à en rapprocher la réalisation. D'ailleurs, dans un milieu essentiellement mouvant comme l'Occident moderne, les événements peuvent, sous l'action de circonstances quelconques, se dérouler avec une rapidité dépassant de beaucoup toutes les prévisions ; on ne saurait donc s'y prendre trop tôt pour se préparer à y faire face, et il vaut mieux voir de trop loin que de se laisser surprendre par l'irréparable. Sans doute, nous ne nous faisons pas d'illusions sur les chances qu'ont des avertissements de ce genre d'être entendus de la majorité de nos contemporains ; mais, comme nous l'avons dit, l'élite intellectuelle n'aurait pas besoin d'être fort nombreuse, au début surtout, pour que son influence puisse s'exercer d'une manière très effective, même sur ceux qui ne se douteraient aucunement de son existence ou qui ne soupçonneraient pas le moins du monde la portée de ses travaux. C'est là qu'on pourrait se rendre compte de l'inutilité de ces « secrets » auxquels nous faisions allusion plus haut : il y a des actions qui, par leur nature même, demeurent parfaitement ignorées du vulgaire, non parce qu'on se cache de lui, mais parce qu'il est incapable de les comprendre.
L'élite n'aurait point à faire connaître publiquement les moyens de son action, mais surtout parce que ce serait inutile, et parce que, le voulût-elle, elle ne pourrait les expliquer en un langage intelligible au grand nombre : elle saurait à l'avance que ce serait peine perdue, et que les efforts qu'elle y dépenserait pourraient recevoir un bien meilleur emploi. Nous ne contestons pas, d'ailleurs, le danger ou l'inopportunité de certaines divulgations : bien des gens pourraient être tentés, si on leur en indiquait les moyens, de s'essayer à des réalisations auxquelles rien ne les aurait préparés, uniquement « pour voir », sans en connaître la véritable raison d'être et sans savoir où elles pourraient les conduire ; et ce ne serait là qu'une cause supplémentaire de déséquilibre, qu'il ne convient nullement d'ajouter à toutes celles qui troublent aujourd'hui la mentalité occidentale et la troubleront sans doute longtemps encore, et qui serait même d'autant plus redoutable qu'il s'agit de choses d'une nature plus profonde ; mais tous ceux qui possèdent certaines connaissances sont, par là même, pleinement qualifiés pour apprécier de semblables dangers, et ils sauront toujours se comporter en conséquence sans être liés par d'autres obligations que celles qu'implique tout naturellement le degré de développement intellectuel auquel ils sont parvenus.
Du reste, il faut
nécessairement commencer par la préparation théorique, la seule essentielle et
vraiment indispensable, et la théorie peut toujours être exposée sans réserves, ou du
moins sous la seule réserve de ce qui est proprement inexprimable et
incommunicable ; c'est à chacun de comprendre dans la mesure de ses possibilités, et,
quant à ceux qui ne comprennent pas, s'ils n'en retirent aucun avantage, ils n'en
éprouvent non plus aucun inconvénient et demeurent simplement tels qu'ils étaient
auparavant. Peut-être s'étonnera-t-on que nous insistions tant sur des choses qui, en
somme, sont extrêmement simples et ne devraient soulever aucune difficulté ; mais
l'expérience nous a montré qu'on ne saurait prendre trop de précautions à cet égard,
et nous aimons mieux donner sur certains points un excès d'explications que de
risquer de voir notre pensée mal interprétée ; les précisions qu'il nous reste encore à
apporter procèdent en grande partie du même souci, et, comme elles répondent à une
incompréhension que nous avons effectivement constatée en plusieurs circonstances,
elles prouveront suffisamment que notre crainte des malentendus n'a rien d'exagéré."
Les images que intercalée dans le texte je n'ai pas pu les intégrer hier dans un autre article. Ne pensez pas que ce que je fais dans mes sites n est dépourvue de danger. Ne pensez pas que ce que je fais pour vous informer n est pas altéré, effacé. J ai les services secrets des trois pays collés a mon derrière. Les autres chercheurs de vérité ont été arrêtés ou tués. J ai derrière moi des centaines de tentatives d assassinat. Ils ne peuvent pas me tuer. J ai un implant alien depuis bientôt deux ans. Cette chose devait me manipuler a mon insu. J ai pris conscience de cela et c est moi qui la manipule. Les gens que je dénonce reçoivent mes pensées aussitôt elle surgissent dans mon esprit. Elles se trouvent aux USA et en Europe. Le monde est pire de ce que vous pensez. Ils ne n'aime pas parce que j'ai de dons : un deux c'est que je suis chanel et je channelise ce qui il y a des plus puissant, de plus lumineux, de plus déterminé. La protection que j ai n a pas de mots pour la décrire.
CHAPITRE II
LA SUPERSTITION DE LA SCIENCE
La civilisation occidentale moderne a, entre autres prétentions, celle d'être éminemment « scientifique » ; il serait bon de préciser un peu comment on entend ce mot, mais c'est ce qu'on ne fait pas d'ordinaire, car il est du nombre de ceux auxquels nos contemporains semblent attacher une sorte de pouvoir mystérieux, indépendamment de leur sens. La « Science », avec une majuscule, comme le « Progrès » et la « Civilisation », comme le « Droit », la « Justice » et la « Liberté », est encore une de ces entités qu'il faut mieux ne pas chercher à définir, et qui risquent de perdre tout leur prestige dès qu'on les examine d'un peu trop près. Toutes les soidisant « conquêtes » dont le monde moderne est si fier se réduisent ainsi à de grands mots derrière lesquels il n'y a rien ou pas grand-chose : suggestion collective, avonsnous dit, illusion qui, pour être partagée par tant d'individus et pour se maintenir comme elle le fait, ne saurait être spontanée ; peut-être essaierons-nous quelque jour d'éclaircir un peu ce coté de la question. Mais, pour le moment, ce n'est pas de cela principalement qu'il s'agit ; nous constatons seulement que l'Occident actuel croit aux idées que nous venons de dire, si tant est que l'on puisse appeler cela des idées, de quelque façon que cette croyance lui soit venue.
Ce ne sont pas vraiment des idées, car beaucoup de ceux qui prononcent ces mots avec le plus de conviction n'ont dans la pensée rien de bien net qui y corresponde ; au fond, il n'y a là, dans la plupart des cas, que l'expression, on pourrait même dire la personnification, d'aspirations sentimentales plus ou moins vagues. Ce sont de véritables idoles, les divinités d'une sorte de « religion laïque » qui n'est pas nettement définie, sans doute, et qui ne peut pas l'être, mais qui n'en a pas moins une existence très réelle : ce n'est pas de la religion au sens propre du mot, mais c'est ce qui prétend s'y substituer, et qui mériterait mieux d'être appelé « contre-religion ». La première origine de cet état de choses remonte au début même de l'époque moderne, où l'esprit antitraditionnel se manifesta immédiatement par la proclamation du « libre examen », c'est-à-dire de l'absence, dans l'ordre doctrinal, de tout principe supérieur aux opinions individuelles. L'anarchie intellectuelle devait fatalement en résulter : de là la multiplicité indéfinie des sectes religieuses et pseudo-religieuses, des systèmes philosophiques visant avant tout à l'originalité, des théories scientifiques aussi éphémères que prétentieuses ; invraisemblable chaos que domine pourtant une certaine unité, puisqu'il existe bien un esprit spécifiquement moderne dont tout cela procède, mais une unité toute négative en somme, puisque c'est proprement une absence de principe, se traduisant par cette indifférence à l'égard de la vérité et de l'erreur qui a reçu, depuis le XVIIIe siècle, le nom de « tolérance ».
Qu'on nous comprenne bien : nous n'entendons point blâmer la tolérance pratique, qui s'exerce envers les individus, mais seulement la tolérance théorique, qui prétend s'exercer envers les idées et leur reconnaître à toutes les mêmes droits, ce qui devrait logiquement impliquer un scepticisme radical ; et d'ailleurs nous ne pouvons nous empêcher de constater que, comme tous les propagandistes, les apôtres de la tolérance sont très souvent, en fait, les plus intolérants des hommes. Il s'est produit, en effet, cette chose qui est d'une ironie singulière : ceux qui ont voulu renverser tous les dogmes ont créé à leur usage, nous ne dirons pas un dogme nouveau, mais une caricature de dogme, qu'ils sont parvenus à imposer à la généralité du monde occidental ; ainsi se sont établies, sous prétexte d'« affranchissement de la pensée », les croyances les plus chimériques qu'on ait jamais vues en aucun temps, sous la forme de ces diverses idoles dont nous énumérions tout à l'heure quelques-unes des principales. De toutes les superstitions prêchées par ceux-là mêmes qui font profession de déclamer à tout propos contre la « superstition », celle de la « science » et de la « raison » est la seule qui ne semble pas, à première vue, reposer sur une base sentimentale ; mais il y a parfois un rationalisme qui n'est que du sentimentalisme déguisé, comme ne le prouve que trop la passion qu'y apportent ses partisans, la haine dont ils témoignent contre tout ce qui contrarie leurs tendances ou dépasse leur compréhension.
D'ailleurs, en tout cas, le rationalisme correspondant à un amoindrissement de l'intellectualité, il est naturel que son développement aille de pair avec celui du sentimentalisme, ainsi que nous l'avons expliqué au chapitre précédent ; seulement, chacune de ces deux tendances peut être représentée plus spécialement par certaines individualités ou par certains courants de pensée, et, en raison des expressions plus ou moins exclusives et systématiques qu'elles sont amenées à revêtir, il peut même y avoir entre elles des conflits apparents qui dissimulent leur solidarité profonde aux yeux des observateurs superficiels. Le rationalisme moderne commence en somme à Descartes (il avait même eu quelques précurseurs au XVIe siècle), et l'on peut suivre sa trace à travers toute la philosophie moderne, non moins que dans le domaine proprement scientifique ; la réaction actuelle de l'intuitionnisme et du pragmatisme contre ce rationalisme nous fournit l'exemple d'un de ces conflits, et nous avons vu cependant que Bergson acceptait parfaitement la définition cartésienne de l'intelligence ; ce n'est pas la nature de celle-ci qui est mise en question, mais seulement sa suprématie.
Au XVIIIe siècle, il y eut aussi antagonisme entre le rationalisme des encyclopédistes et le sentimentalisme de Rousseau ; et pourtant l'un et l'autre servirent également à la préparation du mouvement révolutionnaire, ce qui montre qu'ils rentraient bien dans l'unité négative de l'esprit antitraditionnel. Si nous rapprochons cet exemple du précédent, ce n'est pas que nous prêtions à Bergson aucune arrière-pensée politique ; mais nous ne pouvons nous empêcher de songer à l'utilisation de ses idées dans certains milieux syndicalistes, surtout en Angleterre, tandis que, dans d'autres milieux du même genre, l'esprit « scientiste » est plus que jamais en honneur. Au fond, il semble qu'une des grandes habiletés des « dirigeants » de la mentalité moderne consiste à favoriser alternativement ou simultanément l'une et l'autre des deux tendances en question suivant l'opportunité, à établir entre elles une sorte de dosage, par un jeu d'équilibre qui répond à des préoccupations assurément plus politiques qu'intellectuelles ; cette habileté, du reste, peut n'être pas toujours voulue, et nous 21 n'entendons mettre en doute la sincérité d'aucun savant, historien ou philosophe ; mais ceux-ci ne sont souvent que des « dirigeants » apparents, et ils peuvent être euxmêmes dirigés ou influencés sans s'en apercevoir le moins du monde.
De plus, l'usage qui est fait de leurs idées ne répond pas toujours à leurs propres intentions, et on aurait tort de les en rendre directement responsables ou de leur faire grief de n'avoir pas prévu certaines conséquences plus ou moins lointaines ; mais il suffit que ces idées soient conformes à l'une ou à l'autre des deux tendances dont nous parlons pour qu'elles soient utilisables dans le sens que nous venons de dire ; et, étant donné l'état d'anarchie intellectuelle dans lequel est plongé l'Occident, tout se passe comme s'il s'agissait de tirer du désordre même, et de tout ce qui s'agite dans le chaos, tout le parti possible pour la réalisation d'un plan rigoureusement déterminé. Nous ne voulons pas insister là-dessus outre mesure, mais il nous est bien difficile de ne pas y revenir de temps à autre, car nous ne pouvons admettre qu'une race tout entière soit purement et simplement frappée d'une sorte de folie qui dure depuis plusieurs siècles, et il faut bien qu'il y ait quelque chose qui donne, malgré tout, une signification à la civilisation moderne ; nous ne croyons pas au hasard, et nous sommes persuadé que tout ce qui existe doit avoir une cause ; libre à ceux qui sont d'un autre avis de laisser de côté cet ordre de considérations.
Maintenant, dissociant les deux tendances principales de la mentalité moderne pour mieux les examiner, et abandonnant momentanément le sentimentalisme que nous retrouverons plus loin, nous pouvons nous demander ceci : qu'est exactement cette « science » dont l'Occident est si infatué ? Un Hindou, résumant avec une extrême concision ce qu'en pensent tous les Orientaux qui ont eu l'occasion de la connaître, l'a caractérisée très justement par ces mots : « La science occidentale est un savoir ignorant » 1 . Le rapprochement de ces deux termes n'est point une contradiction, et voici ce qu'il veut dire : c'est bien, si l'on veut, un savoir qui a quelque réalité, puisqu'il est valable et efficace dans un certain domaine relatif ; mais c'est un savoir irrémédiablement borné, ignorant de l'essentiel, un savoir qui manque de principe, comme tout ce qui appartient en propre à la civilisation occidentale moderne. La science, telle que la conçoivent nos contemporains, est uniquement l'étude des phénomènes du monde sensible, et cette étude est entreprise et menée de telle façon qu'elle ne peut, nous y insistons, être rattachée à aucun principe d'un ordre supérieur ; ignorant résolument tout ce qui la dépasse, elle se rend ainsi pleinement indépendante dans son domaine, cela est vrai, mais cette indépendance dont elle se glorifie n'est faite que de sa limitation même.
Bien mieux, elle va jusqu'à nier ce qu'elle ignore, parce que c'est là le seul moyen de ne pas avouer cette ignorance ; ou, si elle n'ose pas nier formellement qu'il puisse exister quelque chose qui ne tombe pas sous son emprise, elle nie du moins que cela puisse être connu de quelque manière que ce soit, ce qui en fait revient au même, et elle prétend englober toute connaissance possible. Par un parti pris souvent inconscient, les « scientistes » s'imaginent comme Auguste Comte, que l'homme ne s'est jamais proposé d'autre objet de connaissance qu'une explication des phénomènes naturels ; parti pris inconscient, disons-nous, car ils sont évidemment incapables de comprendre qu'on puisse aller plus loin, et ce n'est pas là ce que nous leur reprochons, mais seulement leur prétention de refuser aux autres la possession ou l'usage de facultés qui leur manquent à eux-mêmes : on dirait des aveugles qui nient, sinon l'existence de la lumière, du moins celle du sens de la vue, pour l'unique raison qu'ils en sont privés. Affirmer qu'il y a, non pas simplement de l'inconnu, mais bien de l'« inconnaissable », suivant le mot de Spencer, et faire d'une infirmité intellectuelle une borne qu'il n'est permis à personne de franchir, voilà ce qui ne s'était jamais vu nulle part ; et jamais on n'avait vu non plus des hommes faire d'une affirmation d'ignorance un programme et une profession de foi, la prendre ouvertement pour étiquette d'une prétendue doctrine, sous le nom d'« agnosticisme ».
Et ceux-là, qu'on le remarque bien, ne sont pas et ne veulent pas être des sceptiques ; s'ils l'étaient, il y aurait dans leur attitude une certaine logique qui pourrait la rendre excusable ; mais ils sont, au contraire, les croyants les plus enthousiastes de la « science », les plus fervents admirateurs de la « raison ». Il est assez étrange, dira-t-on, de mettre la raison au-dessus de tout, de professer pour elle un véritable culte, et de proclamer en même temps qu'elle est essentiellement limitée ; cela est quelque peu contradictoire, en effet, et, si nous le constatons, nous ne nous chargerons pas de l'expliquer ; cette attitude dénote une mentalité qui n'est la nôtre à aucun degré, et ce n'est pas à nous de justifier les contradictions qui semblent inhérentes au « relativisme » sous toutes ses formes. Nous aussi, nous disons que la raison est bornée et relative ; mais, bien loin d'en faire le tout de l'intelligence, nous ne la regardons que comme une de ses portions inférieures, et nous voyons dans l'intelligence d'autres possibilités qui dépassent immensément celles de la raison. En somme, les modernes, ou certains d'entre eux du moins, consentent bien à reconnaître leur ignorance, et les rationalistes actuels le font peut-être plus volontiers que leurs prédécesseurs, mais ce n'est qu'à la condition que nul n'ait le droit de connaître ce qu'eux-mêmes ignorent ; qu'on prétende limiter ce qui est ou seulement limiter radicalement la connaissance, c'est toujours une manifestation de l'esprit de négation qui est si caractéristique du monde moderne.
Cet esprit de négation, ce n'est pas autre chose que l'esprit systématique, car un système est essentiellement une conception fermée ; et il en est arrivé à s'identifier à l'esprit philosophique lui-même, surtout depuis Kant, qui, voulant enfermer toute connaissance dans le relatif, a osé déclarer expressément que « la philosophie est, non un instrument pour étendre la connaissance, mais une discipline pour la limiter » 2 , ce qui revient à dire que la fonction principale des philosophes consiste à imposer à tous les bornes étroites de leur propre entendement. C'est pourquoi la philosophie moderne finit par substituer presque entièrement la « critique » ou la « théorie de la connaissance » à la connaissance-elle-même ; c'est aussi pourquoi, chez beaucoup de ses représentants, elle ne veut plus être que « philosophie scientifique », c'est-à-dire simple coordination des résultats les plus généraux de la science, dont le domaine est le seul qu'elle reconnaisse comme accessible à l'intelligence.
Philosophie et science, dans ces conditions, n'ont plus à être distinguées, et, à vrai dire, depuis que le rationalisme existe, elles ne peuvent avoir qu'un seul et même objet, elle ne représentent qu'un seul ordre de connaissance, elles sont animées d'un même esprit : c'est ce que nous appelons, non l'esprit scientifique, mais l'esprit « scientiste ». Il nous faut insister un peu sur cette dernière distinction : ce que nous voulons marquer par là, c'est que nous ne voyons rien de mauvais en soi dans le développement de certaines sciences, même si nous trouvons excessive l'importance qu'on y attache ; ce n'est qu'un savoir très relatif, mais enfin c'est un savoir tout de même, et il est légitime que chacun applique son activité intellectuelle à des objets proportionnés à ses propres aptitudes et aux moyens dont il dispose. Ce que nous réprouvons, c'est l'exclusivisme, nous pourrions dire le sectarisme de ceux qui, grisés par l'extension que ces sciences ont prise, refusent d'admettre qu'il existe rien en dehors d'elles, et prétendent que toute spéculation, pour être valable, doit se soumettre aux méthodes spéciales que ces mêmes sciences mettent en œuvre, comme si ces méthodes, faites pour l'étude de certains objets déterminés, devaient être universellement applicables ; il est vrai que ce qu'ils conçoivent, en fait d'universalité, est quelque chose d'extrêmement restreint, et qui ne dépasse point le domaine des contingences.
Mais on étonnerait fort ces « scientistes » en leur disant que, sans même sortir de ce domaine, il y a une foule de choses qui ne sauraient être atteintes par leurs méthodes, et qui peuvent pourtant faire l'objet de sciences toutes différentes de celles qu'ils connaissent, mais non moins réelles, et souvent plus intéressantes à divers égards. Il semble que les modernes aient pris arbitrairement, dans le domaine de la connaissance scientifique, un certain nombre de portions qu'ils se sont acharnés à étudier à l'exclusion de tout le reste, et en faisant comme si ce reste était inexistant ; et, aux sciences particulières qu'ils ont ainsi cultivées, il est tout naturel, et non point étonnant ni admirable, qu'ils aient donné un développement beaucoup plus grand que n'avaient pu le faire des hommes qui n'y attachaient point la même importance, qui souvent même ne s'en souciaient guère, et qui s'occupaient en tout cas de bien d'autres choses qui leur semblaient plus sérieuses. Nous pensons surtout ici au développement considérable des sciences expérimentales, domaine où excelle évidemment l'Occident moderne, et où nul ne songe à contester sa supériorité, que les Orientaux trouvent d'ailleurs peu enviable, précisément parce qu'elle a dû être achetée par l'oubli de tout ce qui leur parait vraiment digne d'intérêt ; cependant, nous ne craignons pas d'affirmer qu'il est des sciences, même expérimentales, dont l'Occident moderne n'a pas la moindre idée. Il existe de telles sciences en Orient, parmi celles auxquelles nous donnons le nom de « sciences traditionnelles » ; en Occident même, il y en avait aussi au moyen âge, et qui avaient des caractères tout à fait comparables ; et ces sciences, dont certaines donnent même lieu à des applications pratiques d'une incontestable efficacité, procèdent par des moyens d'investigation qui sont totalement étrangers aux savants européens de nos jours. Ce n'est point ici le lieu de nous étendre sut ce sujet ; mais nous devons du moins expliquer pourquoi nous disons que certaines connaissances d'ordre scientifique ont une base traditionnelle, et en quel sens nous l'entendons ; d'ailleurs 24 cela revient précisément à montrer, plus clairement encore que nous ne l'avons fait jusqu'ici, ce qui fait défaut à la science occidentale.
Nous avons dit qu'un des caractères spéciaux de cette science occidentale, c'est de se prétendre entièrement indépendante et autonome ; et cette prétention ne peut se soutenir que si l'on ignore systématiquement toute connaissance d'ordre supérieur à la connaissance scientifique, ou mieux encore si on la nie formellement. Ce qui est au-dessus de la science, dans la hiérarchie nécessaire des connaissances, c'est la métaphysique, qui est la connaissance intellectuelle pure et transcendante, tandis que la science n'est, par définition même, que la connaissance rationnelle ; la métaphysique est essentiellement supra-rationnelle, il faut qu'elle soit cela ou qu'elle ne soit pas. Or le rationalisme consiste, non pas à affirmer simplement que la raison vaut quelque chose, ce qui n'est contesté que par les seuls sceptiques, mais à soutenir qu'il n'y a rien au-dessus d'elle, donc pas de connaissance possible au delà de la connaissance scientifique ; ainsi, le rationalisme implique nécessairement la négation de la métaphysique. Presque tous les philosophes modernes sont rationalistes, d'une façon plus ou moins étroite, plus ou moins explicite ; chez ceux qui ne le sont pas, il n'y a que sentimentalisme et volontarisme, ce qui n'est pas moins antimétaphysique, parce que, si l'on admet alors quelque chose d'autre que la raison, c'est au-dessous d'elle qu'on le cherche, au lieu de le chercher au-dessus ; l'intellectualisme véritable est au moins aussi éloignée du rationalisme que peut l'être l'intuitionnisme contemporain, mais il l'est exactement en sens inverse.
Dans ces conditions, si un philosophe moderne prétend faire de la métaphysique, on peut être assuré que ce à quoi il donne ce nom n'a absolument rien de commun avec la métaphysique vraie, et il en est effectivement ainsi ; nous ne pouvons accorder à ces choses d'autre dénomination que celle de « pseudo-métaphysique », et, s'il s'y rencontre cependant parfois quelques considérations valables, elles se rattachent en réalité à l'ordre scientifique pur et simple. Donc, absence complète de la connaissance métaphysique, négation de toute connaissance autre que scientifique, limitation arbitraire de la connaissance scientifique elle-même à certains domaines particuliers à l'exclusion des autres, ce sont là des caractères généraux de la pensée proprement moderne ; voilà à quel degré d'abaissement intellectuel en est arrivé l'Occident, depuis qu'il est sorti des voies qui sont normales au reste de l'humanité. La métaphysique est la connaissance des principes d'ordre universel, dont toutes choses dépendent nécessairement, directement ou indirectement ; là où la métaphysique est absente, toute connaissance qui subsiste, dans quelque ordre que ce soit, manque donc véritablement de principe, et, si elle gagne par là quelque chose en indépendance (non de droit, mais de fait), elle perd bien davantage en portée et en profondeur. C'est pourquoi la science occidentale est, si l'on peut dire, toute en surface ; se dispersant dans la multiplicité indéfinie des connaissances fragmentaires, se perdant dans le détail innombrable des faits, elle n'apprend rien de la vraie nature des choses, qu'elle déclare inaccessible pour justifier son impuissance à cet égard ; aussi son intérêt est-il beaucoup plus pratique que spéculatif.
S'il y a quelquefois des essais d'unification de ce savoir éminemment analytique, ils sont purement factices et ne reposent jamais que sur des hypothèses plus ou moins hasardeuses ; aussi s'écroulent-ils tous les uns après les autres, et il ne semble pas qu'une théorie scientifique de quelque ampleur soit capable de durer plus d'un demi-siècle au maximum. Du reste, l'idée occidentale d'après laquelle la synthèse est comme un aboutissement et une conclusion de l'analyse est radicalement fausse ; la vérité est que, par l'analyse, on ne peut jamais arriver à une synthèse digne de ce nom, parce que ce sont là des choses qui ne sont point du même ordre ; et il est de la nature de l'analyse de pouvoir se poursuivre indéfiniment, si le domaine dans lequel elle s'exerce est susceptible d'une telle extension, sans qu'on en soit plus avancé quant à l'acquisition d'une vue d'ensemble sur ce domaine ; à plus forte raison est-elle parfaitement inefficace pour obtenir un rattachement à des principes d'ordre supérieur. Le caractère analytique de la science moderne se traduit par la multiplication sans cesse croissante des « spécialités », dont Auguste Comte lui-même n'a pu s'empêcher de dénoncer les dangers ; cette « spécialisation », si vantée de certains sociologues sous le nom de « division du travail », est à coup sûr le meilleur moyen d'acquérir cette « myopie intellectuelle » qui semble faire partie des qualifications requises du parfait « scientiste », et sans laquelle, d'ailleurs, le « scientisme » même n'aurait guère de prise.
Aussi les « spécialistes », dès qu'on les sort de leur domaine, font-ils généralement preuve d'une incroyable naïveté ; rien n'est plus facile que de leur en imposer, et c'est ce qui fait une bonne partie du succès des théories les plus saugrenues, pour peu qu'on ait soin de les dire « scientifiques » ; les hypothèses les plus gratuites, comme celle de l'évolution par exemple, prennent alors figure de « lois » et sont tenues pour prouvées ; si ce succès n'est que passager, on en est quitte pour trouver ensuite autre chose, qui est toujours accepté avec une égale facilité. Les fausses synthèses, qui s'efforcent de tirer le supérieur de l'inférieur (curieuse transposition de la conception démocratique), ne peuvent jamais être qu'hypothétiques ; au contraire, la véritable synthèse, qui part des principes, participe de leur certitude ; mais, bien entendu, il faut pour cela partir de vrais principes, et non de simples hypothèses philosophiques à la manière de Descartes. En somme, la science, en méconnaissant les principes et en refusant de s'y rattacher, se prive à la fois de la plus haute garantie qu'elle puisse recevoir et de la plus sûre direction qui puisse lui être donnée ; il n'est plus de valable en elle que les connaissances de détail, et, dès qu'elle veut s'élever d'un degré, elle devient douteuse et chancelante. Une autre conséquence de ce que nous venons de dire quant aux rapports de l'analyse et de la synthèse, c'est que le développement de la science, tel que le conçoivent les modernes, n'étend pas réellement son domaine : la somme des connaissances partielles peut s'accroître indéfiniment à l'intérieur de ce domaine, non par approfondissement, mais par division et subdivision poussée de plus en plus loin ; c'est bien vraiment la science de la matière et de la multitude.
D'ailleurs, quand même il y aurait une extension réelle, ce qui peut arriver exceptionnellement, ce serait toujours dans le même ordre, et cette science ne serait pas pour cela capable de s'élever plus haut ; constituée comme elle l'est, elle se trouve séparée des principes par un abîme que rien ne peut, nous ne disons pas lui faire franchir, mais diminuer même dans les plus infimes proportions. Quand nous disons que les sciences, même expérimentales, ont en Orient une base traditionnelle, nous voulons dire que, contrairement à ce qui a lieu en Occident, elles sont toujours rattachées à certains principes ; ceux-ci ne sont jamais perdus de vue, et les choses contingentes elles-mêmes semblent ne valoir la peine d'être étudiées qu'en tant que conséquences et manifestations extérieures de quelque chose qui est d'un autre ordre. Assurément, connaissance métaphysique et connaissance scientifique n'en demeurent pas moins profondément distinctes ; mais il n'y a pas entre elles une discontinuité absolue, comme celle que l'on constate lorsqu'on envisage l'état présent de la connaissance scientifique chez les Occidentaux.
Pour prendre un exemple en Occident même, que l'on considère toute la distance qui sépare le point de vue de la cosmologie de l'antiquité et du moyen âge, et celui de la physique telle que l'entendent les savants modernes : jamais, avant l'époque actuelle, l'étude du monde sensible n'avait été regardée comme se suffisant à elle-même ; jamais la science de cette multiplicité changeante et transitoire n'aurait été jugée vraiment digne du nom de connaissance si l'on n'avait trouvé le moyen de la relier, à un degré ou à un autre, à quelque chose de stable et de permanent. La conception ancienne, qui est toujours demeurée celle des Orientaux, tenait une science quelconque pour valable moins en elle-même que dans la mesure où elle exprimait à sa façon particulière et représentait dans un certain ordre de choses un reflet de la vérité supérieure, immuable, dont participe nécessairement tout ce qui possède quelque réalité ; et, comme les caractères de cette vérité s'incarnaient en quelque sorte dans l'idée de tradition, toute science apparaissait ainsi comme un prolongement de la doctrine traditionnelle elle-même, comme une de ses applications, secondaires et contingentes sans doute, accessoires et non essentielles, constituant une connaissance inférieure si l'on veut, mais pourtant encore une véritable connaissance, puisqu'elle conservait un lien avec la connaissance par excellence, celle de l'ordre intellectuel pur.
Cette conception, comme on le voit, ne saurait à aucun prix s'accommoder du grossier naturalisme de fait qui enferme nos contemporains dans le seul domaine des contingences, et même, plus exactement, dans une étroite portion de ce domaine3 ; et, comme les Orientaux, nous le répétons, n'ont point varié là-dessus et ne peuvent le faire sans renier les principes sur lesquels repose toute leur civilisation, les deux mentalités paraissent décidément incompatibles ; mais, puisque c'est l'Occident qui a changé, et que d'ailleurs il change sans cesse, peut-être arrivera-t-il un moment où sa mentalité se modifiera enfin dans un sens favorable et s'ouvrira à une compréhension plus vaste, et alors cette incompatibilité s'évanouira d'elle-même. Nous pensons avoir suffisamment montré à quel point est justifiée l'appréciation des Orientaux sur la science occidentale ; et, dans ces conditions, il n'y a qu'une chose qui puisse expliquer l'admiration sans bornes et le respect superstitieux dont cette science est l'objet : c'est qu'elle est en parfaite harmonie avec les besoins d'une civilisation purement matérielle.
En effet, ce n'est pas de spéculation désintéressée qu'il s'agit ; ce qui frappe des esprits dont toutes les préoccupations sont tournées vers l'extérieur, ce sont les applications auxquelles la science donne lieu, c'est son caractère avant tout pratique et utilitaire ; et c'est surtout grâce aux inventions mécaniques que l'esprit « scientiste » a acquis son développement. Ce sont ces inventions qui ont suscité, depuis le début du XIXe siècle, un véritable délire d'enthousiasme, parce qu'elles semblaient avoir pour objectif cet accroissement du bien-être corporel qui est manifestement la principale aspiration du monde moderne ; et d'ailleurs, sans s'en apercevoir, on créait ainsi encore plus de besoins nouveaux qu'on ne pouvait en satisfaire, de sorte que, même à ce point de vue très relatif, le progrès est chose fort illusoire ; et, une fois lancé dans cette voie, il ne parait plus possible de s'arrêter, il faut toujours du nouveau. Mais, quoi qu'il en soit, ce sont ces applications, confondues avec la science elle-même, qui ont fait surtout le crédit et le prestige de celle-ci ; cette confusion, qui ne pouvait se produire que chez des gens ignorants de ce qu'est la spéculation pure, même dans l'ordre scientifique, est devenue tellement ordinaire que de nos jours, si l'on ouvre n'importe quelle publication, on y trouve constamment désigné sous le nom de « science » ce qui devrait proprement s'appeler « industrie » ; le type du « savant », dans l'esprit du plus grand nombre, c'est l'ingénieur, l'inventeur ou le constructeur de machine.
Pour ce qui est des théories scientifiques, elles ont bénéficié de cet état d'esprit, bien plus qu'elles ne l'ont suscité ; si ceux mêmes qui sont le moins capables de les comprendre les acceptent de confiance et les reçoivent comme de véritables dogmes (et ils sont d'autant plus facilement illusionnés qu'ils comprennent moins), c'est qu'ils les regardent, à tort ou à raison, comme solidaires de ces inventions pratiques qui leur paraissent si merveilleuses. A vrai dire, cette solidarité est beaucoup plus apparente que réelle ; les hypothèses plus ou moins inconsistantes ne sont pour rien dans ces découvertes et ces applications sur l'intérêt desquelles les avis peuvent différer, mais qui ont en tout cas le mérite d'être quelque chose d'effectif : et, inversement, tout ce qui pourra être réalisé dans l'ordre pratique ne prouvera jamais la vérité d'une hypothèse quelconque. Du reste, d'une façon plus générale, il ne saurait y avoir, à proprement parler, de vérification expérimentale d'une hypothèse, car il est toujours possible de trouver plusieurs théories par lesquelles les mêmes faits s'expliquent également bien : on peut éliminer certaines hypothèses lorsqu'on s'aperçoit qu'elles sont en contradiction avec des faits, mais celles qui subsistent demeurent toujours de simples hypothèses et rien de plus ; ce n'est pas ainsi que l'on pourra jamais obtenir des certitudes. Seulement, pour des hommes qui n'acceptent que le fait brut, qui n'ont d'autre critérium de vérité que l'« expérience » entendue uniquement comme la constatation des phénomènes sensibles, il ne peut être question d'aller plus loin ou de procéder autrement, et alors il n'y a que deux attitudes possibles : ou bien prendre son parti du caractère hypothétique des théories scientifiques et renoncer à toute certitude supérieure à la simple évidence sensible ; ou bien méconnaître ce caractère hypothétique et croire aveuglément à tout ce qui est enseigné an nom de la « science ».
La première attitude, assurément plus intelligente que la seconde (en tenant compte des limites de l'intelligence « scientifique »), est celle de certains savants qui, moins naïfs que les autres, se refusent à être dupes de leurs propres hypothèses ou de celles de leurs confrères ; ils en arrivent ainsi, pour tout ce qui ne relève pas de la pratique immédiate, à une sorte de scepticisme plus ou moins complet ou tout au moins de probabilisme : c'est l'« agnosticisme » ne s'appliquant plus seulement à ce qui dépasse le domaine scientifique, mais s'étendant à l'ordre scientifique même ; et ils ne sortent de cette attitude négative que par un pragmatisme plus ou moins conscient, remplaçant, comme chez Henri Poincaré, la considération de la vérité d'une hypothèse par celle de la commodité ; n'est-ce pas là un aveu d'incurable ignorance ? Cependant, la seconde attitude, que l'on peut appeler dogmatique, est maintenue avec plus ou moins de sincérité par d'autres savants, mais surtout par ceux qui se croient obligés d'affirmer pour les besoins de l'enseignement ; paraître toujours sûr de soi et de ce que l'on dit, dissimuler les difficultés et les incertitudes, ne jamais rien énoncer sous forme dubitative, c'est en effet le moyen le plus facile de se faire prendre au sérieux et d'acquérir de l'autorité lorsqu'on a affaire à un public généralement incompétent et incapable de discernement, soit qu'on s'adresse à des élèves, soit qu'on veuille faire œuvre de vulgarisation.
Cette même attitude est naturellement prise, et cette fois d'une façon incontestablement sincère, par ceux qui reçoivent un tel enseignement ; aussi est-elle communément celle de ce qu'on appelle le « grand public », et l'esprit « scientiste » peut être observé dans toute sa plénitude, avec ce caractère de croyance aveugle, chez les hommes qui ne possèdent qu'une demi-instruction, dans les milieux où règne la mentalité que l'on qualifie souvent de « primaire », bien qu'elle ne soit pas l'apanage exclusif du degré d'enseignement qui porte cette désignation. Nous avons prononcé tout à l'heure le mot de « vulgarisation » ; c'est là encore une chose tout à fait particulière à la civilisation moderne, et l'on peut y voir un des principaux facteurs de cet état d'esprit que nous essayons présentement de décrire. C'est une des formes que revêt cet étrange besoin de propagande dont est animé l'esprit occidental, et qui ne peut s'expliquer que par l'influence prépondérante des éléments sentimentaux ; nulle considération intellectuelle ne justifie le prosélytisme, dans lequel les Orientaux ne voient qu'une preuve d'ignorance et d'incompréhension ; ce sont deux choses entièrement différentes que d'exposer simplement la vérité telle qu'on l'a comprise, en n'y apportant que l'unique préoccupation de ne pas la dénaturer, et de vouloir à toute force faire partager par d'autres sa propre conviction.
La propagande et la vulgarisation ne sont même possibles qu'au détriment de la vérité : prétendre mettre celle-ci « à la portée de tout le monde », la rendre accessible à tous indistinctement, c'est nécessairement l'amoindrir et la déformer, car il est impossible d'admettre que tous les hommes soient également capables de comprendre n'importe quoi : ce n'est pas une question d'instruction plus ou moins étendue, c'est une question d'« horizon intellectuel », et c'est là quelque chose qui ne peut se modifier, qui est inhérent à la nature même de chaque individu humain. Le préjugé chimérique de l'« égalité » va à l'encontre des faits les mieux établis, dans l'ordre intellectuel aussi bien que dans l'ordre physique ; c'est la négation de toute hiérarchie naturelle, et c'est l'abaissement de toute connaissance au niveau de l'entendement borné du vulgaire. On ne veut plus admettre rien qui dépasse la compréhension commune, et, effectivement, les conceptions scientifiques et philosophiques de notre époque, quelles que soient leurs prétentions, sont au fond de la plus lamentable médiocrité ; on n'a que trop bien réussi à éliminer tout ce qui aurait pu être incompatible avec le souci de la vulgarisation. Quoi que certains puissent en dire, la constitution d'une élite quelconque est inconciliable avec 29 l'idéal démocratique ; ce qu'exige celui-ci, c'est la distribution d'un enseignement rigoureusement identique aux individus les plus inégalement doués, les plus différents d'aptitudes et de tempérament ; malgré tout, on ne peut empêcher cet enseignement de produire des résultats très variables encore, mais cela est contraire aux intentions de ceux qui l'ont institué.
En tout cas, un tel système d'instruction est assurément le plus imparfait de tous, et la diffusion inconsidérée de connaissances quelconques est toujours plus nuisible qu'utile, car elle ne peut amener, d'une manière générale, qu'un état de désordre et d'anarchie. C'est à une telle diffusion que s'opposent les méthodes de l'enseignement traditionnel, tel qu'il existe partout en Orient où l'on sera toujours beaucoup plus persuadé des inconvénients très réels de l'« instruction obligatoire » que de ses bienfaits supposés. Les connaissances que le public occidental peut avoir à sa disposition ont beau n'avoir rien de transcendant, elles sont encore amoindries dans les ouvrages de vulgarisation, qui n'en exposent que les aspects les plus inférieurs, et en les faussant encore pour les simplifier ; et ces ouvrages insistent complaisamment sur les hypothèses les plus fantaisistes, les donnant audacieusement pour des vérités démontrées, et les accompagnant de ces ineptes déclamations qui plaisent tant à la foule. Une demi-science acquise par de telles lectures, ou par un enseignement dont tous les éléments sont puisés dans des manuels de même valeur, est autrement néfaste que l'ignorance pure et simple ; mieux vaut ne rien connaitre du tout que d'avoir l'esprit encombré d'idées fausses, souvent indéracinables, surtout lorsqu'elles ont été inculquées dès le plus jeune âge. L'ignorant garde du moins la possibilité d'apprendre s'il en trouve l'occasion ; il peut posséder un certain « bon sens » naturel, qui, joint à la conscience qu'il a ordinairement de son incompétence, suffit à lui éviter bien des sottises.
L'homme qui a reçu une demi-instruction, au contraire, a presque toujours une mentalité déformée, et ce qu'il croit savoir lui donne une telle suffisance qu'il s'imagine pouvoir parler de tout indistinctement ; il le fait à tort et à travers, mais d'autant plus facilement qu'il est plus incompétent : toutes choses paraissent si simples à celui qui ne connaît rien ! D'ailleurs, même en laissant de côté les inconvénients de la vulgarisation proprement dite, et en envisageant la science occidentale dans sa totalité et sous ses aspects les plus authentiques, la prétention qu'affichent les représentants de cette science de pouvoir l'enseigner à tous sans aucune réserve est encore un signe d'évidente médiocrité. Aux yeux des Orientaux, ce dont l'étude ne requiert aucune qualification particulière ne peut avoir grande valeur et ne saurait rien contenir de vraiment profond ; et, en effet la science occidentale est tout extérieure et superficielle ; pour la caractériser, au lieu de dire « savoir ignorant », nous dirions encore volontiers, et à peu près dans le même sens, « savoir profane ». A ce point de vue pas plus qu'aux autres, la philosophie ne se distingue vraiment de la science : on a parfois voulu la définir comme la « sagesse humaine » ; cela est vrai, mais à la condition d'insister sur ce qu'elle n'est que cela, une sagesse purement humaine, dans l'acception la plus limitée de ce mot, ne faisant appel à aucun élément d'un ordre supérieur à la raison ; pour éviter toute équivoque, nous l'appellerions aussi « sagesse profane », mais cela revient à dire qu'elle n'est nullement une sagesse au fond, qu'elle n'en est que l'apparence illusoire.
Nous n'insisterons pas ici sur les conséquences de ce caractère « profane » de tout le savoir occidental moderne ; mais, pour montrer encore à quel point ce savoir est superficiel et factice, nous signalerons que les méthodes d'instruction en usage ont pour effet de mettre la mémoire presque entièrement à la place de l'intelligence : ce qu'on demande aux élèves, à tous les degrés de l'enseignement, c'est d'accumuler des connaissances, non de les assimiler ; on s'applique surtout aux choses dont l'étude n'exige aucune compréhension ; les faits sont substitués aux idées, et l'érudition est communément prise pour de la science réelle. Pour promouvoir ou discréditer telle ou telle branche de connaissance, telle ou telle méthode, il suffit de proclamer qu'elle est ou n'est pas « scientifique » ; ce qui est tenu officiellement pour « méthodes scientifiques », ce sont les procédés de l'érudition la plus inintelligente, la plus exclusive de tout ce qui n'est point la recherche des faits pour eux-mêmes, et jusque dans leurs détails les plus insignifiants ; et, chose digne de remarque, ce sont les « littéraires » qui abusent le plus de cette dénomination. Le prestige de cette étiquette « scientifique », alors même qu'elle n'est vraiment rien de plus qu'une étiquette, c'est bien le triomphe de l'esprit « scientiste » par excellence ; et ce respect qu'impose à la foule (y compris les prétendus « intellectuels ») l'emploi d'un simple mot, n'avons-nous pas raison de l'appeler « superstition de la science » ? Naturellement, la propagande « scientiste » ne s'exerce pas seulement à l'intérieur, sous la double forme de l'« instruction obligatoire » et de la vulgarisation ; elle sévit aussi à l'extérieur, comme toutes les autres variétés du prosélytisme occidental.
Partout où les Européens se sont installés, ils ont voulu répandre les soidisant « bienfaits de l'instruction », et toujours suivant les mêmes méthodes, sans tenter la moindre adaptation, et sans se demander s'il n'existe pas déjà là quelque autre genre d'instruction ; tout ce qui ne vient pas d'eux doit être tenu pour nul et non avenu, et l'« égalité » ne permet pas aux différents peuples et aux différentes races d'avoir leur mentalité propre ; du reste, le principal « bienfait » qu'attendent de cette instruction ceux qui l'imposent, c'est probablement, toujours et partout, la destruction de l'esprit traditionnel. L'« égalité » si chère aux Occidentaux se réduit d'ailleurs, dès qu'ils sortent de chez eux, à la seule uniformité ; le reste de ce qu'elle implique n'est pas article d'exportation et ne concerne que les rapports des Occidentaux entre eux, car ils se croient incomparablement supérieurs à tous les autres hommes, parmi lesquels ils ne font guère de distinctions : les nègres les plus barbares et les Orientaux les plus cultivés sont traités à peu près de la même façon, puisqu'ils sont pareillement en dehors de l'unique « civilisation » qui ait droit à l'existence. Aussi les Européens se bornent-ils généralement à enseigner les plus rudimentaires de toutes leurs connaissances ; il n'est pas difficile de se figurer comment elles doivent être appréciées des Orientaux, à qui même ce qu'il y a de plus élevé dans ces connaissances semblerait remarquable surtout par son étroitesse et empreint d'une naïveté assez grossière. Comme les peuples qui ont une civilisation à eux se montrent plutôt réfractaires à cette instruction tant vantée, tandis que les peuples sans culture la subissent beaucoup plus docilement, les Occidentaux ne sont peut-être pas loin de juger les seconds supérieurs aux premiers ; ils réservent une estime au moins relative à ceux qu'ils regardent comme susceptibles de « s'élever » à leur niveau, ne fût-ce qu'après quelques siècles du régime d'« instruction obligatoire » et élémentaire.
Malheureusement, ce que les Occidentaux appellent « s'élever », il en est qui, en ce qui les concerne, l'appelleraient « s'abaisser » ; c'est là ce qu'en pensent tous les Orientaux, même s'ils ne le disent pas, et s'ils préfèrent, comme cela arrive le plus souvent, s'enfermer dans le silence le plus dédaigneux, laissant, tellement cela leur importe peu, la vanité occidentale libre d'interpréter leur attitude comme il lui plaira. Les Européens ont une si haute opinion de leur science qu'ils en croient le prestige irrésistible, et ils s'imaginent que les autres peuples doivent tomber en admiration devant leurs découvertes les plus insignifiantes ; cet état d'esprit, qui les conduit parfois à de singulières méprises, n'est pas tout nouveau, et nous en avons trouvé chez Leibnitz un exemple assez amusant. On sait que ce philosophe avait formé le projet d'établir ce qu'il appelait une « caractéristique universelle », c'est-à- dire une sorte d'algèbre généralisée, rendue applicable aux notions de tout ordre, au lieu d'être restreinte aux seules notions quantitatives ; cette idée lui avait d'ailleurs été inspirée par certains auteurs du moyen âge, notamment Raymond Lulle et Trithème. Or, au cours des études qu'il fit pour essayer de réaliser ce projet, Leibnitz fut amené à se préoccuper de la signification des caractères idéographiques qui constituent l'écriture chinoise, et plus particulièrement des figures symboliques qui forment la base du Yi-king ; on va voir comment il comprit ces dernières : « Leibnitz, dit L. Couturat ; croyait avoir trouvé par sa numération binaire (numération qui n'emploie que les signes 0 et 1, et dans laquelle il voyait une image de la création ex nihilo) l'interprétation des caractères de Fo-hi, symboles chinois mystérieux et d'une haute antiquité, dont les missionnaires européens et les Chinois eux-mêmes ne connaissaient pas le sens...
Il proposait d'employer cette interprétation à la propagation de la foi en Chine, attendu qu'elle était propre à donner aux Chinois une haute idée de la science européenne, et à montrer l'accord de celle-ci avec les traditions vénérables et sacrées de la sagesse chinoise. Il joignit cette interprétation à l'exposé de son arithmétique binaire qu'il envoya à l'Académie des Sciences de Paris » 4 . Voici, en effet, ce que nous lisons textuellement dans le mémoire dont il est ici question : « Ce qu'il y a de surprenant dans ce calcul (de l'Arithmétique binaire), c'est que cette Arithmétique par 0 et 1 se trouve contenir le mystère des lignes d'un ancien Roi et Philosophe nommé Fohy, qu'on croit avoir vécu il y a plus de quatre mille ans5 et que les Chinois regardent comme le Fondateur de leur Empire et de leurs sciences. Il y a plusieurs figures linéaires qu'on lui attribue, elles reviennent toutes à cette Arithmétique ; mais il suffit de mettre ici la Figure de huit Cova6 , comme on l'appelle, qui passe pour fondamentale, et d'y joindre l'explication qui est manifeste, pourvu qu'on remarque premièrement qu'une ligne entière signifie l'unité ou 1, et secondement qu'une ligne brisée signifie le zéro ou 0. Les Chinois ont perdu la signification des Cova ou Linéations de Fohy, peut-être depuis plus d'un millénaire d'années, et ils ont fait des commentaires là-dessus, où ils ont cherché je ne sais quels sens éloignés, de sorte qu'il a fallu que la vraie explication leur vînt maintenant des Européens. Voici comment : il n'y a guères plus de deux ans que j'envoyai au R. P. Bouvet, Jésuite français célèbre, qui demeure à Pékin, ma manière de compter par 0 et 1, et il n'en fallut pas davantage pour lui faire reconnoître que c'est la clef des figures de Fohy. Ainsi, m'écrivant le 14 novembre 1701, il m'a envoyé la grande figure de ce Prince Philosophe qui va à 647 , et ne laisse plus lieu de douter de la vérité de notre interprétation, de sorte qu'on peut dire que ce Père a déchiffré l'énigme de Fohy, à l'aide de ce que je lui avois communiqué.
Et comme ces figures sont peut-être le plus ancien monument de science qui soit au monde, cette restitution de leur sens, après un si grand intervalle de tems, paroîtra d'autant plus curieuse... Et cet accord me donne une grande opinion de la profondeur des méditations de Fohy. Car ce qui nous paroît aisé maintenant, ne l'étoit pas tout dans ces tems éloignés... Or, comme l'on croit à la Chine que Fohy est encore auteur des caractères chinois, quoique fort altérés par la suite des tems, son essai d'Arithmétique fait juger qu'il pourroit bien s'y trouver encore quelque chose de considérable par rapport aux nombres et aux idées, si l'on pouvoît déterrer le fondement de l'écriture chinoise, d'autant plus qu'on croit à la Chine qu'il a eu égard aux nombres en l'établissant. Le R. P. Bouvet est fort porté à pousser cette pointe, et très capable d'y réussir en bien des manières. Cependant je ne sçai s'il y a jamais eu dans l'écriture chinoise un avantage approchant de celui qui doit être nécessairement dans une Caractéristique que je projette. C'est que tout raisonnement qu'on peut tirer des notions, pourroit être tiré de leurs Caractères par une manière de calcul, qui seroit un des plus importans moyens d'aider l'esprit humain » 8 .
Nous avons tenu à reproduire tout au long ce curieux document, qui permet de mesurer jusqu'où pouvait aller la compréhension de celui que nous regardons pourtant comme le plus « intelligent » de tous les philosophes modernes : Leibnitz était persuadé à l'avance que sa « caractéristique », qu'il ne parvint d'ailleurs jamais à constituer (et les « logisticiens » d'aujourd'hui ne sont guère plus avancés), ne pourrait manquer d'être bien supérieure à l'idéographie chinoise ; et le plus beau, c'est qu'il pense faire grand honneur à Fo-hi en lui attribuant un « essai d'arithmétique » et la première idée de son petit jeu de numération. Il nous semble voir d'ici le sourire des Chinois, si on leur avait présenté cette interprétation quelque peu puérile, qui aurait été fort loin de leur donner « une haute idée de la science européenne », mais qui aurait été propre à leur en faire apprécier très exactement la portée réelle. La vérité est que les Chinois n'ont jamais « perdu la signification », ou plutôt les significations des symboles dont il s'agit ; seulement, ils ne se croyaient point obligés de les expliquer au premier venu, surtout s'ils jugeaient que ce serait peine perdue ; et Leibnitz, en parlant de « je ne sçai quels sens éloignés », avoue en somme qu'il n'y comprend rien. Ce sont ces sens, soigneusement conservés par la tradition (que les commentaires ne font que suivre fidèlement) qui constituent « la vraie explication », et ils n'ont d'ailleurs rien de « mystique » ; mais quelle meilleure preuve d'incompréhension pouvait-on donner que de prendre des symboles métaphysiques pour « des caractères purement numéraux » ? Des symboles métaphysiques, voilà en effet ce que sont essentiellement les « trigrammes » et les « hexagrammes », représentation synthétique de théories susceptibles de recevoir des développements illimités, et susceptibles aussi d'adaptations multiples, si, au lieu de se tenir dans le domaine des principes, on en veut faire l'application à tel ou tel ordre déterminé.
On aurait fort étonné Leibnitz si on lui avait dit que son interprétation arithmétique trouvait place aussi parmi ces sens qu'il rejetait sans les connaître, mais seulement à un rang tout à fait accessoire et subordonné ; car cette interprétation n'est pas fausse en elle-même, et elle est parfaitement compatible avec toutes les autres, mais elle est tout à fait incomplète et insuffisante, insignifiante même quand on l'envisage isolément, et ne peut prendre d'intérêt qu'en vertu de la correspondance analogique qui relie les sens inférieurs au sens supérieur, conformément à ce que nous avons dit de la nature des « sciences traditionnelles ». Le sens supérieur, c'est le sens métaphysique pur ; tout le reste, ce ne sont qu' applications diverses, plus ou moins importantes, mais toujours contingentes : c'est ainsi qu'il peut y avoir une application arithmétique comme il y en a une indéfinie d'autres, comme il y a par exemple une application logique, qui eût pu servir davantage au projet de Leibnitz s'il l'eût connue, comme il y a une application sociale, qui est le fondement du Confucianisme, comme il y a une application astronomique, la seule que les Japonais aient jamais pu saisir , comme il y a même une application divinatoire, que les Chinois regardent d'ailleurs comme une des plus inférieures de toutes, et dont ils abandonnent la pratique aux jongleurs errants.
Si Leibnitz s'était trouvé en contact direct avec les Chinois, ceux-ci lui auraient peut-être expliqué (mais l'aurait-il compris ?) que même les chiffres dont il se servait pouvaient symboliser des idées d'un ordre beaucoup plus profond que les idées mathématiques, et que c'est en raison d'un tel symbolisme que les nombres jouaient un rôle dans la formation des idéogrammes, non moins que dans l'expression des doctrines pythagoriciennes (ce qui montre que ces choses n'étaient pas ignorées de l'antiquité occidentale). Les Chinois auraient même pu accepter la notation par 0 et 1, et prendre ces « caractères purement numéraux » pour représenter symboliquement les idées métaphysiques du yin et du yang (qui n'ont d'ailleurs rien à voir avec la conception de la création ex nihilo), tout en ayant bien des raisons de préférer, comme plus adéquate, la représentation fournie par les « linéations » de Fohi, dont l'objet propre et direct est dans le domaine métaphysique. Nous avons développé cet exemple parce qu'il fait apparaître clairement la différence qui existe entre le systématisme philosophique et la synthèse traditionnelle, entre la science occidentale et la sagesse orientale ; il n'est pas difficile de reconnaître, sur cet exemple qui a pour nous, lui aussi, une valeur de symbole, de quel côté se trouvent l'incompréhension et l'étroitesse de vues10.
Leibnitz, prétendant comprendre les symboles chinois mieux que les Chinois eux-mêmes, est un véritable précurseur des orientalistes, qui ont, les Allemands surtout, la même prétention à l'égard de toutes les conceptions et de toutes les doctrines orientales, et qui refusent de tenir le moindre compte de l'avis des représentants autorisés de ces doctrines : nous avons cité ailleurs le cas de Deussen s'imaginant expliquer Shankarâchârya aux Hindous, et l'interprétant à travers les idées de Schopenhauer ; ce sont bien là des manifestations d'une seule et même mentalité. Nous devons faire encore à ce propos une dernière remarque : c'est que les Occidentaux, qui affichent si insolemment en toute occasion la croyance à leur propre supériorité et à celle de leur science, sont vraiment bien mal venus à traiter la sagesse orientale d'« orgueilleuse », comme certains d'entre eux le font parfois, sous prétexte qu'elle ne s'astreint point aux limitations qui leur sont coutumières, et parce qu'ils ne peuvent souffrir ce qui les dépasse ; c'est là un des travers habituels de la médiocrité, et c'est ce qui fait le fond de l'esprit démocratique. L'orgueil, en réalité, est chose bien occidentale ; l'humilité aussi, d'ailleurs, et, si paradoxal que cela puisse sembler, il y a une solidarité assez étroite entre ces deux contraires : c'est un exemple de la dualité qui domine tout l'ordre sentimental, et dont le caractère propre des conceptions morales fournit la preuve la plus éclatante, car les notions de bien et de mal ne sauraient exister que par leur opposition même.
En réalité, l'orgueil et l'humilité sont pareillement étrangers et indifférents à la sagesse orientale (nous pourrions aussi bien dire à la sagesse sans épithète), parce que celle-ci est d'essence purement intellectuelle, et entièrement dégagée de toute sentimentalité ; elle sait que l'être humain est à la fois beaucoup moins et beaucoup plus que ne le croient les Occidentaux, ceux d'aujourd'hui tout au moins, et elle sait aussi qu'il est exactement ce qu'il doit être pour occuper la place qui lui est assignée dans l'ordre universel. L'homme, nous voulons dire l'individualité humaine, n'a aucunement une situation privilégiée ou exceptionnelle, pas plus dans un sens que dans l'autre ; il n'est ni en haut ni en bas de l'échelle des êtres ; il représente tout simplement, dans la hiérarchie des existences, un état comme les autres, parmi une indéfinité d'autres, dont beaucoup lui sont supérieurs, et dont beaucoup aussi lui sont inférieurs. Il n'est pas difficile de constater, à cet égard même, que l'humilité s'accompagne très volontiers d'un certain genre d'orgueil : par la façon dont on cherche parfois en Occident à abaisser l'homme, on trouve moyen de lui attribuer en même temps une importance qu'il ne saurait avoir réellement, du moins en tant qu'individualité ; peut-être y a-t-il là un exemple de cette sorte d'hypocrisie inconsciente qui est, à un degré ou à un autre, inséparable de tout « moralisme », et dans laquelle les Orientaux voient assez généralement un des caractères spécifiques de l'Occidental. Du reste, ce contrepoids de l'humilité n'existe pas toujours, tant s'en faut ; il y a aussi, chez bon nombre d'autres Occidentaux, une véritable déification de la raison humaine, s'adorant ellemême, soit directement, soit à travers la science qui est son œuvre ; c'est la forme la plus extrême du rationalisme et du « scientisme », mais c'est aussi leur aboutissement le plus naturel et, somme toute, le plus logique.
En effet, quand on ne connaît rien au delà de cette science et de cette raison, on peut bien avoir l'illusion de leur suprématie absolue ; quand on ne connaît rien de supérieur à l'humanité, et plus spécialement à ce type d'humanité que représente l'Occident moderne, on peut être tenté de la diviniser, surtout si le sentimentalisme s'en mêle (et nous avons montré qu'il est loin d'être incompatible avec le rationalisme). Tout cela n'est que la conséquence inévitable de cette ignorance des principes que nous avons dénoncée comme le vice capital de la science occidentale ; et, en dépit des protestations de Littré, nous ne pensons pas qu'Auguste Comte ait fait dévier le moins du monde le positivisme en voulant instaurer une « religion de l'Humanité » ; ce « mysticisme » spécial n'était rien d'autre qu'un essai de fusion des deux tendances caractéristiques de la civilisation moderne. Bien mieux, il existe même un pseudo-mysticisme matérialiste : nous avons connu des gens qui allaient jusqu'à déclarer que, alors même qu'ils n'auraient aucun motif rationnel d'être matérialistes, ils le demeureraient cependant encore, uniquement parce qu'il est « plus beau » de « faire le bien » sans espoir d'aucune récompense possible. Ces gens, sur la mentalité de qui le « moralisme » exerce une si puissante influence (et leur morale, pour s'intituler « scientifique », n'en est pas moins purement sentimentale au fond), sont naturellement de ceux qui professent la « religion de la science » ; comme ce ne peut être en vérité qu'une « pseudo-religion », il est beaucoup plus juste, à notre avis, d'appeler cela « superstition de la science » ; une croyance qui ne repose que sur l'ignorance (même « savante ») et sur de vains préjugés ne mérite pas d'être considérée autrement que comme une vulgaire superstition.
La dissonance ; explosion d'incompréhension tous les jours. Écart énorme entre la vie a la quelle nous songeons et celle que les jours nous amènent. Dans nos mains, l esprit des jours meilleurs fait son nid. Des petits morceaux de ceci ou cela agglomérantes, faisant des petites choses avec du sens. Écouter ses gestes, voir pour quoi elles ressemblent a des oiseaux ; faire confiance aux endroits ou elles veulent voler. Les hauteurs pour elles ne sont pas de vertiges. Les vents ne peuvent amener que du sable chaud du sud ; la ou la mer a moulu les rochers têtus des côtes de l'Afrique. La dissonance finira par se faire à l'harmonie des temps qui viennent. Elle fondra les glaces trop restées a rendre triste nos âmes. Elle finira par ramollir le rocher impétueux des certitudes des nos maîtres. Elle fera du confetti pour la pluie, que les nuages préparent, sagement, dans ses rondeurs des calebasses, dans ses pirouettes copiant l'innocence du petit prince.
Miyoceleste février 10 du 2018 - 5 h 05 pm