LES SERVICES SECRETS ET VOUS

Lieutenant-colonel « X »

avec

Jacques Léger

Missions, méthodes,
techniques spéciales
des services secrets

au 21e siècle

Éditions Regard sur le monde.

2013

TELECHARGEZ LE FICHIER SI VOUS VOULEZ

« Si vous cherchez à savoir ce que sont des espions dans la plupart des quelque 180 pays de ce monde ; il s'agit d'une force de police interne utilisée contre sa propre

population dans le but de maintenir quelqu'un au pouvoir »[1].

Déclaration de l'amiral Mike McConnell lors

de son discours de prise de fonction en

tant que directeur de la NSA ; en 2008


SOMMAIRE

Avant-propos INTRODUCTION

Rôles connus et méconnus des services secrets : les missions du XXIe siècle.

RESSOURCES HUMAINES ORGANISATION ET HIÉRARCHIE DES SERVICES SECRETS ET DE LEURS RÉSEAUX.

De la source inconsciente au cadre des services.La vie de « l'employé » des servicesLa vie de l'agent clandestin Profils de recrues L'avocat et le psychiatre, piliers des services secrets modernes MÉTHODES Méthodes de surveillance Méthodes de recrutement et formation Le contrôle des sources et des correspondants, et leur manipulation La manipulation des individus Les méthodes modernes d'élimination des individus 1. l'élimination sociales 2. l'élimination physique Du contre-espionnage à l'intelligence domestique INFLUENCE La manipulation des groupes d'individus Influence et contre-influence De l'usage et de la surveillance de la culture De l'usage et de la surveillance des media de masse De l'usage et de la surveillance de l'Internet CONCLUSIONS Services secrets, monde sans lois.

AVANT-PROPOS

Le but de ce livre est d'offrir à son lecteur un cliché pris sur le vif de ce qu'est un service secret occidental en 2013. Cette manière anonyme d'aborder un tel sujet, généralement fort délicat à traiter sitôt que l'on parle d'un pays en particulier, a permis à son auteur de présenter pour la première fois à peu près tous les faits, méthodes et missions particulières des services secrets modernes qui étaient peu connus ou méconnus du grand public jusqu'alors. L'accent est donc mis sur la mission d'intelligence domestique (ou sécurité intérieure), au détriment de celle de l'espionnage en direction des pays étrangers, puisque cet autre sujet spécifique est régulièrement présenté au public par de nombreux auteurs.Cette présentation insiste également sur le quotidien d'un service secret et de ses personnels et agents, chaque fois que l'auteur a jugé que cela intéresserait le lecteur non-initié. L'approche Sociologique du service secret occidental « typique » y est donc très présente.Les explications, lorsque très techniques, sont enrichies d'exemples et de courts récits de missions et d'opérations qui se sont réellement produites, ou qui sont fortement inspirées de missions ayant réellement existé durant les vingt dernières années. Des références et des notes historiques et techniques ont ponctuellement été ajoutées chaque fois que cela fut jugé nécessaire, en particulier à l'attention du lecteur qui ne peut avoir connaissance de certains faits communs aux univers très particuliers du contre-espionnage, de l'influence et de la contre-influence, et de la sécurité intérieure en général. Les contextes politiques des faits et anecdotes rapportés sont également indiqués chaque fois cela est nécessaire à leur bonne compréhension.Les noms des intervenants, ainsi que les endroits où les missions citées en exemples se sont produites, ne sont que rarement mentionnés, aux seuls motifs de leurs actualités et de la préservation de l'anonymat des personnes qui y ont été impliquées, activement ou passivement.Cette description s'achève sur une critique personnelle de l'auteur concernant les évolutions et nouvelles missions des services secrets depuis la fin de la Guerre froide.Ce livre n'est pas le fruit d'une investigation de type journalistique ; il a été établi sur la base d'une connaissance pratique vécue de son auteur, dans une large mesure, laquelle couvre les trente dernières années précédant l'année 2013.L'espionnage aujourd'hui n'est pas seulement une profession, mais, comme la plupart des professions, celle-ci a pris les apparences d'une discipline, avec une méthodologie, un vocabulaire,un ensemble de théories et même une doctrine, une collection de techniques élaborées et une large foule d'adeptes. Cette discipline présente la particularité de s'articuler autour du secret, au point que ce dernier est lui-même le thème d'un « rituel » qui l'emporte sur les motivations d'ordre politique.C'est ce rituel qui permet de définir qui fait partie du groupe des initiés, auxquels « on fait confiance », et qui en est exclu - autrement dit, qui détient un pouvoir et qui n'en a aucun, puisque le secret est le pouvoir.Concernant les termes de la profession de l'espionnage employés dans ce livre, quelques-uns de ceux-ci ne prétendent pas être exacts du point de vue des services secrets de chaque pays. C'est tout spécialement le cas du mot « agent », qui peut avoir une signification fort différente d'un pays à l'autre. Par exemple : le FBI a des employés salariés à temps plein qui sont officiellement ses agents, tandis que la CIA, le SVR, la DGSE ou le MI6 recrutent des « agents » qui ne sont pas leurs employés au sens formel de ce dernier terme, mais bien des correspondants réguliers clandestins dont ils peuvent nier la collaboration à tout moment. C'est cette seconde définition qui a été adoptée dans cet ouvrage, ce qui a contraint l'auteur à nommer « employés » tous les personnels travaillant à temps plein pour les services secrets, et qui ont couramment accès à de la documentation confidentielle,propriété d'un État.En raison du même problème, quelques autres définitions ont été arbitrairement choisies une bonne fois pour toutes pour chaque collaborateur officiel ou clandestin, et parfois aussi au moment de nommer des services et départements que l'on rencontre ordinairement dans à peu près tous les services secrets occidentaux actuels sous des noms différents. Le lecteur, professionnel du renseignement, saura les substituer à celles employées dans son pays.Janvier 2013

INTRODUCTION

Rôles connus et méconnus des services secrets 

Les missions du XXIe siècle Tout le monde a appris, par les canaux des media, et beaucoup aussi par la fiction des films et romans, que l'espionnage à l'étranger est la vocation des services secrets. Ceci vient du fait que ce volet de la mission générale des services secrets revêt bien souvent un caractère romanesque, en effet. Dans la réalité, les missions d'espionnage dans les pays étrangers mobilisent bien moins de cadres, d'agents conscients et inconscients et autres sources que la mission dite d'intelligence domestique (ou sécurité intérieure), laquelle sera largement présentée dans ce livre.La mission d'espionnage à l'étranger implique des nombres d'individus et des moyens d'importances très inégaux selon les pays surveillés et services secrets concernés. Chaque pays à ses alliés, ses ennemis, et aussi, parfois, un allié dominant ou, à l'inverse, satellite (dominé). Dans ces deux derniers cas, l'influence ou la domination complète exercée est aussi discrète que possible. Il ya des pays puissants qui ont acquis, au fil du temps et parfois historiquement, une très grande influence politique et/ou économique sur d'autres, plus faibles. Il y a des alliances de pays au seindesquelles, cependant, finissent toujours par émerger des leaders. Les choix politiques et économiques des pays dominés sont évidemment assez restreints ; leurs dirigeants n'ont guère d'autre option que de se soumettre à celles choisies par celui qui se présente toujours à eux comme unprotecteur.La fin de la Guerre froide a officiellement entraîné la disparition d'un antagonisme entre deux grands groupes de nations qui furent appelés « blocs ». Ces blocs réunissaient chacun des alliés, et chacun un pays dominant. 

Cette perception de l'alliance politique et stratégique doit être pondérée lorsque parlant du monde de l'après-Guerre froide.Pour des raisons que le lecteur comprendra à la lecture des chapitres de ce livre consacrés aux usage et surveillance des media et de l'Internet, les journalistes, aussi compétents et consciencieux soient-ils, ne s'attardent jamais trop sur les faits d'ordre géopolitique. Et les professeurs de sciences politiques et de relations internationales s'étendent toujours plus facilement sur les évènements passés que ne couvrent plus le secret et les impératifs d'ordre diplomatique.Tous les services secrets espionnent chacun plus volontiers certains pays que d'autres, mais un phénomène remarquable est apparu depuis la fin de la Guerre froide, et celui-ci est devenu assez courant car il découle d'une nouvelle manière de se faire la guerre, c'est-à-dire autrement que par l'usage d'armes létales et visibles telles que chars, canons, avion et navires armés. Il consiste en un refus de reconnaître son ennemi comme tel, voire à le désigner à l'opinion publique comme un« allié » dans quelques cas. Une nécessité aussi logique que cruciale vient justifier de tels dénis :celle d'éviter à tout prix que le conflit ne vienne à déboucher sur un véritable affrontement armé, ou même simplement sur des mesures d'embargo économique.Car nous n'en sommes plus à redouter seulement la guerre avec ses morts et ses blessés ; il est devenu vital pour chaque pays de maintenir des échanges économiques, et donc des relations diplomatiques avec tous les autres, même lorsque certains de ceux-ci sont des ennemis. Il y a des exceptions que l'on pourrait compter sur les doigts d'une main ; de plus, elles ne concernent que des puissances qualifiées de mineures.Il résulte de tout ceci que le public a accès, grâce aux media, aux nouvelles de ce qu'il connaît sous les noms de « politique » ou de « relations internationales », de « diplomatie », lesquelles ne présentent (sauf dans le cas de pays mineurs, incapables de déclencher un conflit armé d'envergure susceptible d'en contaminer d'autres) que ce qu'il convient d'appeler, dans le contexte de ce livre,les « visées formelles », ou « visées de forme ». 

Les visées formelles viennent toujours masquer des visées réelles, parce que ces dernières sont presque toujours jugées irrecevables par un public non initié(le plus large) qui ne parvient pas à concevoir la politique internationale et ses enjeux économiques autrement que sous l'angle d'une éthique adaptée à des interactions sociales entre individus.Ce que ce grand public connaît sous le nom de « relations internationales », les initiés - parmi lesquels on trouve, tout spécialement, les cadres des services secrets - les nomment« realpolitik »[2]. De cette perception réaliste des relations internationales, et même de la politique intérieure ainsi que nous le verrons, découlent la phrase célèbre, « en politique, il n'y a ni amis ni ennemis ; seulement des intérêts », laquelle résume assez bien ce qu'est la realpolitik, en effet.Baignant au quotidien dans un milieu où la limite entre travail et vie privée est moins que ténue, et où les notions qui viennent d'être sommairement expliquées prévalent sur toute autre considération,les cadres de tous les services secrets du monde se doivent de relativiser l'importance populairement accordée à l'individualité, à l'éthique et à la morale. Car s'ils n'y para venaient pas, ils seraient alors incapables de s'affranchir de leurs tâches quotidiennes et missions générales.Ces notions, qui forment, sur le long terme, ce que l'on peut qualifier « d'état d'esprit » étant posées, on peut enfin énumérer une liste sommaire des tâches ordinaires de tout service secret moderne, en prenant l'exemple d'un pays économiquement puissant et socialement avancé. Nous Utiliserons pour ce faire la terminologie propre à ces services du XXIe siècle, et nous avertirons le lecteur que ces différentes missions génériques ne correspondent pas nécessairement à autant de départements ou divisions d'un service secret. 

L'organisation d'un service secret moderne est plus complexe que ce nous en montrent parfois des organigrammes dessinés pour l'information du grand public, ainsi que nous le verrons ; c'est précisément le propos de ce livre de présenter une vision complète des services secrets modernes et de leurs missions, par son insistance sur tout ce qui a été longtemps caché.Comme la mission d'un service secret couvre tout ce qu'un État ne peut faire ouvertement ou revendiquer officiellement, la sécurité intérieure d'un pays est donc la première servie, et sa préservation est une tâche fréquemment nommée depuis quelques années :l'intelligence domestique[3], ou « espionnage domestique » ou « sécurité intérieure », est l'activité de surveillance à l'intérieur des frontières, visant à la surveillance de la population et des stabilités économique[4], politique et sociale du pays. C'est la mission prioritaire de tout service secret au XXIe siècle, c'est-à-dire avant les activités clandestines à l'étranger. Cette mission procède, pour l'essentiel, de l'usage d'un très grand nombre d'informateurs et d'agents, dans le cadre de partenariats officieux et informels avec les services de police, de gendarmerie et de douanes, et de l'entretien d'une organisation informelle de type « société secrète » lorsqu'il en existe une, au premier chef. Il existe fréquemment une relation étroite entre la mission (et les services) de contre espionnage et celle d'intelligence domestique ; nous verrons comment et pourquoi aux chapitres suivants.Sont couramment englobées dans la mission générale de l'intelligence domestique les tâches de :Surveillance des partis politiques, des organisations syndicales et corporatives, des associations et des religions universellement reconnues ;Surveillance des personnalités (élites) de tous les milieux (puisque, ayant un accès régulier aux media, celles-ci sont susceptibles d'utiliser leurs notoriété et popularité à des fins jugées subversives, délibérément ou des suites d'une influence ou d'une manipulation en provenance d'un pays étranger) ;Surveillance des employés des activités sensibles (défense, recherche, nouvelles technologies,production de matières premières importantes et d'énergie, traitement des eaux, services postaux,banque et finance, aéronautique, personnels des « entreprises clés » de la nation d'une manière générale...) ;Contrôle de la circulation des élites (contrôle et restrictions de l'accès des citoyens aux positions sociales et au pouvoir par la richesse ou la célébrité[5]).

La mission d'influence domestique, également intégrée dans l'intelligence domestique, et qui comprend :Surveillance des media ;Surveillance des nouveaux média (Internet, réseaux sociaux...) ;Surveillance de la culture (littérature et musique en particulier, puisqu'étant régulièrement et historiquement utilisées par des pays étrangers, des organisations terroristes ou extrémistes de divers types à des fins subversives ou de propagande).Sont englobées dans l'intelligence domestique, mais peuvent être détachées de celle-ci dans une certaine mesure, les missions particulières de :Lutte antiterroriste ;Surveillance des groupes extrémistes politiques et/ou religieux et des sectes ;Contre-espionnage et contre-influence ;Lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée (mafias, gangs importants et particulièrement dangereux) ;Lutte contre le faux-monnayage et les activités associées de contrefaçon de documents administratifs et d'identité divers ;Lutte contre le trafic d'armes ;Lutte contre la délinquance financière (« criminalité en col blanc ») ;Surveillance des importations ;Surveillance des jeux (casinos, courses, etc.), parce ce que ceux-ci sont fortement susceptibles de servir à des fins de blanchiment d'argent et de dissimulation de revenus illégaux, ou simplement non déclarés aux administrations fiscales, en général ;Surveillance des migrations et des minorités immigrées et ethniques.La collecte du renseignement à l'étranger : mission la plus connue et la plus popularisée des services secrets, elle englobe au XXIe siècle les activités de :Renseignement technologique : vol de découvertes scientifiques et technologiques, de procédés de fabrications et de concepts marketing et commerciaux, à vocation de défense comme civile, devant ensuite être transmis à des entreprises publiques et privées du pays (depuis la grande entreprise à la start-up, selon le cas et/ou de possibles objectifs stratégiques-économiques, ou autres, particuliers).Cette mission implique fréquemment la création d'entreprises ou de filiales, ainsi que l'envoi d'étudiants et de travailleurs migrants dans des « pays cibles ». 

Comme tâches associées à cette activité, on trouve, entre autres :l e reverse engineering (reconstruction d'une invention par analyse d'un exemplaire produit fini qui en a bénéficié ou d'un prototype) ;l a veille technologique, qui est une tâche de surveillance « soft » (sans vol) des activités des entreprises publiques et privées étrangères, devant précéder une tentative de vol ou, le plus fréquemment, produisant une information importante qui doit permettre à une entreprise nationale de devancer son concurrent étranger (stimulation de l'économie privée du pays et protection et surveillance des exportations/importations).Intelligence économique, qui consiste en la surveillance des indices et données économiques par secteur d'activité et des situations financières des entreprises comme des finances publiques étrangères. Cette mission comprend également la surveillance particulière des investisseurs étrangers importants, individus comme organisations, et une surveillance accrue des possibles opérations de fusion et d'acquisition par des entreprises étrangères. On y trouve aussi la surveillance des tentatives de spéculation sur les matières premières et les produits finis (informatique et nouvelles technologies), afin d'en tirer des déductions et de pouvoir formuler des prévisions.Renseignement politique, qui consiste à surveiller les évolutions politiques des pays, d'une manière générale, pour fournir des informations au pouvoir politique comme aide à la décision et à l'initiative. Un volet particulier de cette sous-mission consiste à repérer les individus susceptibles d'accéder à des postes politiques clés dans le futur, afin de les approcher, et, si possible, de les influencer favorablement, voire de tenter de les recruter comme agents (conscients ou inconscients)avant leur accès à des postes à responsabilité.Renseignement militaire, qui consiste à surveiller les activités des armées étrangères, la fréquence de leurs manoeuvres et exercices (qui peuvent signaler une préparation à une offensive), les nouveaux matériels qu'elles acquièrent et leurs quantités, un état des fidélités et obéissance au pouvoir politique en place, etc. 

Cette mission englobe la recherche d'informations sur les nouvelles armes en cours de test, et elle peut aller jusqu'à la recherche de recrues potentielles (agents) au seindes armées susceptibles de fournir des informations de tous types, voire de procéder à des opérations de subversion et/ou de sabotage (cette dernière mission peut également s'appliquer aux renseignements technologique et politique et à l'intelligence économique[6]).Surveillance des télécommunications, une sous-mission qui implique des moyens technologiques lourds et coûteux, auxquels ne peuvent prétendre qu'un nombre relativement réduit de pays. Elle Consiste à acquérir une capacité à intercepter les communications téléphoniques et assimilées(Internet) par fil comme par les ondes, dans le but de pouvoir sélectionner celles qui sont susceptibles de contenir des informations jugées importantes, à tous niveaux.Surveillance des signaux radioélectriques : assez proche de la surveillance des télécommunications, cette sous-mission consiste, plus spécifiquement, en une surveillance des émissions radioélectriques et en (l'éventuel) décryptage de celles-ci, ce qui comprend : les signaux radioélectriques émis par les avions, les navires, les satellites, et aussi les radars[7].La veille des media et des publications étrangers, n'est pas une mission distincte de celles précédemment évoquées ; elle est partie constituante de chacune de celles-ci selon les spécialités.Les publications et les media étrangers sont surveillés par une catégorie d'employés des services secrets appelés analystes. Les analystes ne se consacrent pas exclusivement à la lecture de toutes les publications des pays dont ils sont des spécialistes ; une telle tâche impliquerait le recrutement d'armées entières de tels employés, ce qui serait extrêmement coûteux et improductif. 

De plus, les analystes sont déjà en charge d'interpréter les informations en provenance d'agents en place dans les pays cibles, lesquelles sont acheminées jusqu'à eux de manières diverses et variées[8]. Ce travail permet, entre autres, mais principalement, d'informer l'élite dirigeante du pays sur ce qu'il se passe à l'étranger, et constitue en cela une aide aux décisions politiques et économiques.En fait, ce sont des « sources » et « contacts réguliers » (souvent informels) des services secrets qui repèrent les informations intéressantes dans les media étrangers, et les signalent, soit spontanément sur Internet où elles sont ensuite repérées et collectées parce qu'ainsi mises en évidence, soit directement à des contacts qui peuvent être des agents ou des journalistes (ce qui est bien souvent la même chose).De plus, les agences de presse de tous les pays étant les premières informées des faits d'actualité,celles-ci sont toujours en contact plus ou moins direct avec les services secrets de leurs pays respectifs, ce qui facilite grandement la collection[9] d'informations ouvertes[10] » en provenance de la presse, ou depuis les endroits mêmes où les évènements se sont produits, donc avant leur publication dans la presse.Bien que la mission de renseignement en général que nous venons de voir implique assez fréquemment le vol d'informations confidentielles, on peut considérer qu'il s'agit d'une activité essentiellement « passive », lorsque comparée aux tâches de la mission générale qui sont présentées plus loin, puisque pour dérober une information, encore faut-il, au préalable, qu'un pays cible laproduise d'une manière ou d'une autre.La mission réellement active des services secrets dans le contexte de la surveillance des media comprend, pêle-mêle, des activités relevant de la « guerre de l'information » (ou infoguerre, ou Information Warfare ) dans le pays comme à l'étranger, et qui sont généralement de nature hostile.Cette mission est aussi peu connue du grand public que celle d'intelligence domestique en général ;c'est pourquoi nous la développerons plus amplement que la précédente dans quelques chapitres.Celle-ci comprend :La propagande (ou influence), qui est diffusée par les services secrets autant dans leurs pays d'origine qu'à l'étranger. 

La propagande peut facilement être assimilée à de la publicité, parce qu'elle en emprunte souvent les mêmes supports et formes et techniques. Cette mission comprend :La propagande blanche, le plus souvent diffusée à l'intérieur des frontières, qui a pour vocation de flatter (grossir plus ou moins exagérément) une information, la réputation d'un personnage jouant un rôle clef ou devant être prochainement appelé à en jouer un à quelque niveau (politique, artistique,économique...), une nouvelle alliance (économique ou culturelle) avec un autre pays dans le cadre del'action diplomatique, etc.La propagande noire, toujours conçue pour nuire à un pays étranger, à une ou plusieurs de ses entreprises, à une ou plusieurs de ses personnalités. La propagande noire peut également être diffusée, sélectivement, soit à l'intérieur des frontières, soit à l'intérieur des frontières du pays attaqué, soit dans un pays tiers dans le but de nuire aux bonnes relations entre ce dernier et un pays cible, soit une combinaison de ces différentes possibilités, partielle ou globale.Par exemple, une action de propagande noire dirigée contre un pays étranger, cependant circonscrite dans son action à l'intérieur des frontières du pays qui en est l'auteur, peut servir :1. à faire baisser la popularité de ce pays cible (de ses produits, de sa politique...) auprès de l'opinion publique parce qu'elle est jugée gênante, économiquement ou politiquement ;2. à envoyer indirectement et non-officiellement un « message » hostile au pays cible dans le cadre des relations diplomatiques courantes (faire mettre le feu à un McDonald par un groupe de militants quelconque manipulé par les services secrets, par exemple) ;3. à adresser une réplique (avertissement) à une action de propagande (avérée ou perçue comme telle) en provenance du pays cible (contre-influence).

L'action de propagande noire dirigée contre un pays cible, et effectuée à l'intérieur des frontières de ce dernier, peut servir (entre autres exemples, car la diversité des buts est grande) à :- déstabiliser un candidat à l'occasion d'élections nationales, car on sait que les positions qu'il prendra, s'il est élu, seront défavorables aux intérêts du pays qui en est l'auteur ;- tenter d'influencer des décisions ou des votes à l'occasion de grands rendez-vous internationaux dans le pays cible ;- tenter de faire se retourner l'opinion publique du pays cible contre ses dirigeants, et ainsi, au plus simple, de faire renoncer ceux-ci à voter une loi qui sera défavorable aux intérêts du pays auteur de l'action de propagande noire ;- favoriser l'élection d'un candidat dont on sait qu'il a des sympathies pour le pays auteur de cette action de propagande, ou, s'il est élu, votera dans l'intérêt de ce dernier à l'occasion d'une prochaine réunion internationale d'importance ;- attaquer une entreprise de ce pays et/ou ses produits et services (pour des raisons économiques et stratégiques, le plus souvent).On le voit, l'action de propagande défie plus l'éthique et la morale chère au peuple que le vol d'informations sensibles. C'est pourquoi les services secrets refusent toujours de s'étendre sur cet aspect de leur mission générale durant des interviews ou des reportages ; ils le nient en bloc, même.Car tout service secret compte bien acquérir une image qui lui est favorable auprès de la nation,auréolée d'héroïsme, ainsi que l'indiquent les « retours au pays » en fanfare des agents qui ont été capturés ou retenus en otages durant leurs missions à l'étranger - il faut aussi mentionner les livres régulièrement publiés par des anciens des services, et qui insistent presque toujours sur de spectaculaires missions dangereuses ou des captures réussies de terroristes et d'espions étrangers.

Mais la sous-mission de propagande est encore loin de heurter les considérations morales et éthique populaire autant que peuvent le faire certains aspects de l'intelligence domestique, ou même seulement le quotidien caché des agents et des employés des services secrets, ainsi que nous le verrons.Selon les pays, la propagande entreprise par un service secret peut prendre des noms communiquant des perceptions fort différentes les unes des autres ; presque tous cherchent à être aussi peu explicites que possible, toujours en raison de cette connotation négative et très impopulaire que nous venons d'évoquer : « mesures actives » en Union Soviétique, puis en Russie, « public diplomacy » aux États-Unis...L'influence : lorsque ce terme n'est pas utilisé au sens général englobant les différentes formes de propagande dans le pays ou à l'étranger, il est une dernière forme, plus subtile et parfois très difficile à identifier, de propagande, ou qui peut être assimilée à cette dernière. C'est pourquoi cette soumission mérite d'être bien expliquée.Une « action d'influence » peut être dirigée contre un petit groupe d'individus, voire contre un individu seul, ou contre une nation tout entière. Dans ce dernier cas, il est souvent difficile de marquer la distinction entre propagande et influence strictement parlant (être influencé, dans ses pensées, ses décisions...). Cependant, les actions d'influence impliquent souvent un seul acteur que l'on nomme alors « agent d'influence », tandis qu'il n'existe pas d'« agent de propagande » (même si,bien souvent également, un seul agent est à l'origine d'une action de propagande).La propagande peut être une action soudaine, de brève durée et très visible ; l'influence est toujours très progressive, insidieuse, et elle s'inscrit dans une mission de longue, voire de très longue durée ; elle vise à modifier durablement l'entendement de ceux qui doivent en être les victimes.

L'influence, comme son nom l'indique, consiste à influencer les gens, avec, toujours, l'espoir qu'ils n'aient absolument pas conscience d'avoir été influencés lorsque la mission arrive à son terme.Tous les services secrets du monde utilisent le même « manuel de base », pourtant rédigé il y a 2600 ans : L'Art de la guerre, par le stratège chinois Sun Tzu. Et la citation la plus fréquemment extraite de ce petit livre dit, sans ambiguïté aucune cette fois : « tout l'art de la guerre repose sur la duperie ».Les cadres des services secrets l'associent bien volontiers à celle d'un autre stratège, allemand, et du XIXe siècle celui-ci, Karl Von Clausewitz : « la guerre est la poursuite de la politique par d'autres moyens »[11].Il faut, bien sûr, placer ces mots dans leur contexte actuel, lequel a été lui-même largement façonné par les services secrets de tous les pays. Il y a seulement un demi-siècle, la guerre avait une signification universelle comprise de tous ; aujourd'hui, les services secrets, dont le pouvoir s'est considérablement agrandi, au point qu'il est devenu un État dans l'État dans bien des pays, et dont les chefs deviennent souvent chefs d'État de leur pays, parlent de « guerre économique », de « guerre informationnelle », de « guerre technologique »... Les effets directs et les plus visibles de ces« guerres » du XXIe siècle ne se comptent plus en morts ni en blessés, mais en chômeurs, et en ce que certains appellent des « âmes perdues », d'autres des « zombies », nous verrons pourquoi plus loin.L'agit-prop : est un terme des services secrets relativement ancien et qui n'est plus guère en usage courant, parce qu'il désigne des activités englobées dans les sous-missions de propagande et d'influence. Spécifiquement, l'opération d'agit-prop (pour « agitation et propagande ») implique presque toujours des agents (conscients ou non) ayant une aptitude particulière de leader, et qui sont prompts à tenter de rassembler des individus au nom d'une cause quelconque en laquelle ils croient souvent sincèrement. 

L'agent d' agit-prop est plus souvent une personne sincère qui est manipulée qu'un agent conscient qui ment constamment.Les buts d'une mission d'agit-prop peuvent être, entre autres cas :- la création d'un vrai mouvement contestataire ou de dissidence dans un pays étranger, et/ou la phase préalable et préparatoire à une tentative de coup d'État ;- la création d'un faux mouvement dans le pays (ou d'un mouvement sous contrôle) contestataire ou de dissidence, dont l'unique vocation n'est autre que d'attirer des individus ayant sincèrement les mêmes idées, pour pouvoir les identifier, voire placer leurs actions sous le contrôle discret des services secrets (à l'insu des intéressés, bien entendu). Ce cas relève fréquemment, de nos jours, de la mission, plus générale, de lutte contre le terrorisme, de lutte contre les mouvements autonomistes et irrédentistes et de lutte contre des formes de dissidence politique réelles susceptibles de nuire à la stabilité sociale du pays[12] ;- la création d'un vrai mouvement d'opinion à l'intérieur des frontières devant influencer l'opinion publique en faveur d'options politiques que le gouvernement du pays ne pourrait tenter d'imposer de lui-même et par lui-même sinon, soit en raison d'une question d'ordre diplomatique, soit parce que la population refuserait une telle option si elle ne semblait provenir d'elle.Exemples : il faut nécessairement des leaders d'opinion pour initier des mouvements populaires anti dirigés contre un pays en particulier et sa culture ; une loi pourra plus facilement être votée et acceptée par la population si elle semble répondre au désir ou au besoin d'une minorité significative au minimum, laquelle aura été, dans les faits, mais à l'insu de tous, rassemblée et contrôlée dans le cadre d'une opération d'agit-prop initiée par les services secrets.

La protection des personnalités est une mission fréquemment prise en charge par les services secrets, de manière directe ou par l'intermédiaire de policiers ou de gardes en contact permanent avec ceux-ci.Le volet le plus large de cette soumission concerne la protection des personnalités « connues »ou « importantes », ce qui permet du même coup de surveiller leurs éventuels agissements suspects(toujours possibles), et de filtrer les tentatives de contact avec celles-ci par des individus inconnus ou susceptibles de les influencer dans un sens qui pourrait être contraire aux intérêts nationaux(protection contre les tentatives d'influences en provenance de l'étranger et leurs agents).Le volet marginal de la protection des personnalités, plus discret, concerne des ressortissants étrangers en exil populairement connus dans leurs pays, qui sont recherchés ou ont été condamnésdans leurs pays, mais qui sont susceptibles d'y jouer un rôle important dans un futur plus ou moinslointain, en cas de changement de gouvernement ou de renversement du pouvoir en place. De tels individus, selon leur importance passée ou actuelle et leur popularité dans leur pays d'origine, seront plus ou moins bien traités. Car s'ils retournent dans leur pays plus tard, où ils seront souvent accueillis comme des héros, ils seront alors fortement susceptibles d'y exercer rapidement des fonctions politiques au plus haut niveau, et, en tant que tels, ils seront de puissants « leviers » dans leur pays, en « reconnaissance » à celui qui les aura protégés durant leurs exils. Il n'est donc pas rare que ces réfugiés revenus dans leur pays y deviennent des agents à part entière des services secrets du pays qui les a pris sous sa protection.Toujours concernant les « missions actives » nous trouvons ensuite :Les actions hostiles physiques comprenant :Le sabotage, qui peut être effectué contre un large choix de cibles, et dont les formes n'ont de limites que celles de l'imagination. 

Ce genre de missions actives va, du plus simple au plus compliqué, du sabotage d'un véhicule en vue de l'immobiliser ou de créer des dépenses lourdes pour son propriétaire (cas d'un harcèlement), à l'attaque informatique massive en vue de saturer un serveur, à la destruction de matériels lourds de toutes sortes (station d'épuration des eaux, centrale nucléaire, centrifugeuses d'uranium enrichi, lignes caténaires de trains...). Ce type d'action présente la particularité d'être presque toujours accompli par des militaires-spécialistes très entraînés et dont les unités sont plus ou moins officiellement rattachées à un service secret ou ponctuellement employées par ceux-ci ; ou, lorsque ce n'est pas le cas, d'être supervisé par des personnels civils ou agents ayant une compétence particulière.Les actions de sabotage sont courantes et peuvent être effectuées : autant à l'intérieur des frontières contre des cibles désignées comme hostiles et nuisibles aux intérêts nationaux, que dans des pays étrangers. Dans le premier cas, l'action de sabotage est presque toujours ordonnée par un service de contre-espionnage, dont nous verrons la mission plus loin.Le harcèlement, qui est une des sous-missions actives les plus courantes et les plus ordinaires des services secrets. Une opération de harcèlement peut être dirigée contre des individus isolés ou des entreprises et organisations diverses (dans le pays ou à l'étranger), et elle vise généralement : soit à contraindre une personne ou un groupe de personnes (entreprise, association ou assimilé) à se soumettre implicitement à la volonté d'un service secret, via un intermédiaire qui ne se présentera jamais clairement comme un agent de ce même service, afin de ne pas courir le risque d'exposer publiquement celui-ci ; soit à pousser un individu ou une entreprise à cesser une activité ou à quitter le pays ; soit à l'élimination sociale ou physique d'un individu ou d'une entreprise. 

Les expressions« élimination sociale » et « élimination physique » signifient ici, respectivement, la fabrication d'un discrédit important contre un individu, et une action visant à le pousser à mettre fin à ses jours(suicide), ou à provoquer sa mort.Le harcèlement étant un acte très impopulaire et considéré par l'opinion publique comme une forme de perversion, ce type de mission est toujours exécuté avec de très grandes précautions. Une Opération de harcèlement implique fréquemment un assez grand nombre d'agents et de contacts occupant chacun, ordinairement, des activités professionnelles diverses et variées (depuis l'électricien au psychiatre, en passant par l'employé de banque et autres services publics...). Cette Soumission aussi particulière que méconnue sera largement présentée dans ce livre.L'élimination sociale est presque toujours la suite logique de l'opération de harcèlement précédemment évoquée, et, ainsi que son intitulé le suggère, elle concerne un individu. L'élimination Sociale consiste en la fabrication du discrédit, lequel peut revêtir diverses formes, scandaleuses ou/et particulièrement dégradantes pour celui qui en est la cible. Elle est souvent accompagnée d'une« destruction » des moyens économiques de la cible (emploi, rentes...), puisque ceux-ci contribuent largement à la crédibilité.Le lecteur sera peut-être surpris d'apprendre que les services secrets emploient couramment l'élimination sociale contre leurs propres agents et sources, soit pour prévenir un risque de révélation d'informations de nature confidentielle et nuisibles à la réputation du service secret lui même,d'une personnalité en vue, d'une entreprise ou d'une institution gouvernementale, soit dans le cadre d'un recrutement hostile, ainsi que nous le verrons dans un autre chapitre.L'élimination physique désigne bien l'assassinat, lequel, en ce XXIe siècle, est rarement exécuté selon les modalités spectaculaires que le cinéma et la littérature présentent régulièrement au grand public. Car, dans une large majorité de cas, il est nécessaire que l'attention de l'opinion publique ne soit pas éveillée par un cas de mort suspecte, lequel mène inévitablement à des recherches concernant les causes possibles du décès.

C'est pourquoi les cibles[13] de ce genre de sous-mission décèdent le plus fréquemment par suicide suivant une dépression, soit des suites d'une maladie ordinaire ou d'un accident, souvent en rapport avec les activités et penchants naturels de celles-ci (alcoolisme, tabagisme, stupéfiants, sexe,sport à risque...).Les éliminations physiques violentes existent cependant, et celles-ci peuvent avoir trois causes,principalement :1. la cible fréquentait des milieux interlopes dans lesquels la violence physique est courante et notoire (gangs, mafias, organisations terroristes, sectes, etc.) ;2. la cible a été placée dans une situation où le risque de mort violente est élevé (altercation suite à un cambriolage dans la demeure de la cible, mise en contact de la cible avec un malade mental,sport ou activité réputée à haut risque, telle que parachutisme, parapente, alpinisme, conduite à grande vitesse, pilotage...)3. la mort violente est parfois utilisée, en seconde instance, comme un avertissement adressé à d'autres personnes concernées. Par exemple : une mort violente par arme conventionnelle peut être sujette à diverses interprétations et spéculations ; une mort violente par empoisonnement à l'aide de substances particulièrement rares et difficiles à se procurer (le polonium, par exemple) laisse peu de doutes sur l'auteur présumé : un État, le seul ayant accès à ce type de poisons hautement toxiques et à savoir les utiliser.

L'opération paramilitaire, quoique officiellement exécutée par des militaires, ou par des mercenaires, est toujours une mission supervisée par les services secrets. Il n'est pas nécessaire de décrire plus amplement ce type de sous-missions, puisque l'actualité la rapporte largement et fréquemment. Tout juste peut-il être utile de rappeler que tout service secret dispose d'unités militaires d'élite devant se tenir toujours prêtes à intervenir à l'étranger, dans le cadre d'opérations diverses et variées, depuis le sauvetage et la récupération d'un otage ou d'un agent[14] à la participation discrète à un coup d'État.Nous arrivons à une sous-mission générale qui peut revêtir des aspects passifs et actifs, c'est pourquoi celle-ci fera l'objet de présentations séparées.Le contre-espionnage défensif est une sous-mission qui a été largement popularisée par le cinéma et la littérature de fiction, et aussi par quelques essais écrits par des personnels des services de contre-espionnage. Le contre-espionnage est, dans son principe et à la base, une activité quasi policière de recherche et d'investigation, puisqu'elle consiste à chercher et à identifier des espions envoyés dans le pays par des puissances étrangères, et même des espions payés par des entreprises qui cherchent à savoir ce que font leurs concurrents les plus importants (espionnage industriel et économique).Mais le grand public ignore à peu près tout du contre-espionnage au-delà de cette première étape d'investigation policière, la seconde relevant couramment du :Contre-espionnage offensif, qui est un second volet de la mission générale de contre-espionnage.Le contre-espionnage offensif est une activité très particulière parce qu'elle associe de hautes capacités intellectuelles (que l'on pourrait qualifier de « raffinées ») à des actes crapuleux que la morale et l'éthique réprouvant fermement.Ce que l'on appelle des « agents doubles », personnages qui ont tout de même largement été popularisés par la littérature et le cinéma, sont un produit exclusif du contre-espionnage offensif. 

Car la mission principale du contre-espionnage offensif est l'intoxication » des services secrets étrangers par la manipulation de l'espion que ceux-ci ont envoyé en mission, ou par d'autres méthodes, tactiques ou stratégies.En ce XXIe siècle plus que jamais, chaque fois qu'un service de contre-espionnage démasquer un espion étranger, il considère qu'il est infiniment plus productif d'en faire un agent double que de l'expulser hors des frontières ou de le condamner à une lourde peine. Aussi, l'arrestation officielle d'un espion a toujours une conséquence diplomatique, ainsi qu'une influence sur l'opinion publique concernant le pays impliqué. Or, en vertu de qui a été expliqué au tout début de cette introduction, ces conséquence et influence sont rarement désirées.C'est pourquoi l'arrestation médiatisée d'espions étrangers s'inscrit toujours, aujourd'hui, dans le contexte d'une manoeuvre diplomatique, visant généralement à obtenir des concessions ou à placer utilement un pays en position de faiblesse (à l'occasion d'une grande rencontre internationale proche dans le temps, et lors de laquelle des négociations doivent prendre place). L'arrestation d'un espion étant devenue une manoeuvre politique, la date effective de celle-ci est désormais toujours définie en accord avec les plus hautes instances gouvernementales et diplomatiques.Par exemple, les États-Unis, durant les 40 dernières années, environ, se sont contentés de discrètement expulser de leur territoire d'innombrables espions étrangers envoyés par des pays qui sont officiellement leurs alliés militaires et politiques [15].Ces explications expliquent pourquoi les affaires d'espionnage rapportées par les media sont devenues rares, car il n'y a pas moins d'espions aujourd'hui que durant la Guerre froide - c'est même tout le contraire.Enfin, nous arrivons à la présentation des missions internes des services secrets, lesquelles ne sont pas exclusivement administratives. 

Il y a, bien sûr, un « service du personnel », de même qu'il ya des personnels chargés de tâches comptables et budgétaires, de même qu'il y a un service chargé du bon entretien des locaux principaux et annexes (électricité, plomberie et maçonnerie comprises), un service du matériel en usage courant dans un service secret (quoique cette partie est fréquemment gérée de manière autonome par spécialités), etc.Le plus important de tous ces services « annexes » est certainement aussi le plus sensible entre tous ; il s'agit du Service de sécurité intérieure, dont la mission consiste à surveiller chaque employé des services secrets, afin de prévenir d'éventuelles fuites d'informations, des écarts de conduite pouvant mener à des fuites ou à des expositions des activités des services, et bien sûr des trahisons, toujours possibles. Le travail du service de sécurité intérieure est assez similaire à celui d'un service de contre-espionnage (ou même d'un service de sécurité d'un grand magasin chargé de surveiller ses employés), sauf que le champ d'action de celui-ci se limite aux personnels des services secrets ainsi qu'à leurs familles et relations.Lorsqu'un service secret suspecte d'avoir été pénétré (infiltré) par un espion d'un autre pays (que l'on appelle populairement une « taupe »[16]), c'est le service de sécurité intérieure qui se voit ordinairement confier la tâche de l'identifier.Le service de sécurité intérieure a également une place et un statut particuliers au sein d'un service secret, parce que, celui-ci ne collaborant jamais avec aucun des autres services ou départements, n'entretient donc pas de relations avec les personnels de ceux-ci, ses membres y sont perçus comme des gens isolés, ou comme une police interne redoutée[17].Le service de sécurité intérieure à pour autre responsabilité de superviser la mission du Service de sécurité extérieure, lequel peut être assimilé à un service somme toute ordinaire de sécurité physique des services secrets, c'est-à-dire à un service de gardiennage de ses locaux et du contrôle des entrées et sorties quotidiennes des personnels, des contrôles d'objets apportés et emportés par ces derniers, grâce à des moyens techniques et des fouilles et inspections des vêtements, bagages et véhicules.

Cette présentation d'un service secret type d'un pays riche n'est pas exhaustive, et elle ne permet pas de se représenter précisément ses tailles, moyens techniques et personnels ainsi que ses différents services ; y consacrer la totalité des pages de ce livre n'y suffirait encore pas.Typiquement, un service secret a un quartier général, mais il a toujours, aussi, de nombreux locaux et annexes secrets disséminés dans son pays, dont les adresses sont inconnues du grand public et qui,bien souvent, se présentent sous des couvertures[18] que des non-initiés trouveraient inattendues ou insolites. Par exemple, il est fréquent qu'un bâtiment administratif aussi anodin qu'un ministère ou une annexe de ministère ait une partie de ses locaux occupée par une section d'une direction, d'un département ou d'un service, ou par une antenne régionale d'intelligence domestique, de contre espionnage ou d'appui ou d'assistance technique...Nous n'avons même pas encore ne serait-ce que entrevu toutes les entreprises privées sous contrôle des services secrets, et le lecteur aurait certainement peine à croire qu'il existe également de véritables villages des services secrets ayant (à quelques petits détails près) toutes les apparences d'un village ordinaire. Ces villages sont des « ruches » délocalisées des services secrets réunissant des analystes, des techniciens ou des spécialistes de la surveillance physique (filatures, etc.)[19].À cela vient s'ajouter une éventuelle multiplicité des agences de renseignement diverses, civiles et militaires d'un même pays (y compris les services spécialisés de lutte contre le terrorisme, le faux monnayage,les services de renseignement militaire, etc.) qui, ensemble, forment ce que les spécialistes nomment une « communauté du renseignement »[20].

Ensuite, il est encore plus difficile de se figurer simultanément le nombre total de personnes oeuvrant à temps plein pour les services secrets d'une grande puissance économique, et celui de ses officiers traitants, agents, contacts et sources.Il ne serait pas inexact de se représenter cet ensemble sous la forme d'un grand « arbre », avec son« tronc », ses « grosses branches » et ses « grosses racines principales » comme les personnels à temps plein et moyens structurels et techniques, et ses « racines » et « branches secondaires »,jusqu'aux « feuilles » et « bourgeons », comme ses contacts humains à partir du niveau des officiers traitants. Pas plus qu'il serait inexact de se représenter l'ensemble d'une organisation de ce type sous la forme d'un « système nerveux », avec toutes ses « terminaisons nerveuses », jusqu'aux « pointes des pieds ».Le « tronc » (ou le « cerveau ») d'une organisation de ce genre emploi typiquement, dans le cas d'un pays occidental classé parmi, disons, les 20 premières puissances économiques, plusieurs milliers de personnes employées à temps plein, avec une moyenne comprise entre 10 000 et 20 000.Tous les individus qui sont « attachés » à ce « tronc » (ou qui sont en connexion avec ce« cerveau ») forment un groupe qui peut aisément et fréquemment représenter plusieurs centaines de milliers d'individus, voire plusieurs millions dans quelques cas (selon quelques évaluations).Car tous les services secrets s'abreuvent quotidiennement à d'autres sources d'informations, à commencer par les réseaux immédiatement opérationnels des « contacts privilégiés » et« informateurs » des services de police ordinaire, de gendarmerie (le plus grand dans quelques pays où la gendarmerie est un corps militaire), de douanes et de services fiscaux.

Et l'on pourrait encore ajouter le réseau informel de certaines corporations dont les travailleurs sont toujours plus prompts que ceux des autres à collaborer, et qui, en raison de leurs spécialités respectives, sont amenés à rencontrer de grands nombres de personnes ou à naturellement être informés de tous les faits extra-ordinaires ou jugés « anormaux » de leurs villages, communes et villes : les pompiers, les employés des services postaux, les services d'urgences médicales et les ambulanciers, les sociétés de gardiennage, les chauffeurs de taxi, les maires et les employés municipaux, et, « traditionnellement » pourrait-on dire dans de nombreux pays, les propriétaires et personnels des bars, cafés, restaurants et hôtels.Ces dernières sources d'informations immédiatement disponibles sont considérablement réduites à l'extérieur des frontières, bien sûr, car au-delà de celles-ci, c'est un service allié ou rival qui en jouitpleinement.De toute façon, il serait impossible d'arriver à un nombre exact, quel que soit le pays considéré,puisque celui-ci change quotidiennement, au gré des recrutements jugés nécessaires et des disparitions de sources et d'employés, en raison des maladies, invalidités et décès.Dans de nombreux pays européens, la fin de l'occupation nazie et la récupération des archives de police laissées par l'armée allemande a permis au grand public de se représenter, à la fois combien la plupart des individus sont prompts à dénoncer leurs semblables pour diverses raisons qui vont de la peur aux jalousies et rivalités ordinaires, et quelle proportion de la population collabora de lasorte. Il n'était alors pas question d'un « nombre d'individus sur cent », mais sur dix, et dans le cas de quelques pays sur 5 ou sur 6[21].

RESSOURCES HUMAINES ORGANISATION ET HIÉRARCHIE DES SERVICES SECRETS ET DE LEURS RÉSEAUX


De la source inconsciente au cadre des services.

Depuis l'époque de la Guerre froide, les services secrets de tous les pays ont connu un développement que l'on pourrait qualifier d'exponentiel. Il y a quelques années, un spécialiste anglais de l'espionnage écrivait dans un article de l'International Journal of Intelligence and Counterintelligence[22], parlant du développement des activités d'intelligence domestique dans un pays du Sud de l'Afrique, que les services secrets y employaient des méthodes avec la population ordinairement utilisées avec des agents secrets. Ce pays s'était embarqué dans une politique de contrôle total de la population peut-être plus ambitieuse encore que celle qui avait précédemment été entreprise en Union Soviétique et en Chine maoïste.Avant de décrire le fonctionnement d'un modèle type de service secret et de son organisation, il convient de comprendre les causes de ce fort développement de ses moyens et effectifs que l'on constate dans beaucoup de pays, car elles sont multiples.Tout d'abord, de nombreux experts géo politiciens, historiens, stratèges et même économistes sont d'accord pour dire que l'ancienne division du monde en deux blocs de pays, chacun grossièrement appelé « Est » et « Ouest », apportait quelques bienfaits avec ses craintes d'une guerre nucléaire généralisée. En effet, avec la fin effective de l'Union Soviétique disparurent du même coup les notions élémentaires d'ennemi et d'ami, lesquelles avaient permis jusque-là aux populations de(presque) tous les identifier sur la carte du monde. Pourtant, nous avons appris depuis, bien souvent à nos dépens, que les vieux antagonismes n'ont nullement disparu ; pire, une censure générale s'abat désormais systématiquement sur toute tentative de les nommer. Le monde de l'après-Guerre froide est, à certains égards, devenu un monde « schizophrène » dans lequel il faut s'accrocher à un fantasme de paix et de bonne entente universelles autour d'une table commune sous laquelle pleuvent les coups de pieds bien réels.

Dans les pays les plus impliqués dans cette nouvelle guerre censée n'exister que dans les imaginations les plus fertiles, c'est la population qui est la plus exposée et qui en subit effectivement le plus les conséquences ; elle doit prendre les coups tout en étant contrainte, sous la menace d'une accusation de délire, de dire que c'est « la fatalité » qui les lui donne. Et du coup, cette schizophrénie s'est étendue aux effets secondaires de cette étrange guerre, puisque, comme « elle n'existe pas », il n'y a donc aucune raison de limiter les échanges commerciaux et privés avec des pays ennemis.Alors, pour tout de même réagir contre cet évident danger de l'ennemi dans la maison sans accepter de le désigner nommément comme tel, il a fallu inventer de nouvelles méthodes de défense.La première fut de développer considérablement le champ d'action des services secrets à l'intérieur des frontières, afin de surveiller et limiter le plus possible les risques que peut (potentiellement, à tout le moins) représenter l'entreprise étrangère qui s'installe sur le sol national pour y vendre ses produits. Ceci implique d'obliger de telles entreprises à recruter sur place. On peut y parvenir de diverses manières, à commencer par la mise en place d'obligations légales et autres règlements administratifs et syndicaux divers. Puis, en cas de refus de l'entreprise étrangère concernée, d'utiliser les moyens de l'agit-prop et de la propagande noire pour brandir de faux motifs (les visées formelles décrites au premier chapitre de ce livre) tels que « xénophobie », « refus injustifié d'accepter les règles et culture du pays d'accueil », etc. Bref, contraindre par tous les moyens cet ennemi à ne pas importer aussi sa culture, perçue comme une maladie mortelle.Car, le lecteur l'imagine sans peine, à l'obligation très officielle pour ces entreprises étrangères implantées sur le sol national de recruter le plus possible de main-d'oeuvre locale, est associée celle,implicite, de savoir que des mouchards en feront forcément partie.Viennent également diverses organisations syndicales ayant une capacité à exercer un pouvoir ausein de l'entreprise, c'est-à-dire à exercer également une influence sur les employés qui ne sont pas des mouchards et qui refusent de l'être. 

C'est ainsi que la schizophrénie des relations internationales parvient à s'engouffrer également dans le quotidien d'employés ordinaires, et qu'elle contamine les individus qui ne se sentent pas concernés par le sujet des relations internationales, ni ne voulaient enentendre parler.Il en résulte, pour tous ces gens qui ne cherchaient qu'à gagner leur vie, une atmosphère professionnelle de méfiance réciproque, de tensions, de pressions diverses permanentes et de conspirations de bureau qui déteignent inévitablement sur la vie à l'extérieur de l'entreprise.Mais ce nouvel état de « l'entreprise privée sous surveillance d'État » s'est étendu à celles du pays, puisque, ainsi que nous l'avons vu dans le chapitre précédent, ces dernières sont susceptibles d'être pénétrées et espionnées par l'ennemi (que celui-ci soit simple concurrent commercial ou service secret étranger, peu importe). C'est pourquoi les services secrets d'aujourd'hui veulent également avoir des contacts et des mouchards au sein de ces autres-là, pour y surveiller aussi ses compatriotes. Pour ce faire, ils ont trouvé des prétextes tels que placer d'ex-militaires aux postes d'encadrement, « parce qu'ils ont une solide expérience du management ».Cette étape de l'entreprise privée sous surveillance d'État marque bien la présence de symptômes de paranoïa dans cette schizophrénie artificielle (puisqu'elle n'en est pas vraiment une au sens médical du terme, le lecteur l'aura compris).Les « employés mouchards » que nous venons d'identifier et de présenter, et dont nous venons du même coup d'expliquer la raison d'être, sont de bons exemples de la forme que peuvent prendre les ultimes ramifications d'un service secret : celles qui sont les plus éloignées de ce « tronc » que l'on appelle communément, dans pratiquement chaque pays aujourd'hui, la « communauté du renseignement ». C'est pourquoi nous allons examiner un modèle typique de service secret occidental du XXIe siècle, son organisation et son mode de fonctionnement, en commençant par le « petit mouchard », cet agent inconscient et ponctuel des services secrets qui n'en est pourtant pas un au sens strict du terme - dans les faits, il est un simple mouchard qui ignore totalement (et doit nécessairement ignorer) où vont les petits secrets de bureau qu'il rapporte.La présentation qui suit ne concerne que les acteurs de l'intelligence domestique, donc en aucun cas des agents envoyés dans un pays étranger ; cependant, la différence est minime.

LES CLANDESTINS 

Le petit mouchard est un citoyen ordinaire, même pas un agent entraîné qui use des apparences avantageuses d'un innocent Monsieur-tout-le-monde. Cependant, au cas par cas, celui qui recueille les confidences du petit mouchard lui laisse la liberté de penser ce qu'il est et de ce qu'il fait ; bien souvent, ce dernier se prend à un jeu qu'il a lui-même imaginé. Certains transmettent des informations importantes à la police, d'autres à l'administration fiscale, d'autres à un « ami influent », etc.Quelques-uns vont jusqu'à se voir agent secret. Tous espèrent une certaine reconnaissance de ce qu'ils font ; simple reconnaissance de principe ou petits services rendus en retour. Mais l'immense majorité de ces mouchards argue du patriotisme sans lequel ils douteraient bien vite du bien-fondé de leurs dénonciations ordinaires. Dans le cas du petit mouchard comme dans celui de tous ceux qui sont plus près du tronc, les services secrets ne sont jamais dupes et, de toute façon, ils ne s'en remettent jamais à la seule confiance.Nous aurons, dans un prochain chapitre, l'occasion d'étudier en détail la dimension psychologique du monde des services secrets, car elle est très riche.Le contact (autrefois appelé « honorable correspondant ») n'est pas un mouchard, mais il ne sait pas grand-chose de plus que ce dernier ; il ne peut que soupçonner qu'un ou plusieurs individus disposant d'un « certain pouvoir » écoutent « avec intérêt » ce qu'il rapporte. Son rôle est actif puisqu'il aide, ponctuellement et à la demande, la communauté du renseignement ; nous verrons plus loin comment. À la différence du petit mouchard, le contact a une haute idée de ce qu'il fait et de ce qu'il est, puisqu'il justifie son action au nom d'un idéal (patriotique, politique/idéologique,religieux).

L'agent (ou « joe », ou « dog » en jargon familier dans le monde de l'espionnage anglo-saxon) :collecteur intermédiaire des informations que lui rapportent ses contacts et sources, il a l'avantage de« savoir » qui reçoit les informations qu'il transmet très régulièrement, mais ce n'est pas systématique car, pour quelques raisons particulières, il peut avoir été recruté sous un faux drapeau[23].L'agent n'est pas un simple mouchard qui se contente d'apporter ponctuellement des faits constatés au hasard de son quotidien. Tout ce qu'il fait, depuis son recrutement, est dirigé par un officier traitant, au point qu'il ne maîtrise aucunement son existence et ne peut donc faire de projets d'avenir personnels ; il en sera ainsi pour le restant de sa vie. L'agent étant un élément clé de tout service secret, il sera largement présenté dans un prochain chapitre.L'officier-traitant (ou simplement « traitant », ou case officer, mais plus couramment handler dans le cas de l'usage de l'anglicisme) ne se contente pas de recevoir les informations que lui transmettent ses agents, car on dit qu'il les « tient en laisse », exactement comme s'ils n'étaient rien de plus que des animaux. Du point de vue des officiers traitants, et selon les pays et services secrets pour lesquels ils travaillent, les agents sont couramment considérés comme des « chiens », comme des « armes », etc. Car un officier traitant ne doit jamais s'attacher affectivement à ses agents, tout en s'efforçant de faire croire à ceux-ci que ce n'est « pas tout à fait vrai ».Pour jouir d'un contrôle absolu sur son agent, l'officier-traitant doit pouvoir disposer d'un moyen de pression puissant sur celui-ci ; il s'agit d'un chantage dans une large majorité de cas. C'est Pourquoi, lors du recrutement d'un agent, tout est mis en oeuvre pour faire se compromettre ce dernier, d'une manière ou d'une autre (elles sont innombrables), afin qu'un chantage puisse être exercé ; à moins que l'agent se soit déjà compromis lui-même avant son recrutement. 

Dans les deux cas, la connaissance du fait délictueux sera utilisée pour obtenir du coupable ce que les services secrets désirent, par l'intermédiaire de l'officier-traitant.L'officier-traitant, quoiqu'étant pleinement placé sous les ordres directs d'un cadre des services secrets, doit préserver pour lui les apparences d'une activité dite « de couverture » qui, pour d'évidentes raisons, ne doit pas lui prendre tout son temps. C'est pourquoi il est fréquent que l'officier-traitant soit un retraité, une personne occupant un emploi fictif dans une grande entreprise ou une administration quelconque, ou un rentier qui perçoit des revenus issus d'un capital placé(loyers, rentes viagères ou intérêts sur capital ou revenus boursiers, etc.). Dans une large majorité de cas, l'officier-traitant est un homme, mais, depuis quelques petites années, certains services secrets déploient de consistants efforts pour former des officiers traitants femmes.L'officier-traitant n'a pas nécessairement accompli des études supérieures, mais il a fréquemment une expérience (passée ou active) du management ; il a été choisi pour remplir cette tâche bien particulière en raison de son profil psychologique, faute duquel l'accomplissement ordinaire et quotidien de son travail lui semblerait impossible, sinon pénible. Car, en effet, un officier traitant doit être une personne qui ne s'attache pas aux autres, qui a une faible empathie, qui ne se lie jamais durablement et sincèrement d'amitié avec quiconque ; il est souvent un solitaire, mais il ne doit pas être un introverti. Il ne doit pas être capable de ressentir le moindre remords pour la détresse des agents qu'il dirige. Fréquemment, il a une marotte, ou un intérêt marqué pour un sujet ou une activité(toujours solitaire) qui capte toute la passion qu'il peut exprimer, telle que la collection d'objets sur un thème bien particulier : le bateau ou l'avion, les voitures anciennes, la chasse ou la pêche, le théâtre, etc. (l'acteur Anthony Hopkins a, dans le film La Faille, le profil et le comportement typique de l'officier-traitant qu'il n'y incarne pourtant pas).

L'officier-traitant est, dans une large majorité des cas pour ne pas dire toujours, un employé officieux des services secrets qui ne se rend jamais au siège de ceux-ci. Les réunions de travail qu'il est amené à avoir avec son chef se déroulent toujours dans des lieux anonymes ou chez lui, car il est considéré, en raison de la nature de sa fonction, comme un employé clandestin des services secrets.L'officier-traitant, avant de le devenir, a souvent été un officier ou un sous-officier, ou un agent jouissant d'un statut privilégié (il n'a pas eu l'existence chaotique qui est le lot ordinaire des agents,et il a régulièrement occupé des postes à responsabilité impliquant le management d'employés).L'officier-traitant est un individu qui a toujours joui de « protections » discrètes. Cependant, étant donné qu'il est un employé officieux des services secrets jouissant d'une liberté relative de mouvements exceptionnelle, il doit nécessairement être vulnérable à un chantage quelconque dont la menace peut être brandie contre lui à tout moment, s'il venait à commettre quelque faute ou à refuser de servir plus longtemps. En dépit de sa réelle importance, l'officier-traitant peut être désavoué et abandonné à son sort par les services secrets qui le dirigent, s'il se compromet gravement.

LES PERSONNELS INTERNES

L'employé simple à temps plein travaille dans un contexte bureaucratique dans une large majorité de cas. Mais on trouve naturellement dans tous services secrets des personnels chargés du ménage, de la cantine, des tâches ordinaires d'entretien des locaux et infrastructures, des personnels chargés de la sécurité des locaux et du personnel, etc.Parmi les personnels de bureau, on trouve des secrétaires, des comptables, des spécialistes d'une large variété de branches (depuis l'agriculture à l'aéronautique), des archivistes, des juristes, de nombreux informaticiens, des généalogistes et des anthropologues, et un grand nombre d'employés spécialisés que l'on ne rencontre que dans les services secrets : des analystes.Le rôle des analystes est de surveiller les activités d'un pays, d'un secteur industriel, d'un secteur économique et/ou financier, et l'économie (macro-économie, économie politique) ou la finance en général (banques et marchés financiers), des questions et du matériel militaires ; cette énumération n'est pas exhaustive. Durant une journée de travail ordinaire, l'analyste rassemble et consulte les informations les plus récentes concernant le domaine que les services secrets l'ont chargé d'étudier ;l'analyste est un chercheur. Ces informations sont de provenances diverses ; certaines, secrètes, ont été volées par des agents envoyés à l'étranger. L'analyste nomme ces informations secrètes« informations noires ». Il y a des « informations grises », qui ne sont pas des informations auxquelles le grand public à accès, mais qui ne sont pas pour autant de grands secrets[24]. Enfin, il y a les« informations blanches », librement accessibles (livres, brochures techniques, presse et lettres d'information, contenus en libre accès sur Internet, etc.) qui permettent de recouper et parfois compléter ce que disent les informations grises et noires, et de tenir informé l'analyste au jour le jour à propos d'une situation générale qu'il est censé connaître sur le bout des doigts. 

Certaines de toutes ces informations, les noires et les grises en particulier, sont verbales à l'origine et ont été retranscrites ou enregistrées par un agent. Certaines autres, relevant de domaines spécifiques, sont« solides » ; il peut alors s'agir d'un composant électronique, d'un échantillon solide ou liquide subtilisé, etc.[25]Les analystes ne connaissent généralement pas les identités réelles des agents dont ils reçoivent des informations. Cependant, certains services secrets font longuement se rencontrer et se connaître un analyste et son agent, afin que des complicités et compréhensions mutuelles puissent s'établir, et surtout, que l'un et l'autre se connaissent mutuellement et professionnellement (faiblesses, lacunes et points forts techniques ou scientifiques), puissent parler des mêmes choses en utilisant les mêmes termes, etc. Car l'analyste est également amené à demander des informations complémentaires et/ou spécifiques à son agent (via un officier traitant ou des moyens techniques secrets).S'il est spécialiste d'un pays ou d'une région, l'analyste doit s'y être physiquement déplacé durant une période suffisamment longue, et/ou s'y rendre ponctuellement.L'analyste des services secrets modernes, selon sa spécialité, utilise également les photographies aériennes et prises par satellite pour vérifier ses informations[26].L'analyste procède à l'analyse des informations qu'il reçoit, afin de les interpréter et de les placer dans leurs contextes pour leur donner une forme intelligible et écrite que l'on appelle « note de synthèse ». Puis il remet cette note de synthèse à son supérieur, le chef analyste, qui possède une grande expertise du domaine étudié.Un analyste lit, en moyenne, une centaine de pages par jour.

LES CADRES DES SERVICES

Il y a de nombreux personnels, cadres subalternes et moyens, dans les services secrets, qui peuvent être des chefs de sections, groupes, missions, postes, compagnies. Ils peuvent également être des ingénieurs, techniciens, chercheurs, etc. Les spécialités et domaines spécifiques d'activité des services secrets d'une grande puissance économique sont si nombreux qu'il serait impossible de tous les nommer.Comme nous avons précédemment présenté l'analyste en particulier, un des employés internes les plus nombreux des services secrets, voyons un instant qui est le cadre qui dirige le travail de ce dernier, son profil étant particulier de surcroît.Le chef analyste est presque toujours un authentique chercheur spécialiste (d'un pays, d'une région du monde, etc.), ex-enseignant en université ou ayant pour couverture un poste d'enseignant en université ou de scientifique, historien spécialiste... Il est un cadre ayant un grand savoir dans sa spécialité, et il est évidemment doué d'un esprit d'analyse élevé. Aussi, son expertise spécifique et son intelligence, nécessairement très au-dessus de la moyenne, doivent lui permettre d'évaluer avec la plus grande justesse possible la validité des informations reçues et synthétisées par ses analystes.Car certaines de ces informations peuvent être inexactes à des degrés divers[27] et pour diverses raisons. Tel l'archéologue qui imagine la partie manquante d'un dessin sur une poterie ancienne, le chef analyste doit avoir une connaissance assez grande du sujet dont il est spécialiste pour formuler une opinion sur la nature des informations qu'il n'a pu recevoir.Enfin, l'expertise reconnue du chef analyste doit permettre à celui-ci de formuler un avis sur ce que peuvent impliquer à plus ou moins long terme les informations qu'il a collectées, tâche qui n'est pas très éloignée d'un travail de stratège. 

Par exemple, si d'importants déplacements de troupes et de matériels militaires ont lieu en direction de la frontière d'un pays, le chef analyste doit connaître l'historique des pratiques de l'armée de ce pays, les biographies de ses dirigeants, l'état de ses relations diplomatiques avec le pays voisin, et encore beaucoup d'autres choses, pour pouvoir dire s'il s'agit vraiment de préparatifs d'invasion ou juste d'une tentative d'intimidation[28].Le chef de service ou de département peut être pleinement assimilé à un cadre fonctionnaire ressemblant assez à ceux de quelques administrations plus ordinaires. Il est souvent un ancien officier d'active de l'armée, parfois un ex-policier ou un ingénieur, mais il baigne depuis longtemps dans un univers très bureaucratique. Il peut aussi avoir été avocat ou fonctionnaire de la magistrature. Mais il est presque toujours entré dans les services secrets à un âge assez jeune, pour y gravir les échelons. Il Est toujours sincèrement passionné par ce qu'il fait.Le chef de service est fréquemment un personnage issu de la bourgeoisie, qui n'a pas eu à travailler pour acquérir ses biens immobiliers ; c'est d'ailleurs ce patrimoine familial qui le dissuadera de tenter de partir dans un autre pays si jamais une telle idée devait lui venir à l'esprit - il n'aurait plus aucun espoir de le récupérer ou d'en jouir encore après cela. Sa position élevée au sein des services secrets lui permet de savoir que toutes les promesses de récompense que l'on pourrait lui faire en échange de sa trahison ne seraient pas tenues. Cependant, il est tout aussi conscient que ses chances de devenir directeur des services secrets un jour sont très minces, car cela ne dépend pas exclusivement de ses capacités, performances professionnelles et zèle à servir. 

Cette Description peut varier selon les pays. On attend de lui qu'il soit un manager plutôt qu'un bon spécialiste arrivé à la force du poignet.Le directeur de département est fréquemment un individu qui a commencé sa carrière à un âge assez jeune dans les services secrets, après avoir accompli des études universitaires supérieures dans une large majorité de cas. Son ascension au sein des services secrets a fréquemment été planifiée de longue date, et c'est pourquoi son parcours professionnel a été orienté pour qu'il puisse acquérir, le plus rapidement possible, toutes les connaissances nécessaires au parfait accomplissement de ses fonctions directoriales. Cette description peut varier selon les pays.Le directeur des services secrets a été nommé par des instances politiques au plus haut niveau,en raison même du caractère extrêmement sensible de ce poste. Fréquemment, il l'a été alors qu'il occupait encore une fonction d'officier supérieur dans l'armée (général, amiral). Dans le cadre de ses fonctions passées dans l'armée, il a été amené à se familiariser avec le sujet du renseignement(militaire dans son cas) et de ce que l'on y nomme les « opérations spéciales », c'est-à-dire des envois de petites troupes d'élite à l'étranger dans le cadre de missions d'exfiltration, derenseignement militaire, de sabotage, etc.Il peut également arriver que le directeur ait été un fonctionnaire du corps diplomatique, un milieu qui lui a permis de se familiariser avec les questions de renseignement, d'être amené à rencontrer régulièrement des officiers de renseignement des services secrets de son pays comme de ceux d'autres pays, et d'acquérir une grande expertise des relations internationales.En sus de tout cela, il a fréquemment été sollicité de diverses manières parmi les plus subtiles pour trahir son pays ; un désagrément professionnel et de multiples embûches qu'il s'est montré capable de surmonter. Enfin, il offre, comme garantie supplémentaire de sa fidélité, la possession d'une fortune personnelle (héritée dans une large majorité de cas) qui le lie solidement à son pays, quoi qu'il arrive.

Le lecteur peut être tenté de conclure que les services secrets s'articulent autour d'une hiérarchie pyramidale somme toute classique. Les choses peuvent être plus complexes que cela dans les faits et selon les pays, au cas par cas.Tous les services secrets du monde pratiquent le « cloisonnement », tant au sein des personnels de bureau à temps plein qu'à l'extérieur. Le cloisonnement veut qu'un employé des services secrets ne doive jamais parler en détail de son travail à l'un de ses collègues ; et cette règle vaut pour les cadres supérieurs, jusqu'au directeur, qui ne peuvent eux-mêmes aller regarder dans le détail ce que font leurs employés ordinaires. Il y a une nette césure entre les directeurs et les chefs de services qui sont encore en contact avec les employés subalternes. Comme il peut être difficile pour le non-initié de concevoir comment une telle chose est possible, voyons cela plus en détail.Le chef analyste a un droit de regard sur ce que font ses analystes, mais pas le chef du service dans lequel ils travaillent, bien que ce dernier soit leur supérieur hiérarchique, et aussi celui de tous leschefs analystes de son service.Si le chef de service veut savoir ce que fait un de ses analystes, il doit demander cette information au chef analyste qui est le supérieur hiérarchique direct de celui-ci.La rupture entre les directeurs de services et les personnels de leurs services respectifs semble plus profonde encore. Car le directeur fait partie des cadres de direction, une élite des services secrets chargée d'administrer, physiquement détachée des différents services chargés de produire.Ce qui veut dire que si le chef d'un service est encore intégré à la production (le service dont il a la charge, du point de vue technique, ce distinguo est très important) parce qu'il est en contact plus ou moins direct et permanent avec tous ses subalternes, le directeur de ce même service, lui, en est complètement détaché, précisément par qu'il entretient déjà des rapports de grande proximité avec les directeurs des autres services et, dans une mesure légèrement moindre, avec la direction générale.

En somme, à une extrémité de cette hiérarchie, l'analyste ne doit s'adresser à personne d'autre qu'à son chef analyste, et, réciproquement à l'autre bout de la chaîne, le directeur du service ne peut contourner le chef de service, son subalterne direct, pour aller s'adresser directement à l'un de ses chefs analystes ou analystes.Il arrive, bien sûr, qu'un directeur de service aille faire une visite physique de son service, juste pour s'assurer que tout à l'air d'y fonctionner normalement, que les règles de travail y soient respectées, que les locaux soient propres et convenablement équipés, etc. Mais il n'est pas autorisé,selon le règlement interne, à aller s'asseoir derrière l'ordinateur d'un analyste pour regarder ce dont il s'occupe exactement, ni à jeter un coup d'oeil à ses documents de travail.Cette étrange règle du cloisonnement n'a rien d'absurde ; elle a été pensée pour limiter de possibles fuites d'informations. Si, par exemple, un chef de service, ou même son directeur, était capturé par un service secret adverse ou se vendait à ce dernier, alors il ne pourrait révéler que ce qu'il sait, même sous la torture. Il ne pourrait, par exemple, livrer des détails sur tout ce que savent les analystes, quelles sont exactement leurs sources d'information, etc.[29]Étant donné que chaque directeur de service se trouve dans le même cas, tout ce qu'il pourrait révéler de ce qu'il sait des services de ses autres collègues se limiterait à des généralités. Car, entre eux, les directeurs de services ne se tiennent informés que de ce qu'ils ont besoin de savoir pour coordonner leurs actions, et encore, lorsque ces coordinations sont nécessaires, c'est-à-dire plus ponctuellement que régulièrement. Car c'est le directeur des services secrets qui est censé décider deces coordinations (et, à ce niveau, et dans le cas de certains services secrets, le fonctionnement à ce dernier niveau peut être plus complexe et plus subtil que cela, encore).

Le lecteur comprend donc maintenant que les personnels, cadres y compris, d'un département des services secrets, ignorent autant que le grand public ce qu'il peut se passer dans les autres départements, et comment leurs personnels y travaillent[30].Les personnels du service de sécurité intérieure, cette « police des services secrets », sont eux aussi séparés en bureaux distincts, un par service ou département. Un de ses membres, affecté à un service, ou département, ne peut intervenir dans un autre. En haut de la hiérarchie du service de sécurité intérieure, le même système de cloisonnement que nous venons de découvrir s'applique.

La vie de « l'employé » des services.

Vu sous un angle social, un service secret est une société hyper-organisée où la stabilité de la collectivité prime toujours sur celle de l'individu. Et l'importance de cette stabilité est telle, que celle qui y est accordée à l'individu doit nécessairement s'affranchir des critères moraux, éthiques et religieux qui prédominent dans le monde des gens ordinaires . Il en résulte que, parce que l'opinion publique serait outrée de découvrir les pleines réalités de la vie des hommes et des femmes des services secrets, ces derniers doivent en faire l'un de leurs secrets les mieux gardés - ce qui réclame, en sus, le recours à des formes de menaces et de mesures de rétorsion que l'on ne rencontre guère, ailleurs, que dans les mafias et autres organisations criminelles puissantes. Ceci explique pourquoi l'actualité rapporte si peu de cas de trahisons ou de fautes au sein des services secrets,alors que ses membres - par conséquent ses vulnérabilités - y sont pourtant nombreux.Le choix du mot « employé » pour le titre de ce chapitre doit à un besoin de simplification,puisqu'aux statuts des différents types de collaborateurs officiels et officieux des services secrets est associée une large variété de qualificatifs, qui peuvent chacun être aussi peu clairs pour le grand public que les réelles missions qui y sont associées, ainsi que nous l'avons entrevu au chapitre précédent. On pourrait d'ailleurs séparer tous ces individus en deux catégories génériques, que n'importe quel service secret accepterait sans aucun doute hors la présence de l'opinion publique :les « militaires » d'un côté, et leurs « mercenaires » de l'autre[31].L'indispensable préalable à la description de la condition de tous ces acteurs sera une présentation sommaire d'une notion générale, brillamment rationalisée par le sociologue et philosophe français Georges Sorel (1847-1922) : le mythe moderne, comme support indispensable de tous les engagements, idéologiques, patriotiques ou religieux. 

Car sans ce mythe, associant la réalité historique à la légende, le patriotisme dogmatique sur lequel prend racine l'esprit de corps indispensable au bon fonctionnement de tout service secret n'existerait pas, et les espions, depuis le simple agent jusqu'au directeur de centrale de renseignement ne seraient alors qu'une bande de barbares sans foi, ni loi, ni objectif clair, ni réel maître.Le quotidien de tous les employés des services secrets, sans aucune exception, est amer du point de vue de ces derniers ; il rappelle sans cesse, à force d'exemples récurrents, et à l'image du clou qui, sous les coups répétés de marteau, s'enfonce toujours plus profondément dans le bois, que l'être humain n'est ni aussi bon, ni aussi grand que le prétend notre monde, et que contredire ce fait réclame une force et une volonté dont seule une très petite minorité est capable.Tous les êtres humains équilibrés ont une connaissance plus ou moins complète du sens des mots éthique et morale, et ils l'acceptent, généralement. Même ceux qui prétendent que l'éthique et la morale ne sont que des produits issus de croyances religieuses s'indignent cependant, au moins au fond d'eux-mêmes, du vol, de la tricherie et de la tromperie, et du meurtre. C'est pourquoi il est impossible de faire s'impliquer sincèrement et quotidiennement de larges groupes d'êtres humains dans des actions que l'éthique et la morale réprouve fermement, sans leur fournir le moindre substitut, le moindre alibi.Le mythe, et le dogme qui en découle, sont dans ce cas les substituts de ces éthique et morale ;l'être humain a une capacité d'abstraction suffisante qui lui permet de les accepter ensemble comme l'alibi qui viendra justifier les actes les plus vils et les plus désagréables que l'on attendra de lui.

Ces mythe et dogme seront littéralement « taillés sur mesure » pour son esprit et par son esprit.Il nous est possible, à nous, humains, de nuire à notre prochain au nom d'un motif qui nous semble« recevable », alors que ce dernier est indiscutablement absurde sitôt que l'on y regarde d'un peu plus près.Mais, chose surprenante, lorsque ce motif nous semble tout de même insuffisant en regard du mal que nous nous apprêtons à infliger, nous avons encore cette capacité à en créer un nouveau de toutes pièces, à partir de notions exclusivement abstraites, et donc imaginaires dans les faits (on défend un quartier arbitrairement désigné comme un « territoire » et une propriété privée, l'honneur d'un gang,d'une équipe de football ou d'un maître, etc.). Et c'est ainsi que nous pouvons voler, tromper et même tuer, au prétexte d'un amalgame d'abstractions dont nous avons décidé ou accepté,complètement arbitrairement, qu'il est « noble et vertueux »[32].Ce mythe et son dogme, qui viennent prendre la place des éthique et morale admises par le reste du monde, y compris par les individus qui s'en défient, sont élaborés, toujours intelligemment, pour tous ceux dont l'engagement est attendu, mais dont l'intelligence et savoirs seraient insuffisants,cependant, pour comprendre et accepter les visées réelles définies par la minorité dirigeante aux capacités intellectuelles supérieures. C'est pourquoi, même au coeur des services secrets qui sont, le plus souvent de nos jours et dans le cadre de leurs missions ordinaires, les créateurs de toutes sortes de mythes et de dogmes, il est nécessaire d'arguer de visées formelles pour faire se concrétiser lesvisées réelles.La qualité déterminante de l'employé des services secrets, c'est une capacité rare à obéir aveuglément, associée à une volonté tout aussi rare de se mettre au service d'une autorité qui n'a aucun autre alibi à offrir que la raison d'État. N'importe quel service secret aura « foi » en la valeur d'un employé possédant ces deux caractéristiques. Car le patriotisme, tout comme la foi en quoi que ce soit, n'est pas inné ; il faut l'acquérir par un enseignement, implicite ou explicite peu importe - ne peut avoir foi en une religion que celui auquel on l'a racontée, au moins sommairement. Les hommes des services secrets ont hérité cette croyance des militaires qui dit que la détermination et la persistance, lorsque réunies, sont supérieures à l'intelligence.

LOYAUTÉ

Les services secrets ne se reposent jamais sur la simple confiance, ni n'attendent la confiance de quiconque. Les notions de fidélité et de patriotisme sont bien sûr attendues de la part des employés des services secrets, nous avons déjà entrevu ce sujet, mais elles ne sont prises, dans les faits, que comme des valeurs sujettes à la relativité, donc sur lesquelles on ne peut compter les yeux fermés. Défait, l'actualité nous rapporte quotidiennement des cas de politiciens qui changent de partis, de cadres supérieurs d'entreprises qui vont travailler chez le concurrent, de couples notoirement très unis qui pourtant divorcent un jour...Il en résulte que tout service secret s'assure toujours qu'il peut tenir les siens par le recours à des moyens et méthodes qu'il juge plus fiables.Les services secrets qui servent des pays où la richesse personnelle est mal considérée sont tous contraints d'admettre, cependant, que l'argent est une garantie fiable de fidélité. Les billets de banque, l'or et les pierres précieuses ne fascinent pas juste pour ce qu'ils sont, à part pour quelques rares esprits dérangés, mais pour le bien-être, et surtout la sécurité, qu'ils apportent à celui qui les possède en quantités suffisantes. Personne ne peut contester que le locataire doit craindre un propriétaire, que l'employé qui a de modestes revenus doit craindre le licenciement, que celui qui marche à pied doit craindre le froid, la chaleur et la fatigue, que le pauvre doit redouter la maladie et les diverses affections de la vieillesse, que le sans-emploi doit redouter le divorce et la perte de ses enfants, ou d'avoir à se satisfaire du conjoint qu'il n'aurait certainement pas choisi s'il avait eu le choix. Tout le monde sait que la possession de quelques richesses dispense de toutes ces craintes, et qu'elle permet enfin à l'esprit d'être assez libre pour pouvoir se consacrer pleinement à d'autres thèmes que le souci du lendemain.C'est pourquoi les services secrets de tous les pays, toutes idéologies confondues, choisissent presque toujours pour cadres et chefs des individus qui étaient préservés des contingences matérielles avant leurs recrutements, et qui seront ainsi beaucoup moins vulnérables à l'offre d'un ennemi. Plus prosaïquement, à l'attention du lecteur qui pourrait encore douter de ce qui vient de lui être expliqué, les services secrets, tout comme l'individu ayant un minimum de jugeote, ne confierait jamais la garde de leur portefeuille à un affamé.Il résulte de ce principe élémentaire que la population des gens ordinaires a presque toujours une perception erronée de ce que sont les services secrets. Personne ne devient riche en travaillant pour les services secrets ; les exceptions ne sont qu'apparences d'exceptions, même pas des exceptions.

SALAIRES

Les salaires versés par tous les services secrets du monde sont toujours chiches, juste suffisants pour satisfaire les besoins les plus élémentaires. Car un surplus de pouvoir économique est toujours susceptible d'être transformé en un espace de liberté physique, lequel peut sérieusement compliquer la surveillance d'un employé.Par exemple, une prime ou une « rallonge » permettrait à cet employé de partir pour un court congé dans un pays lointain, avec le lot de secrets que l'on ne peut extraire temporairement de son esprit, ce qui obligerait à un surcoût important de sa surveillance - sans parler du fait qu'il pourrait être recruté durant son séjour à l'étranger par un service secret ennemi, et devenir ensuite une « taupe ».Nous disions que celui qui est pauvre de richesses matérielles doit redouter toutes sortes de dangers et de souffrances, et toutes sortes d'autorités ; or c'est précisément pour cela que les services secrets maintiennent leurs employés, comme leurs agents, dans une dépendance matérielle toujours plus grande à mesure que l'on descend les degrés de la hiérarchie. Les finances de chaque employé des services secrets font l'objet d'une attention que le non-initié jugerait extraordinairement méticuleuse, calculées et contrôlées au centime près, juste suffisantes pour satisfaire les besoins les plus élémentaires, et rien d'autre. Dans les services secrets, la gestion des dépenses consacrées aux loisirs, indispensables à l'équilibre mental, n'est pas abandonnée à ceux qui doivent en jouir. Cette Contingence, puisqu'elle est perçue comme telle dans ce contexte, est planifiée et gérée collectivement, toujours.En outre, les services secrets considèrent qu'un individu dont les ressources excèdent ses besoins peut facilement noyer des revenus illégaux dans la masse de ceux qui sont légaux, et empêcher ainsi tout contrôle fiable de leur provenance exacte. L'exemple le plus clair et le plus démonstratif concernant ce problème est celui du délinquant qui dépense l'essentiel de l'argent qu'il gagne malhonnêtement dans les bars, restaurants et autres distractions similaires, services qui ne laissent guère de traces fiscales fiables. Si ce dernier dépense deux fois plus d'argent que d'ordinaire pour s'acheter des vêtements, il sera encore impossible de savoir exactement combien il a dépensé en tout.Tout au plus peut-on se lancer dans de grossières estimations des dépenses de ce genre, forcément très éloignées de la réalité.Les services secrets ne veulent surtout pas que leurs services de sécurité interne et de surveillance de leurs personnels soient saturés par ce genre de problèmes ; ils y perdraient toute efficacité, et par conséquent leur raison d'être. À ce dernier égard comme à d'autres, un service secret peut être comparé à une mécanique particulièrement complexe et fragile, qui ne tolère aucun rouage inutile ou superflu, ni le moindre grain de poussière, dont le parfait fonctionnement nécessite un entretien de tous les instants, et dont l'usure ou la casse de chacun de ses organes doit toujours être anticipée en vue d'un remplacement avant que celle-ci ne se produise et stoppe ainsi les autres.

CONTRAT DE TRAVAIL

Le travail à temps plein pour les services secrets ne donne jamais lieu à des contrats de travail et feuilles de paye à ses en-têtes, ceci afin, d'une part, d'éviter tout risque accidentel d'identification formelle de ses employés par le public (à l'occasion d'une demande de crédit, par exemple). Il faut également prévenir le risque que l'un de ces employés puisse user d'une telle preuve pour tenter d'en tirer quelque profit (tentative de publication d'un livre ou d'interview par les media, ou comme preuve de bonne foi dans le cadre d'une tentative de demande d'asile politique dans un pays étranger). C'est pourquoi tous ces documents sont établis par des services administratifs divers,depuis des ministères à l'armée, et aussi par des entreprises privées sous contrôle discret desservices secrets.

LOGEMENT

Il faut savoir, à cet instant de la présentation de la vie de l'employé de services secrets (de bureau,mais souvent aussi de l'agent ou de l'officier-traitant qui s'en trouve à l'extérieur), que l'emplacement de son domicile lui est imposé, dans un immeuble, un groupe de logements individuels, ou même un petit quartier ou village, ainsi que cela a été brièvement évoqué plus avant.Dans les cas des services secrets de plusieurs pays occidentaux, les dépenses et frais autres que ceux de logement sont optimisés et contrôlés, entre autres exemples, par l'existence de points d'alimentation à prix réduits recommandés, et de réseaux informels d'approvisionnement de biens divers vendus à des tarifs particulièrement avantageux, tels que téléviseurs et équipements électroménagers, matériels informatiques, vêtements et chaussures, etc., etc. Les vacances loin du domicile existent bien, mais elles prennent la forme de voyages organisés en groupe (autobus, de préférence), et, dans quelques cas, de séjours individuels placés sous la surveillance discrète de correspondants des services secrets disposant de biens immobiliers, bateaux...On le comprend, après avoir pris connaissance de ce qui vient d'être dit, la jouissance d'un véhicule n'est accordée qu'à partir du rang de cadre subalterne (mais cet employé doit remettre son passeport, s'il en a un, à ses employeurs).

DISCIPLINE

Tous les services secrets pratiquent une discipline de fer qui repose bien sur la crainte, et non sur quelque engagement patriotique ou idéologique, puisque, réellement, ce dernier ingrédient n'a de réelle fonction que celle de l'alibi.Le recours quasi exclusif à la crainte et à la menace pour maintenir la discipline est bien loin d'être une invention récente des services secrets ; on en retrouve des traces attestées dans la Sparte Antique, et c'est pourquoi l'étude des textes de Thucydide est un des préliminaires à la formation des cadres de certains services secrets[33]. Citons quelques phrases révélatrices de Thucydide pour le lecteur qui connaîtrait mal cet auteur classique grec : « C'est une règle générale de la nature humaine : les gens méprisent ceux qui les traitent bien et regardent vers ceux qui ne leur font pas de concessions » ; « Le fort fait ce qu'il peut faire et le faible subit ce qu'il doit subir » ; « Quand On peut user de violence, il n'est nul besoin de procès » ; « Il est dans la nature de l'homme d'opprimer ceux qui cèdent et de respecter ceux qui résistent ».D'autres services secrets recommandent à leurs cadres la lecture du Testament politique de Frédéric II de Prusse (dit le Grand), un ouvrage rédigé en français par son auteur en 1752, et qui est resté durant longtemps un document secret ne devant pas être porté à la connaissance du grand public ; sa publication a été plus ou moins censurée par la suite et jusqu'à nos jours, dans de nombreux pays[34].Voici, extraite du Testament politique de Frédéric II, la recommandation que suivent toujours aujourd'hui quelques services secrets occidentaux, initialement pensée pour l'armée de Prusse :« La discipline militaire introduit dans les troupes une obéissance aveugle. Cette subordination soumet le soldat à l'officier, l'officier à son commandeur, le colonel au général et le corps des généraux à celui qui commande l'armée. Un soldat qui murmure contre un bas-officier ou qui tire le sabre pour se défendre, un officier qui tire l'épée contre son commandeur, et ainsi du reste -contre tous ceux-là est dicté peine de mort. 

Ce n'est point envers eux que le souverain peut user de clémence ; l'exemple en serait dangereux : le moindre relâchement entraînerait le libertinage,celui-là l'esprit de sédition, et enfin les chefs, n'étant plus les maîtres de leurs subordonnés, se verraient obligés de leur obéir.Voilà pourquoi les généraux et les colonels ont une autorité despotique sur leurs régiments. Ils Sont obligés d'en répondre, corps pour corps, au souverain ; le chef reçoit les ordres du prince, et ce dernier est sûr de leur exécution. Il arrive de là que des troupes, nourries dans cette subordination sévère, ne sachent ni désobéir ni raisonner ni se plaindre ; qu'elles sont dociles aux commandements dans les plus grands dangers, et qu'elles affrontent la mort, lorsque leurs chefs le leur ordonnent ; elles vont où elles sont menées, et font des merveilles, lorsque l'exemple debraves officiers les encourage.La discipline contient le soldat et l'oblige de mener une vie sage et réglée ; elle s'abstient de toute violence, du vol, de l'ivrognerie, du jeu et l'oblige à être retiré dans son quartier à l'heure de la retraite. Un régiment bien discipliné doit être plus sage qu'aucun couvent de moines ; et par cette sévère subordination on fait que toute une armée dépend de la conduite d'un seul homme, et que, si celui-là est un habile capitaine, il n'a qu'à bien penser et être sûr de l'exactitude de l'exécution. »

PROTECTION DU SECRET ET ces SANCTIONS

Tous services, et entreprises lorsque l'employé travaille sous couverture à l'extérieur du quartier général, ayant pour caractéristique commune la nécessité d'une confidentialité et de moyens de sécurité devant protéger quelques-unes de leurs activités ordinaires, ceci vient justifier un engagement formel par écrit à la tenue du « secret professionnel ». C'est ce document qui sera utilisé lors la prétendue divulgation d'informations, bien entendu sans rapport avec celles, plus secrètes, qui auront réellement et intentionnellement été révélées à des individus extérieurs aux services secrets[35].Lorsqu'un employé des services secrets se rend coupable d'une divulgation consciente et délibérée du secret, y compris celui, tout personnel, des seules conditions de son existence, les sanctions prises contre lui sont toujours très lourdes, sans communes mesures avec celles, légales,ordinairement appliquées à l'extérieur du monde des services secrets[36].Les services secrets considèrent, à juste titre bien souvent, que le secret qui caractérise ordinairement toutes ses activités, et les diverses formes de son existence, a, d'un point de vue global, une importance supérieure à celle d'un individu, de sa liberté ou de son bien-être. Partant D'une telle prise de position, l'acte de révélation non autorisée du secret revêt une gravité qui dépasse celle d'un délit de droit commun, quel qu'il soit.Mais comme l'acte de violation du secret mènerait lui-même à la divulgation d'autres secrets s'il était puni par un tribunal civil, les jugement et sanction de celui-ci sont prononcés et appliqués en secret par les services secrets eux-mêmes, hors de toute supervision du pouvoir judiciaire officiel.L'exception à cette règle ne se produit que lorsque le coupable est parvenu à faire reconnaître son statut passé ou actuel d'employé des services secrets auprès du grand public - ce qui est rare parce que très difficile à démontrer sans avoir été entre temps accusé de folie ou de délire. Et dans ce dernier cas, c'est un procès civil à huis clos qui a lieu, si l'on considère que la sanction qui aurait dû être appliquée en interne pourrait susciter une curiosité accrue du grand public, tels que maladie,accident ou mort suspecte - car ce dernier genre de sanction est parfois appliqué. Les détails concernant de telles sanctions sont en tous points similaires à ceux présentés dans le chapitre de ce livre consacré aux méthodes modernes d'élimination des individus par les services secrets.

RELIGIÓN

Le lecteur est certainement curieux de savoir si la religion peut-être amenée à jouer un rôle important au sein d'un service secret, et, plus particulièrement, par rapport à sa culture.Il n'est pas difficile d'admettre que la religion occupe une place importante dans les services secrets des pays de la péninsule arabique. Les choses sont plus complexes dans les cas des pays occidentaux, et on peut dire que, d'un pays occidental à un autre, les découvertes et considérations proposées par le sociologue allemand Max Weber (1864-1920), dans son célèbre ouvrage L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme (1904-1905), s'appliquent pleinement. Pour quelques services secrets occidentaux, la pratique d'une religion, ou juste la croyance en l'une d'elles, pose le problème de la loyauté envers l'État (ou/et envers la cause politique lorsque celle-ci a une grande importance). C'est pourquoi la croyance en une religion est souvent un motif de discrimination au sein des services secrets des pays « de gauche » ; elle y est très mal tolérée, voire pas du tout.Dans les pays où la religion dominante est historiquement le protestantisme, c'est exactement le contraire qui se produit : on ne pourra accorder une pleine confiance à un individu qui est athée,voire qui est catholique. Nous verrons dans un autre chapitre, et concernant quelques pays en particulier, que le contrôle de l'accès à des responsabilités importantes dans un service secret peut être (fréquemment, mais pas forcément) conditionné par l'appartenance à une société secrète locale qui prône l'athéisme, ou, au contraire, la foi en un dieu. Tel est le cas des services secrets anglais et américains, au sein desquels la foi en Dieu est vivement souhaitée, sinon requise. Depuis les créations de la CIA et du FBI, on a remarqué une forte majorité de Protestants dans la première, et une forte majorité de Catholiques dans le second. Dans les services secrets anglais, on a rencontré une forte majorité de Protestants. 

Dans les services secrets français et allemands, depuis le début des années 1960, environ, on a pu assister à une profonde mutation concernant la question des croyances religieuses. Avant cette période, on rencontrait une proportion importante de Catholiques dans les services secrets français, et de Protestants luthériens dans les services secrets allemands. C'est la montée du socialisme dans ces deux pays qui a été le responsable de la quasi-disparition de la croyance en une religion dans leurs services secrets. À tout le moins, les employés des services secrets français et allemands qui croient en une religion ont un accès limité au secret, tel que cette condition a été sommairement présentée dans la préface de ce livre. En France et en Angleterre, tout particulièrement, on s'assure de l'athéisme ou de la croyance en Dieu des employés susceptibles de devenir des cadres, au moment de leur recrutement ou peu avant, en les recrutant tout d'abord dans la société secrète dominante du pays (le Grand Orient de France ou une de ses loges satellites, et la Grande Loge unie d'Angleterre, respectivement pour ces deux pays).D'une manière générale, lorsque la religion est un prérequis, la religion catholique, tout particulièrement, pose le problème de la double loyauté, puisque celle-ci a une hiérarchie et un chef spirituel suprême qui est le Pape. En outre, la hiérarchie de l'Église catholique est internationale, et un grand nombre de ses « cadres », petits, moyens et supérieurs, ont été historiquement confrontés à toutes sortes d'intrigues et de compromissions devant servir des visées politiques et d'influences diverses. La tradition catholique de la confession vient sérieusement aggraver ce dernier fait, le lecteur l'imagine sans peine[37].Il y a une seconde objection à la religion, plus subtile, mais aussi plus sérieuse, qui dit que là où ily a une religion et une seule, il est toujours possible que celle-ci puisse encourager à une conformité systématique à la doctrine de l'État plutôt que de stimuler la résistance à celui-ci. Le même raisonnement est applicable au dogme politique, puisque ce phénomène, très régulièrement constaté dans les services secrets, est une porte ouverte à des excès et dérives de toutes sortes.

FIN D'ACTIVITÉ

Quiconque est recruté par un service secret n'en sortira jamais, même lorsque arrivé à un âge où d'autres prennent ordinairement leur retraite. Les seules formes de retraites possibles pour un employé ou un agent des services secrets sont la maladie invalidante ou la mort, ou le refus de continuer à servir et à obéir, un acte qui a toujours pour conséquence une fin de vie sous contrôle assortie de moyens de subsistance réduits à la précarité.Le lecteur doit donc comprendre que les individus qui sont parfois (rarement) présentés au grand public comme d'ex-employés » des services secrets ne peuvent l'être complètement en réalité, en aucun cas. Tout au plus peuvent-ils, toujours dans ce dernier cas précis, être recrutés par des administrations publiques ou des entreprises privées au sein desquelles ils mettront, sur instruction plus ou moins explicite des services secrets, leurs compétences particulières au service de celles-ci.On le voit, le quotidien des agents et des employés des services secrets est particulièrement dur, et il paraît l'être plus encore par contraste dans les pays occidentaux, où les notions de démocratie et de liberté individuelle sont largement admises et préservées, et même protégées par des lois depuis longtemps. Si une violence à tout le moins psychologique, ainsi qu'une banalisation des notions de vol et de tromperie, entre autres violations de l'éthique et de la morale, n'existaient pas dans les services secrets, il serait possible de comparer la vie quotidienne au sein de ceux-ci à celle des monastères religieux, où la foi en un dieu sert de ciment dès cohésion sociale et fidélité à la hiérarchie.

Dans les pays occidentaux et démocratiques, les services secrets nous apparaissent donc, dès le premier regard, comme des îlots de non-droit, et, pour quelques-uns de leurs membres eux-mêmes,comme de petits royaumes confinés dans des imprenables citadelles et autres forteresses, dans lesquels la seule loi admise est celle du despotisme[38].C'est pourquoi les mythe et dogme dont il a été question au début de ce chapitre constituent une croyance nécessaire à l'acceptation » progressive d'une telle existence quotidienne.Ces mythe et dogme diffèrent grandement d'un service secret à un autre, puisqu'ils sont presque toujours basés sur les Histoire et culture du pays. Mais tous doivent converger vers l'idée d'une pauvreté présentée comme une vertu (la visée formelle), jamais comme un impératif technique (la visée réelle). Il en résulte, toujours, que la réduction drastique de liberté individuelle favorise grandement les rapprochements entre employés, desquels naissent un esprit de corps attendu et une plus grande assiduité au travail, puisqu'il n'y a pas grand-chose d'autre à faire. Tout cela est encore basé sur les découvertes du chercheur Ivan Pavlov, et sur de plus récentes évolutions de celles-ci qui menèrent à la découverte que l'Homme est équipé d'un système nerveux central qui lui dicte d'agir,quitte pour lui à choisir les seules options qu'on lui présente et qu'il aurait probablement refusé s'il avait eu accès à un plus large choix.

La vie de l'agent clandestin.

La naissance de l'agent clandestin s'accomplit dans la douleur, à l'image d'un accouchement[39],et ce n'est que le début, pour une large majorité de ceux-ci, d'une existence faite de renoncements quotidiens jusqu'à la fin de leur vie, puisqu'on ne quitte pas les services secrets une fois que l'on y est entré, en vertu du simple fait que l'on a eu connaissance de quelques-uns de ses secrets bien gardés. Tout comme c'est le cas pour l'employé des services secrets, l'agent ne peut cesser de le devenir que « les pieds devant », et ceci explique le nombre relativement important de suicides de ces agents et employés, ou des suites de maladies psychosomatiques diverses ayant pour origine le stress ou la dépression.L'agent apprend à le devenir, et il continuera d'agir, exclusivement, selon les faits et méthodes découverts par le célèbre médecin et physiologiste russe Ivan Pavlov, c'est-à-dire toujours selon des ordres donnés implicitement ; jamais à l'aide d'explications verbales ou écrites, grâce au processus de communication binaire des punition et récompense. Mais dans le cas d'un agent, les punitions lui sont toujours infligées promptement, et les récompenses rarement offertes, ou savamment distillées,de manière à ne jamais lui offrir la moindre occasion de distraction dans la mission, ni moyen qui pourrait lui permettre d'échapper, ne serait-ce que temporairement, au contrôle absolu de son quotidien. C'est de là que vient cette tradition, dans les services secrets de quelques pays, d'appeler ses agents des « chiens », en référence au chien de Pavlov. 

Car, globalement, la psychologie des services secrets est basée sur l'action, sur une véritable croyance irrationnelle en l'intuition, et sur une expérience consommée de la manipulation des hommes et des femmes.La direction de tout agent commence par le déni de son droit à mener son existence comme il l'entend[40], et, pour d'évidentes raisons, tous les services secrets montrent toujours une ardeur particulière à démentir cet aspect de la vie de ses employés, en exhibant pour ce faire de rares exemples d'employés des services qui semblent fort bien s'en porter - on peut assez bien comparer ces « heureuses recrues » à l'appartement-témoin de l'agent immobilier peu scrupuleux.Les services secrets considèrent qu'un agent sans mobile ne peut être « digne de confiance » - la notion de confiance employée ici ne concerne que la valeur à accorder aux dires de l'agent, son obéissance et sa « fidélité » ne découlant que de la crainte d'une sanction. C'est pourquoi les recruteurs de l'agent jugent nécessaire de lui en trouver un, c'est-à-dire de le « tailler sur-mesure »pour lui. Car il est important pour les services secrets de savoir pourquoi l'agent fait ce que l'on attend de lui, une fois que l'alibi de la « collaboration » a pris le pas sur la menace du chantage.Le colonel Walter Nicolaï (1873-1947), qui fut le chef des services secrets allemand de 1913 à1920, a livré à l'Histoire un témoignage à la fois hautement crédible, unique et de première main, qui ne fut jamais renouvelé par d'autres cadres des services secrets jusqu'à ce jour, sous la forme d'un essai intitulé Forces secrètes, publié en 1932. 

En effet, ce livre insiste sur l'influence des cultures,par pays, sur les fonctionnements et efficacités de leurs services secrets respectifs pris dans leurs globalités, et aussi sur leurs agents en tant qu'individus. Et cet auteur de relever des différences récurrentes et très notables d'un pays et d'une culture à l'autre, jusqu'à brosser des portraits types d'agents secrets par pays.Dans Forces secrètes - en substance, car rapporter ce qui y est expliqué très en détail et dans son contexte allongerait considérablement ce chapitre et pourrait ennuyer le lecteur - le colonel Nicolaï Dit avoir constaté, lors des nombreux recrutements d'agents qu'il eut à superviser, des capacités de résistance psychologiques, des perceptions de l'amour propre et des prédispositions à s'impliquer fortement pour une cause ou pour un pays, fort différentes d'un pays à un autre.En somme, et en moyenne, des Allemands, des Russes, des Français, des Belges wallons, des Belges flamands et des Français ne réagiraient pas chacun et typiquement de la même manière lorsque confrontés à des alternatives du même type que celle que nous venons de présenter.D'autres faits historiques, aujourd'hui connus de tous ceux qui s'intéressent sérieusement à l'Histoire, indiquent que les exemples récurrents de volontés les plus fortes et les plus remarquables chez l'être humain, par pays, ethnies ou milieu socioculturels, se situent chez les Japonais et chez les Indiens d'Amérique du Nord.Dans le cas des Japonais, tout le monde a pu s'étonner des kamikazes de la Seconde Guerre Mondiale, qui n'ont pas eu d'équivalents aussi récurrents (quelques cas isolés seulement) dans tous les autres pays du monde à cette époque. 

Le grand public connaît moins, en revanche, ces cas de Japonais, hommes, femmes et enfants, qui se suicidèrent collectivement et sur le champ pour ne pas être faits prisonniers par les troupes américaines[41]. On peut encore citer le cas étonnant du lieutenant des services de renseignement militaires japonais Iroo Onoda, qui fut envoyé sur l'île deLubang, dans les actuelles Philippines, en 1944, où il poursuivit la mission qui lui avait été assignée et refusa de se rendre ou de se laisser capturer jusqu'au 9 mars 1974, c'est-à-dire durant 30 années[42].Pour ce qui concerne le cas des Indiens d'Amérique du Nord, à l'exception des membres de quelques rares tribus, ceux-ci, très majoritairement, n'acceptèrent jamais de servir d'esclaves aux colons blancs et préféraient la mort, ce qui contraignit ces derniers à devoir faire venir par bateaux des esclaves d'Afrique.Pour mieux échapper au soupçon et au crédit que l'on pourrait accorder aux actes répréhensibles que l'on attend de lui (et ceux-ci ne manquent pas), l'agent cherche souvent à s'abriter derrière la prétention d'un comportement instable, immature ou plus simplement « dérangé » ou marginal ; mais ce choix n'est généralement pas le sien (exactement comme dans un jeu de rôle, où il y a un « maître du jeu » qui est là pour en décider).De toute façon, et contrairement à ce qu'il en est pour l'employé des services secrets, il est assez fréquent que ces derniers recrutent comme agents des individus ayant des troubles psychologiques,pour des raisons que le lecteur va bien vite comprendre. 

Car voici une anecdote racontant un cas,authentique, d'un individu mythomane dont un service de contre-espionnage ouest-européen fit un agent fort utile.Un faux recrutement fut organisé pour cet individu, de manière à lui faire croire qu'il était devenu un agent du service de contre-espionnage, ce qui était, dans ce cas, à la fois vrai et faux.Concrètement, le service de contre-espionnage laissa cet homme croire en sa propre perception de ce qu'est un agent secret. Et on lui confia d'authentiques petites missions, et même d'authentiques informations confidentielles concernant certaines personnes. Précisons à cet instant qu'il s'agissait d'un ancien militaire, renvoyé des forces spéciales pour trouble mental, qui s'était passionné pour le sujet des services secrets, et qui avait lu toutes sortes de livres sur ce sujet. Entre son passage dans une unité des forces spéciales et tout ce qu'il avait lu sur le sujet du renseignement, il pouvait fort bien se faire passer pour un membre des services secrets auprès de beaucoup de non-initiés.L'homme rêvait depuis longtemps de devenir un jour un agent secret ; il ne fut donc pas difficile à convaincre, et il déploya un zèle qui serait fort embarrassant si venant d'un authentique agent.On l'envoya donc approcher diverses personnes, dont quelques personnalités, après lui avoir donné des informations concernant celles-ci qu'un individu ordinaire n'aurait pu se procurer, tels que des faits très personnels collectés à l'occasion d'écoutes téléphoniques et d'interception des consultations de l'Internet. Faits que « l'agent mythomane » s'empressa bien vite de répéter aux intéressés, aux seuls fins de montrer ses importance et pouvoir. Et, comme prévu, il laissa entendre qu'il était un « officier du contre-espionnage ».C'est bien ainsi que les personnes qu'il fut chargé d'approcher le prirent tout d'abord au sérieux,puis se demandèrent ce qui leur arrivait, on s'en doute. 

Car toutes ces personnes furent rapidement, et systématiquement, confrontées à la même étrange situation, et surtout à un doute épouvantable : celui d'avoir affaire à un déséquilibré qui détient cependant des informations que seul un service secret peut connaître !Du point de vue de ces victimes, c'était une situation inextricable, puisqu'elles étaient toutes assez intelligentes pour comprendre que personne ne les prendrait au sérieux si elles venaient à se plaindre de telles intrusions dans leurs vies privées. Sitôt que l'une de ces personnes congédiait « l'agent mythomane », ce dernier revenait à la charge avec de nouvelles informations plus privées et plus précises encore, toujours fournies par le service de contre-espionnage.En fait, toutes ces petites missions ne consistaient qu'en des intimidations, des tentatives de discrédit et autres harcèlements. L'énorme avantage d'un mythomane, du point de vue d'un service secret, est que tout ce qu'il peut savoir, dire et faire peut être promptement et facilement démenti à tout moment. Précisons que la mission de l'agent mythomane de cette anecdote se termina finalement par une peine de deux années d'emprisonnement, assortie d'un suivi psychiatrique.

LA RÉMUNÉRATION DE L'AGENT

Contrairement à une autre idée reçue, être agent secret n'est pas considéré par les services secrets comme une vocation professionnelle donnant lieu à une rémunération. Nous avons vu que ceux qui servent les services secrets ne sont pas payés à la hauteur de leurs efforts, capacités et talents particuliers ; on peut dire que c'est pire pour les agents, car la seule récompense que ceux-ci peuvent espérer ne dépasse guère le (rare) compliment de leurs officiers traitants, ou de petits cadeaux qui ne pourraient être convertis en monnaie sonnante et trébuchante (vacances, voyages, restaurants et nourriture, prostitué(e)s et autres plaisirs éphémères...). Car le règlement interne des services secrets interdit de rémunérer l'agent en numéraire, au prétexte que la fidélité ne se vend pas.L'agent doit donc tirer ses maigres revenus d'une activité de couverture généralement placée sous le contrôle discret des services secrets, qu'il exerce en sus de ses activités clandestines. Car l'agent qui peut se mouvoir de son propre chef sans contrainte est pour son officier traitant une liberté venant limiter son autorité. L'autorité de l'officier-traitant sur l'agent n'est ainsi assurée qu'au prix de fortes tensions, de contradictions et de paradoxes venant expliquer le caractère structurellement instable de cette interaction insolite, et qui semblerait complètement absurde à l'entendement de celui qui n'en connaît pas les véritables causes.

L'AGENT RECRUTEUR

Avec le temps, la relation entre l'agent et son officier traitant doit se « stabiliser », afin que celle ci puisse offrir la possibilité d'une pyramide hiérarchique d'actions et de relations devant échapper à la logique du monde des gens normaux. Un empilement de savoirs et de responsabilités doit pouvoir prendre place. Le tout doit mener à des attitudes et à des actions, et à l'opacité d'un réseau d'individus bien réel, mais dont l'existence serait impossible à démontrer devant une justice à l'esprit rationnel qui réclame des preuves matérielles et des aveux que personne ne lui présentera.Lorsqu'il est familiarisé avec les nombreuses contraintes de sa nouvelle vie, l'agent peut recruter à son tour, de fait sinon de droit, un « sous-agent ».Le dessin explicatif, ci-dessous, montre la cascade d'intermédiaires entre les services secrets et la source inconsciente ; ce type d'organisation est applicable autant au cas du réseau d'espionnage« classique » dans un pays étranger qu'à celui de l'intelligence domestique, à quelques différences mineures et de forme près. Aussi, le lecteur doit comprendre qu'il est fréquent qu'un agent n'ait pas de sous-agents ni des sources ; c'est fonction de sa spécialité et de ce que l'on attend de lui. 

LE « SUPER AGENT »

Les agents devant apparaître comme des cadres supérieurs ou de riches entrepreneurs se voient temporairement confier des possessions qui ne leur appartiennent pas, et qu'ils devront rendre un jour(ce que l'opinion publique n'est évidemment pas censée savoir). Hôtes généreux en public, ces« super-agents » ne mangent que salades et sandwichs en privé.Être un « super-agent » est un privilège extraordinaire que les services secrets n'accordent,« ordinairement », qu'à des recrues ayant manifesté des qualités jugées exceptionnelles et à l'issue d'une période de tests inhabituellement longue, suivie de périodes d'essais. La durée de l'ensemble du parcours ne peut être inférieure à cinq années, et prend couramment une dizaine d'années, voire plus (on parle de période probatoire).Les exceptions, puisqu'il y en a, peuvent être motivées par des raisons fort différentes les unes des autres, et selon les pays ; cela va du fanatisme politique ou religieux de la recrue à sa simple appartenance à une élite. Par exemple, il est devenu courant et notoire, en Russie, que de jeunes hommes sortis de nulle part deviennent de puissants dirigeants de grandes entreprises quasiment du jour au lendemain, sans avoir pour autant de compétences particulièrement remarquables, ni qu'aucune biographie ne vienne en apporter quelques raisons plausibles ; c'est un fait que la population de ce pays doit accepter sans rien en dire. La Russie n'est pas le seul endroit au monde où les super-agents sont créés ainsi, mais c'est le seul qui considère qu'il n'est pas nécessaire de créer pour ceux-ci une légende[43] à peu près plausible.Tous les services secrets du monde ne manquent jamais de grandes demeures bourgeoises immédiatement disponibles et sans héritiers, de véhicules de prestige, de bateaux, de biens mobiliers et de bijoux de valeur saisis par la justice, d'avions et d'hélicoptères qui pourront être empruntés, coûteux vêtements saisis par les douanes, de banques complices prêtes à garantir des liquidités, et plus encore de témoins prêts à témoigner des exceptionnelles qualités et hauts faits de qui on le désignera. De même qu'il ne suffit jamais que d'une startup et d'un gros contrat pour fabriquer, en à peine plus d'une année seulement, une réputation d'entrepreneur particulièrement habile. C'est ainsi que l'on fait des super-agents, depuis plus de deux cents ans.

LA DISCIPLINE

Les services secrets assoient l'autorité qu'ils exercent sur leurs agents et personnels sur la puissance d'un pouvoir politique collectif, contre lequel un individu ne peut lutter. La relation personnelle qu'entretient un officier traitant avec son agent est très inégale. L'officier-traitant se présente toujours comme un individu riche et puissant, même lorsqu'il ne l'est pas en réalité ; et il le rappelle constamment à son agent comme un moyen de mieux l'assujettir par l'intimidation ou par la suggestion implicite d'une délivrance ultérieure possible (grâce à ses « influentes relations »).Aussi, l'agent est seul et vulnérable (on veille constamment à entretenir un vide social autour de lui), tandis que l'officier-traitant peut compter sur l'appui de la bureaucratie. L'un est souvent derrière un bureau ; l'autre est « sur le terrain ». L'un est payé pour ce qu'il fait ; l'autre ne l'est pas.Au sein des services secrets, cette inégalité est institutionnalisée. L'importance du contrôle total d'un agent est essentielle pour son officier traitant, car le contrôle d'un agent se fait par les moyens grâce auxquels il fera ce que les services secrets veulent qu'il fasse.Le lecteur l'a maintenant bien compris, de l'exigence de connaître l'agent avec précision découle son assujettissement total. Certains services secrets ont une règle interne disant qu'un agent « doit être fermement tenu en laisse », d'autres qu'il doit être « maintenu d'une main de fer dans un gant de velours ». D'autres disent que « la capacité à manipuler de façon détachée des êtres humains est une vertu cardinale d'un recruteur, et que personne ne doit s'en indigner ». Car l'enjeu d'un tel rapport entre l'officier-traitant et son agent est bien de faire triompher dans une relation sociale la propre volonté du plus fort contre toute résistance, peu importe sur quoi repose cette relation, puisque l'illégalité est le premier outil des services secrets, ainsi que nous l'avons également vu, et le verrons encore.Dans sa relation avec les victimes que son « maître » - c'est-à-dire, réellement et strictement du point de vue des services secrets, son officier traitant - lui désigne, l'agent s'efforce de semer des indices qui prouveront plus tard qu'il n'est qu'un irresponsable, ou le seul responsable.Au titre de mesure préventive contre de possibles accusations de manipulation ou de chantage, et bien sûr d'enrober la transmission des ordres dans un flou de protection, les services secrets imposent parfois à leurs agents de recevoir leurs instructions par un messager ayant une couverture de voyant(e), d'astrologue, etc., dans le cadre de ce qui doit apparaître aux yeux de quiconque comme une consultation ordinaire. Ces consultations doivent réellement revêtir les apparences de ce qu'elles sont censées être, de manière à ce que même un agent d'un service de contre-espionnage ne puisse raisonnablement utiliser leurs enregistrements vidéo discrets comme preuve à charge devant une cour de justice. C'est ainsi que la distance s'installe entre l'agent et son officier traitant.

L'OFFICIER TRAITANT 

Si l'agent est un être faible du point de vue de la volonté - et, bien souvent, de la moralité aussi - cela ne fait pas de l'officier-traitant un être fort. À l'inverse de ses agents, l'officier-traitant est recruté selon un processus bureaucratique pas très éloigné d'une embauche ordinaire au sein de n'importe quelle administration, quoiqu'il soit appelé à vivre hors la surveillance physique permanente des services secrets, et de manière aussi clandestine que ses agents. Seuls une évaluation psychiatrique et des critères de milieu social différencient le recrutement d'un officier traitant de celui d'un cadre ordinaire interne des services secrets.Le statut de maître contrôlant la vie d'autres individus, selon le mode opératoire que nous avons maintenant vu en détail, implique l'absence d'empathie. Un individu normalement constitué, du point de vue de l'équilibre mental et affectif, ne peut bien sûr infliger de la souffrance à ses semblables sans motifs justifiables, et sur des périodes qui durent toute une vie dans la plupart des cas.Quoique l'alibi du patriotisme soit le plus fréquemment évoqué par l'officier-traitant pour justifier l'absence d'empathie qui doit le caractériser, le recours à des arguments religieux, idéologiques et philosophiques par celui-ci n'est pas rare. L'officier-traitant a pour problème d'avoir constamment besoin de justifier ses « méthodes de management », car de cette justification dépendent aussi l'autorité qu'il exerce sur ses agents, et ses espoirs de promotion au sein de sa hiérarchie des services secrets (ils sont très minces en vérité, puisque l'officier-traitant, du point de vue des services secrets, est lui aussi un pion qui doit nécessairement se compromettre personnellement par la pratique du chantage, entre autres formes de délits punis par la loi).

Tout comme la justice ne peut condamner à la prison sans la présence d'un délit, l'officier-traitant ne peut priver un individu de sa liberté sans la présence d'une justification recevable. C'est pourquoi l'officier-traitant, lorsqu'il est sommé de justifier ses actes, trouvé cette dernière dans l'intérêt collectif de la raison d'État, en arguant de la logique du sacrifice d'un individu pour en sauver plusieurs.Dans les faits, cependant, il arrive souvent, malheureusement, que la privation de liberté, les souffrances psychologiques et physiques infligées aux agents et aux familles de ceux-ci, ne sauvent que des privilèges et des intérêts personnels sans réel rapport avec les intérêts nationaux[44].Pour autant, ce programme d'assujettissement d'un individu par un autre ne peut reposer exclusivement sur une violence réelle ou symbolique. Même si la violence n'est jamais très loin, et en tout cas jamais absente, celle-ci, proche de celle que l'on trouve dans l'armée, a besoin de relais efficaces devant la masquer aux yeux du monde normal tout en en assurant la pérennité. La menace de violences exercées sur des proches de l'agent est également utilisée. Les biens, indemnités et héritages sont couramment et aisément mis en otage, puisque dépendants de règlements et décisions d'une bureaucratie d'État. Toutes ces mesures sont suavement présentées à l'agent, à la fois comme de la fermeté et de la bienveillance, un fait qui contribue largement à l'apparition de la pathologie mentale, de l'alcoolisme et d'autres formes de dépendances/échappatoires chez celui-ci.Car les services secrets ne se montrent jamais magnanimes ; ils ne veulent surtout pas laisser l'espoir à aucun de leurs agents qu'une honorable sortie est possible.L'adverbe suavement n'est pas employé ici par pure forme littéraire, car l'officier-traitant doit lui-même suivre un modèle de comportement très particulier avec son agent, lequel lui a été enseigné.

En effet, dans le but, à la fois de prévenir l'émergence de tous liens sincèrement affectifs ou de compassion entre l'officier-traitant et son agent, et aussi de stimuler l'agressivité dont ce dernier doit faire preuve pour être efficace, l'officier-traitant doit toujours suavement s'adresser à son agent (à un moment ou à un autre d'une conversation, au minimum), et lui présenter les faits et les contraintes les plus désagréables en montrant un sourire inapproprié à la circonstance[45]. L'officier-traitant demande aux messagers qu'il envoie parfois à son agent de faire de même[46]. L'humiliation est un des ingrédients de la manipulation des agents, et celle-ci est presque toujours employée de manière implicite, car les services secrets considèrent que pour qu'un agent soit parfaitement assujetti, il faut veiller à ne jamais lui laisser une occasion de retrouver son estime de lui-même, sentiment qui peut mener à des actes de rébellion ou à des tentatives de fuite.Par principe, l'officier-traitant doit se méfier de son agent, et même le mépriser, pour s'être soumis aussi bassement qu'il le fait, quoique rien de ces méfiances et mépris ne doivent être montrés à ce dernier. Car l'officier-traitant doit tout de même s'efforcer de faire croire à son agent qu'il a confiance en lui. « La méfiance », dit le règlement interne d'un service secret, « qui règle la conduite de l'officier-traitant, ne doit jamais paraître dans les rapports qu'il entretient avec ses agents ».L'officier-traitant doit avoir l'air d'« apprécier » son agent, au-delà du cynisme et des manières suaves qu'il doit régulièrement employé dans ses relations avec lui, afin qu'une relation affective et assimilatoire puisse s'installer, et ainsi venir réguler sa douleur morale. L'intensité de l'interaction,le risque parfois partagé ou supposé comme tel, la règle qui exige l'établissement d'une relation personnelle, et même la mauvaise conscience, sont autant d'éléments participant d'un phénomène d'attachement personnel tout à fait irrationnel du point de vue de la société normale. 

Il s'agit de la mise en place délibérée d'un processus de dépendance affective, en tous points similaire, dans la forme et dans le fond, à un syndrome de Stockholm[47], mais qui est ici délibérément fabriqué, puis contrôlé sur une très longue durée (plusieurs années à plusieurs dizaines d'années, jusqu'à ce l'agent meurt ou que l'officier-traitant cède sa place à un autre).Enfin, un officier traitant ou un envoyé quelconque de tout service secret ne doit jamais donner un ordre à un agent ; il doit s'efforcer de suggérer (c'est le terme régulièrement employé) ce qu'il attende celui-ci. En retour, l'agent doit comprendre qu'il s'agit bien d'un ordre, assorti de la promesse d'une sanction quelconque si celui-ci n'est pas exécuté. Plus subtile, indirecte ou implicite sera cette suggestion, et moins celui qui en est l'auteur s'exposera à une éventuelle poursuite judiciaire pour chantage (en prévision du cas d'un agent qui aurait l'idée d'enregistrer discrètement la conversation ou de conserver pieusement un message écrit dans ce but).En dépit des apparences que suggèrent les traitements couramment accordés aux agents par les services secrets, la plupart de ces derniers les considèrent tout de même comme des investissements qu'il faut donc se garder de perdre. Il est difficile d'estimer le coût du recrutement d'un agent, celui des formations diverses qu'il peut avoir reçu, et surtout celui de sa surveillance, le plus lourd à long terme. Car une partie importante de ces coûts n'a pas été prélevée en argent dans la caisse d'un service secret. Le recrutement d'un agent a souvent impliqué la participation d'autres agents qui n'ont pas été payés pour cela ; cependant, ce temps de travail aurait pu être consacré à d'autres missions.En interne, dans ce service secret, il y a eu le temps consacré à une enquête de sécurité précédant le recrutement, lequel peut représenter de nombreuses heures de travail assorties de déplacements en voiture et/ou en train. 

Enfin, nous trouvons les lourds frais de surveillance qui impliquent des écoutes téléphoniques, des sonorisations du domicile parfois, des personnels spécialisés en filature et surveillance physique. Tous ces frais incontournables peuvent facilement être optimisés dans le casd'un service secret d'État ; ils représenteraient une somme importante s'ils étaient pris en charge par une agence de détectives privés.Du point de vue d'un service secret, la fuite, la disparition ou le décès d'un agent ayant reçu un minimum d'entraînement représente une perte sèche et soudaine d'un investissement considéré comme relativement important à important ; très important parfois. Mais au sein de certains services secrets, où une culture militaire domine, l'agent est considéré comme « une arme », ainsi que nous l'avons évoqué plus avant ; pas une arme telle qu'un fusil ou une mitrailleuse, mais plutôt une bombe ou un missile d'avion, donc une arme consommable dont la destruction est prévue et, d'un certain point de vue, « comptabilisée ». Or, « une bombe ne doit pas coûter le prix d'un avion ». C'est Pourquoi les responsables du recrutement de certains services secrets surveillent attentivement les durées et coûts des recrutements des agents, et menacent les recruteurs de sanctions lorsqu'une de leurs recrues « se fait un peu trop prier ».À ce point de ce que ce livre explique, le lecteur s'étonne-t-il encore de l'importance qui semble être parfois accordée à la vie de l'agent secret qui a été capturé puis présenté comme un otage ?En cherchant à sauver la vie de cet otage, en usant bien souvent de moyens colossaux, le service secret ne cherche jamais qu'à ne rien révéler de l'indifférence qu'il manifeste ordinairement à l'égard de la vie de ceux qui le servent. Faut-il le rappeler - et l'auteur de ce livre n'est pas le seul à l'avoir fait -, les services secrets se refusent à considérer leurs agents comme plus que des« armes » ou des « chiens » tant que leurs existences demeurent inconnues du grand public, et comme des hommes et des femmes sitôt qu'elles le sont.Mais les belles paroles sont plus fortes que les réalités ; c'est d'ailleurs à l'aune de la capacité à les maîtriser que l'on juge la performance de l'avocat et du politicien, même lorsque l'on a pourtant été maintes fois trompé.

Profils de recrues.

Commençant par le bas de l'échelle, ainsi que nous l'avons fait dans le chapitre titré De la source inconsciente au cadre des services, continuons à respecter cet ordre.

Le petit mouchard peut être n'importe qui, ceci pour d'évidentes raisons. Il suffit simplement qu'il soit amené, ponctuellement ou régulièrement, à avoir connaissance de faits ayant un intérêt plus ou moins grand, susceptibles d'intéresser un service secret au moment présent ou plus tard. Comme Ce sera le cas pour tous les autres contacts, agents et employés, il vaut mieux pour cela que le petit mouchard n'ait pas tendance à fabuler, et qu'il soit sain d'esprit ou à peu près (car les services secrets usent fréquemment d'authentiques malades mentaux, dans le cadre de missions de harcèlement, en particulier).

Le contact a le même profil que le petit mouchard, en sus de quoi il doit avoir la capacité d'évaluer (à peu près) l'importance des informations que le petit mouchard peut lui rapporter.Cependant, il est fréquent que le contact du service secret intéresse celui-ci pour un tout autre motif que la collecte d'informations. Il peut, par exemple et pour des motifs au premier rang desquels on trouve la prétention d'un patriotisme ou d'un engagement politique, idéologique ou religieux quelconque, être d'accord pour prêter ponctuellement un matériel qu'il serait coûteux pour le service de devoir acheter pour un usage unique (un véhicule de prestige pour un agent qui devra passer pour un homme d'affaires, une camionnette...).Par exemple (qui a réellement existé et existe encore aujourd'hui, certainement), un loueur de matériel professionnel vidéo peut prêter sans frais à un agent des services secrets, pour une durée de quelques jours à quelques semaines, un coûteux appareil.Autre exemple authentique : un constructeur d'avions a prêté ponctuellement un jet d'affaires pour un agent (un « super agent » dans ce cas) qui devait négocier un contrat important dans un pays étranger.Le contact est, tout aussi fréquemment, un expert dans un domaine précis qui pourra assister un agent au moment d'identifier un matériel, ou évaluer la compétence d'un ingénieur ou chercheur spécialiste d'un domaine très spécifique.Le contact peut également être une ou un prostitué qui devra tenter de séduire un individu que l'on cherche à soumettre à un chantage (appelé « cible » et non recrue dans ce cas).Le contact peut être une employée de banque, à laquelle on demandera de faire tout ce qui est en son pouvoir pour faire fuir un client de son agence.L e contact peut être un agent d'une compagnie d'assurance, auquel on demandera (exemple authentique) de commettre une erreur au moment de taper le numéro de la rue ou demeure un des ses clients sur le formulaire de proposition de rachat de son véhicule récemment accidenté, à renvoyer rempli et signé, accompagné de la carte grise du véhicule sous 15 jours, sinon la compagnie considérera qu'il souhaite conserver l'épave en l'état pour raison personnelle, etc., etc.L'agent est un individu qui, souvent, s'est fait recruter parce qu'il avait pour caractéristiques d'être simultanément très intelligent et très vulnérable. Il a une grande intelligence, mais il n'a pas obtenu son diplôme de fin d'études, ce qui fait qu'il ne peut prétendre à un poste pour lequel il a pourtant les capacités requises. Il faut dire que les services secrets l'ont un peu « aidé » à rater ses examens (exemple authentique), durant plusieurs années consécutives ; à la veille de l'épreuve, la première année, il a été victime d'une infection bactérienne qui a nécessité une intervention des urgences hospitalières. À la veille de la même épreuve, l'année suivante, un de ses amis a déclaré qu'il se trouverait fort vexé s'il ne se rendait pas à son repas d'anniversaire ; le lendemain matin,jour de l'épreuve, il était cloué au lit dans un état épouvantable, suite à une intoxication alimentaire.Il a finalement renoncé à entreprendre pour la troisième fois sa première année d'études supérieures.

À partir de là, il s'est mis à chercher du travail ; il a aussitôt trouvé un petit boulot payé au salaire minimum dans une entreprise où il s'est fait quelques nouveaux amis : des jeunes à la dérive qui ont eu de la chance d'avoir décroché le même poste dans cette entreprise. C'est à partir de ce moment-là qu'il s'est mis à traîner dans les bars avec eux, et où il a commencé s'exprimer différemment, plus simplement, pour mieux être accepté par ses nouvelles relations.À ce stade de son existence sans but, on lui a suggéré de faire carrière dans l'armée ; le père d'un de ses collègues de travail, sous-officier de carrière, est alors arrivé à point nommé pour le recommander auprès d'« un service assez excitant où l'on s'occupe de surveillance vidéo ». Après Quelques petites années dans l'armée, tout fût fait pour qu'il souhaite en partir. Comme il avait été testé et formé durant sa courte carrière militaire, il a été placé, « par un concours de circonstances diverses », sous la tutelle d'un homme d'âge mûr et fortuné qui est devenu son officier traitant.

L'agent fille a eu un parcours assez similaire à celui de l'agent garçon que nous venons de voir, à quelques détails près (cet autre exemple est également réel). Comme elle a connu quelques problèmes scolaires au tout début de son adolescence, on l'avait dirigée vers une psychologue qui avait établi que cela venait de sa précocité. Son quotient intellectuel s'élevait alors à plus de 150.Lorsqu'elle a atteint l'âge de 17 ans, quelques-unes de ses amies, étudiantes et un peu plus âgées qu'elles, lui ont parlé d'un programme d'échange d'étudiants entre des universités basées dans différents pays, présenté comme « une expérience unique ». Elle s'est inscrite à ce programme et a immédiatement été acceptée. Elle a donc obtenu une bourse d'études devant lui permettre de se loger sur place.Mais trois mois après être arrivée dans ce pays étranger, les versements mensuels de sa bourse ont été interrompus sans raison apparente. Lorsqu'elle a demandé pourquoi, on lui a répondu qu'il s'agissait d'un simple retard dans les versements, et que l'on ne savait pas quand son compte sera crédité. Entre temps, elle a rencontré sur place un étudiant plus âgé qu'elle de cinq ans ; un personnage très intelligent, très gentil, homosexuel avéré qui s'accepte comme tel (orientationsexuelle importante dans ce cas, puisqu'elle doit prévenir l'éventualité d'une relation affective,préjudiciable à la manipulation). Cet homme lui a fait rencontrer ses amis, lesquels lui ont aussitôt proposé de l'héberger, puisque, ne pouvant plus payer son loyer, elle devait quitter son studio dans quelques jours. Avec ses nouveaux amis, elle a passé des soirées qu'elle a trouvées « excitantes » ;elle s'est mise à fumer du cannabis, comme eux, et à boire des alcools locaux plus que de raison.C'est ainsi qu'elle a finalement cessé de fréquenter l'université. Après quoi elle a trouvé un petit boulot sur place grâce à quelques relations de son ami homosexuel, dans une startup d'import-export créée par des immigrés pakistanais.Quand elle est revenue dans son pays, près d'une année plus tard, ses parents ne l'ont pas reconnue ; elle était devenue inexplicablement distante et avait désormais tendance à chercher à profiter des autres, y compris de ses parents. Et puis elle a déclaré être lesbienne ; elle vivait d'ailleurs avec une amie un peu plus âgée qu'elle qui partageait son loyer. 

Elle a rapidement trouvé un petit boulot en intérim, éprouvant et mal payé. Dans le même temps, elle s'est mise à se présenter comme étant d'extrême gauche », et à participer à toutes sortes de manifestations. Aussi, elle a fait la connaissance d'un jeune homme un peu plus âgé qu'elle, petit génie de l'informatique, qui lui a appris des astuces pour saboter des sites marchands américains ; elle s'est alors mise à passer des nuits entières sur Internet, après être rentrée de quelques bars où elle buvait de la tequila avec ses amies. Peu après cela, la mère de l'une ses amies s'est prise d'affection pour elle. En retour, la jeune fille devenue jeune femme s'est mise à appeler cette femme « sa seconde mère ». Cette femme se présente à la fois comme astrologue et sophrologue, et donc elle lui a régulièrement prodigué, depuis leur rencontre, d'excellents conseils concernant ce qu'elle devrait faire et ne pas faire, qui elle devrait ou ne devrait pas fréquenter, etc. La fille de cette femme est partie poursuivre des études dans une autre ville, très peu de temps après cette rencontre. La jeune fille a finalement appris que l'astrologue-sophrologue n'était pas vraiment la mère de son amie, en vérité (ce schéma du faux lien de parenté est régulièrement utilisé dans le cadre de recrutements et de manipulations) [48].Ces deux exemples de jeunes, devenus agents des services secrets sans en avoir été vraiment conscients, ont été sommairement présentés à l'aide d'anecdotes authentiques, parce qu'il serait long et compliqué de décrire et d'expliquer tous les détails du processus de leur recrutement, depuis l'angle de vision des services secrets de leur pays. Mais tout ce qui vient d'être expliqué permet de se faire une idée générale assez précise de la manière dont un recrutement d'agent par les services secrets peut être mené.

L'officier-traitant a un profil psychologique typique et très particulier qui le rend apte à faire ce que les services secrets attendent de lui : diriger des agents en les manipulant, c'est-à-dire leur faire accomplir des actes et des missions dont, souvent, ils ne peuvent comprendre la véritable finalité.Voici un profil d'officier-traitant fictif, cependant inspiré de plusieurs cas authentiques.Il est issu d'une famille aisée, et il n'a jamais eu à connaître la moindre difficulté pour trouver un travail avant de devenir officier traitant, et d'ailleurs, il a toujours eu de très bonnes places dans diverses grandes entreprises.Avant de reprendre des études de droit, à l'issu desquelles il a obtenu un diplôme d'avocat, il s'est engagé pour quelques petites années dans l'armée, où on l'a affecté dans une unité d'élite. Là, il a suivi toutes sortes de stages : de tireur d'élite, de manipulation des explosifs, de parachutisme, etc.Puis il a fini sa dernière année d'armée comme secrétaire d'un lieutenant-colonel de la sécurité militaire.En tant qu'avocat, il s'est essentiellement occupé du droit des affaires, comme employé de cabinets d'avocats. Il a appris toutes les astuces de montages de société offshore, de délocalisations permettant de payer moins de taxes et d'impôts. Il a fréquemment été amené à conseiller des entreprises en matière fiscale, et à élaborer des montages de sociétés-écrans, d'associations, toujours dans le but de faire échapper des bénéfices à la fiscalité, et de fabriquer des activités de couverture pour des cellules clandestines des services secrets de son pays. 

Il a même aidé à négocier des contrats pour des sociétés du pays en Afrique, et aussi pour des importations de produits industriels en provenance des pays de l'Est. Il a gagné beaucoup d'argent ainsi, et il n'a jamais eu à payer d'impôts sur ses gains dans bien des cas.Il a beaucoup de relations influentes qu'il fait fréquemment intervenir en sa faveur, ou pour celle d'autres gens qui lui sont utiles d'une autre manière en retour, car il est également un membre influent d'une société secrète bien connue dans son pays. Les relations entre cette société secrète et les services secrets de son pays sont très étroites ; il ne l'a que peu à peu compris, au fil de plusieurs longues années.On ne connaît aucune attache sentimentale régulière à cet officier traitant, ni aucun ami ; juste des relations, ce qui surprend car cet homme ne semble pas le moins du monde introverti, bien au contraire. Cependant, il s'est fait une réputation de personnage particulièrement rancunier, et les gens qui l'ont connu disent qu'il a fait avoir de gros ennuis à beaucoup de personnes, soit avec la justice,soit avec l'administration fiscale, parfois les deux en même temps.C'est pourquoi, craignant d'éventuelles représailles, cet officier traitant sort souvent avec un pistolet chargé, sur lui ou dans le vide-poche de sa puissante berline allemande, un haut de gamme dela marque.Il demeure dans une belle propriété de caractère isolée au milieu de la campagne, laquelle a un mur d'enceinte et est constamment gardée par de gros chiens.Il a une marotte : la collection de sabres japonais.

Il se rend régulièrement à la capitale pour y rencontrer diverses personnes, ou son « chef », qui,plus exactement, est un intermédiaire entre son chef, cadre des services secrets, et lui.Detail important de sa vie, il a progressivement acquis des connaissances particulières sur son pays, et sur le monde en général, qui lui ont été présentées comme « secrètes », et qui lui ont été enseignées, pour la plupart, à l'aide de moyens implicites, de non-dits, métaphores et autres double sens.L'accumulation de ces connaissances, comme autant de « couches de connaissances » qui se superposent, lui a permis d'accéder à ce que les services nomment des « degrés de conscience ». Les Degrés de conscience, auxquels doit également accéder un agent, peuvent être décrits comme une capacité, acquise par l'expérience et au contact du milieu des services secrets, à percevoir les visées réelles cachées sous les visées formelles, à deviner les vérités derrière les prétextes, et même à correctement et rapidement suspecter qu'un individu est probablement un agent secret, à partir de la simple connaissance de ses activités professionnelles et de son comportement. Aussi, les degrés de conscience sont autant d'accès à une connaissance, de plus en plus précise et détaillée, de comment fonctionne réellement la politique, c'est-à-dire la realpolitik. Les degrés de consciences sont autant d'avantages qu'à l'homme des services secrets sur l'individu ordinaire, en particulier au moment de manipuler celui-ci.

Cet homme est officier traitant depuis l'âge de 51 ans, c'est-à-dire depuis le moment où il a arrêté de travailler pour vivre de ses rentes, des placements financiers et des appartements qu'il a achetés à très bon prix et qu'il loue. Il est aujourd'hui âgé de 66 ans.Le chef de service a commencé sa carrière dans les services secrets à un âge relativement jeune,25 ans, comme simple analyste. Il est issu d'une famille de militaires ; son père a terminé sa carrière comme officier de la marine. Ce chef de service a réellement existé, tel qu'il est ici décrit.Lui aussi s'est engagé dans la marine, où, après quelques petites années, on lui a proposé, sans ambiguïté aucune, de poursuivre sa carrière dans les services secrets. Il a rapidement été promu, et il a atteint le grade de chef de service à l'âge relativement jeune de 37 ans. Il n'a pas eu à faire beaucoup d'efforts pour se hisser jusqu'à ce poste à responsabilité, pas plus qu'en eurent à faire ses collègues qui n'ont pas été promus comme lui ; il s'est trouvé que ce fut lui qui fut promu plutôt que ses collègues, sans raison apparente.Ce chef de service est un personnage calme et posé ; il a la tournure d'esprit d'un technicien ; ses subordonnés l'apprécient tous, sans exception. Il entretient des rapports cordiaux avec tous ceux qui ont à l'approcher, mais il évite soigneusement de céder à la familiarité. Il se sent plus proche de ses subordonnées que de son directeur, vraisemblablement parce qu'il a commencé sa carrière à leur niveau, ce qui lui permet de bien comprendre leurs problèmes et contraintes dont son directeur ne semble rien avoir à faire.Il pense qu'il ne deviendra jamais directeur, mais il n'en ressent aucune réelle frustration, car il aime bien être au contact de ses hommes tout comme il se passionne pour sa spécialité, et il n'est pas un ambitieux. 

Il pense qu'il se ne sentirait pas dans son milieu en temps que directeur.Le directeur de département est un brillant scientifique, à la base : un spécialiste des télécommunications. Il dirige le département du COMINT (surveillance des télécommunications) des services secrets, dans un immeuble qui n'est pas situé dans le quartier général. Son staff administratif et technique dans cet immeuble compte 200 cadres, ingénieurs et employés de bureau divers, sous des activités de couverture d'employés d'une compagnie privée de téléphone et de fourniture d'accès à l'Internet.Il se passionne pour sa spécialité, au point que quelques cadres des services secrets considèrent qu'il passe beaucoup trop de temps à chercher à résoudre seul des problèmes techniques très complexes, et pas assez à manager son département. Plus inquiétant, selon le point de vue de ces mêmes personnes qui l'observent, il ne semble pas être sincèrement motivé par les aspects stratégiques, politiques et idéologiques de la mission générale des services, ni même y croire.Il est cependant un homme très apprécié, et surtout très respecté, en raison de ses réelles compétences techniques, par tous les employés de son département qui voient revenir ses avis et recommandations. Mais ces derniers semblent tous bien comprendre qu'il ne fait pas vraiment l'affaire de la direction générale, car quelques employés sont convaincus que les hommes du service de sécurité intérieure surveillent anormalement tout ce qu'il fait, et ont d'ailleurs fait se propager cette impression sous la forme d'une rumeur dans tout le département. 

Un employé du service de sécurité extérieure a même surpris un soir une conversation à voix basse à propos de cela, et l'a bien sûr rapporté au responsable de la sécurité intérieure pour le département du COMINT.On n'en est tout de même pas à penser qu'il pourrait peut-être avoir communiqué des informations à des confrères scientifiques du civil ; on considère plutôt que son attitude est dangereuse pour lui même parce qu'elle ne correspond pas à celle des autres directeurs de départements et services.On pense que le jour de sa retraite est attendu avec impatience par la direction générale et par le service de sécurité intérieure, et qu'il sera probablement remplacé par un militaire qui pourra, enfin,exclusivement s'occuper de diriger le service et laisser les questions purement techniques aux ingénieurs qui sont justement là pour ça.Ce directeur de département décéda des suites d'un ulcère à l'estomac qui évolua vers un cancer,un peu moins d'une année avant d'atteindre l'âge de sa retraite. Seulement quelques heures après l'annonce de son décès dans un hôpital, un dimanche, un cadre du service de sécurité intérieure se rendit à l'immeuble de la direction du département COMINT, pour y effacer tout le contenu de son dossier personnel de travail sur le serveur informatique de l'Intranet du bâtiment.Le directeur des services secrets est un officier supérieur de l'armée, avec le grade de général de brigade. Il est lui aussi issu d'une famille de militaires ; son père fut lui aussi général.Il est diplômé d'une prestigieuse école technique, et il a été un des premiers de sa promotion.Il était déjà familiarisé avec le sujet du renseignement lorsqu'il fut nommé par le pouvoir exécutif à la tête des services secrets, sur recommandation de l'état-major de l'armée. 

Cependant, il ne s'était jamais intéressé en particulier au sujet du renseignement jusqu'à sa nomination.Il est connu comme un personnage plutôt froid et distant, mais comme il s'efforce de s'intéresser au mieux qu'il le peut aux différentes missions des services secrets, cela l'oblige à consulter assidûment les différents directeurs de départements, bien plus que le faisait son prédécesseur issu de la noblesse du pays, lequel était plutôt un homme de la diplomatie, fréquemment en déplacement à l'étranger pour aller y rencontrer diverses personnalités et négocier des accords inter-services secrets.Comme la plupart de ses prédécesseurs, en revanche, le directeur semble éprouver quelques difficultés à pleinement accepter, et même à comprendre, certains aspects des règles de la promotion dans les services secrets. Or il doit pourtant s'y intéresser plus que quiconque, puisque c'est lui qui doit en valider les propositions. Dans les faits, il s'en remet aux avis du directeur du service de la sécurité intérieure, lesquels ont, traditionnellement et logiquement, une grande importance - son prédécesseur lui a recommandé, durant la période de passation de pouvoirs, de prudemment accorder la priorité aux avis émis par la sécurité intérieure[49].Le directeur est amené à rencontrer régulièrement le chef de l'État ; il était âgé de 57 ans au moment de sa prise de fonctions.L'exemple de ce directeur de service secret est construit sur la base des profils de deux directeurs de services secrets occidentaux ayant réellement existé.

L'avocat et le psychiatre,piliers des services secrets modernes.


L'AVOCAT

La principale préoccupation commune à tous les services secrets est de ne jamais laisser depreuves permettant de les désigner nommément comme les auteurs d'une de leurs missions. Car un service secret ne fait jamais rien qu'il ne puisse nier plus tard ; ce qui signifie qu'il doit quotidiennement renoncer à des actions qui serviraient pourtant fort bien ses priorités et objectifs immédiats ou futurs, juste parce que celles-ci pourraient permettre de le désigner un jour comme son auteur.Considérons un exemple imaginaire, fortement inspiré du cas typique de l'opération à laquelle le service secret d'une grande puissance économique doit quasi quotidiennement renoncer.Les services secrets écoutent les communications téléphoniques d'un individu dont ils savent qu'il est l'auteur d'un trafic d'armes, mais comme ce trafiquant a des revenus connus et déclarés provenant d'une chaîne de pizzerias dont il est le propriétaire, il n'est raisonnablement pas possible de tenter de le mettre hors d'état de nuire grâce à une enquête fiscale. À l'issue de deux années de surveillance lourde, on n'a rien trouvé qui puisse prouver l'existence d'un trafic d'armes.Cependant, les écoutes téléphoniques ont démontré formellement que cet homme a mis en place un ingénieux système qui lui permet de mettre une partie de la recette de sa chaîne de pizzeria dans sa poche, sans la déclarer. La surveillance humaine de visu a, quant à elle, permis de démontrer que l'homme consacre ces sommes d'argent non déclarées à des activités qui n'ont rien d'illégal, et qui ne laissent aucune trace fiscale ou simplement comptable. 

Déclencher une enquête fiscale « aléatoire et de routine » ne permettrait donc pas de trouver le truc que l'homme utilise pour détourner une partie de l'argent de son entreprise ; il faudrait, pour y parvenir, que les agents de l'administration fiscale aient eu accès aux enregistrements des écoutes téléphoniques des services secrets. Or, les lois du pays n'autorisent pas ce service public à procéder ainsi dans le cadre de ses enquêtes ; il faudrait pour cela que d'autres faits concordants indiquent une activité illégale relevant du droit commun,lesquels permettraient de légalement justifier une écoute téléphonique. Sinon, son avocat lui recommanderai certainement d'impliquer les media (qui ne pourraient faire la sourde oreille dans un cas de ce genre) pour faire de cette affaire un scandale, ce qui risquerait, évidemment, de déclencher une polémique nationale à propos des « intolérables méthodes d'espions de l'administration fiscale », et dont on finirait par parler à l'étranger. Le trafiquant pourrait même attaquer l'administration fiscale en justice, et obtenir de lourds dommages et intérêts. Il est à prévoir, enfin,que, se sachant surveillé, il mette un terme définitif à ses activités de trafic d'armes sans jamais avoir été inquiété pour cela.Bref, pour les services secrets, faire usage de ces enregistrements d'écoutes téléphoniques, comme preuves à charge, mènerait à un cuisant fiasco.Un service secret ne renoncerait jamais à poursuivre des investigations et une surveillance concernant un personnage tel que le trafiquant de l'exemple que nous venons de voir, car une de ses missions est de pouvoir intervenir dans le pays, là où la justice, qui ne peut fonctionner qu'à l'aide de preuves matérielles, de témoignages crédibles et d'aveux, doit admettre son impuissance. 

Et comme prétendre faire justice sans respecter les procédures légales universellement adoptées dans tous les pays qui se prétendent des démocraties, c'est se mettre soi-même dans l'illégalité et l'arbitraire, il devient alors crucial de tout mettre en oeuvre pour pouvoir agir dans une parfaite clandestinité - tout comme le criminel doit tout mettre en oeuvre pour dissimuler la véritable origine de ses revenus derrière une activité légale de façade.Mais les services secrets n'aiment guère se contenter, comme le font bien ces criminels, de s'abriter derrière une simple astuce légale dont l'opinion publique n'est jamais dupe ; ils ne veulent même pas que cette dernière puisse songer plus d'une seconde à eux lorsqu'elle se mettra en quête d'un coupable.C'est pour cette dernière raison que les services secrets emploient des avocats à plein temps, car,de leur point de vue, il ne leur suffit pas de se préserver d'une accusation immédiate de l'opinion publique ; il faut également que leurs opérations clandestines puissent résister aux enquêtes ultérieures des journalistes d'investigation comme à celles des historiens spécialistes - dont certains ont une grande connaissance de leurs habitudes et manière d'effacer leurs traces.Nous aurons l'occasion de revenir sur ce dernier point en particulier, dans les chapitres concernant la surveillance des media de masse et de l'Internet.Il fut un temps, dans de nombreux pays et avant le boom de l'Internet, où il était relativement aisé pour les services secrets de prévenir la révélation, par les media de leurs pays comme par ceux de l'étranger, d'une affaire les concernant directement (ou d'une autre concernant des personnalités envue). 

Ce n'est plus possible à l'heure des blogs et des média d'information en ligne, parce que ces derniers sont créés et lancés en un temps record par n'importe qui et à peu de frais, canaux d'information totalement libres et indépendants, auxquels viennent s'ajouter, depuis tout récemment,ce que l'on appelle les « réseaux sociaux » (d'où la nécessité pour les services secrets d'une surveillance de l'Internet, laquelle implique, à elle seule, un besoin important de moyens techniques et de personnels supplémentaires, ainsi que nous le verrons).Sachant que les services secrets ne sont pas censés avoir à recourir aux services d'avocats devant les défendre devant une cour de justice, alors que la violation quotidienne des lois est le corollaire de toutes leurs missions, ceux-ci doivent donc consulter ces hommes de loi avant d'entreprendre quoique ce soit. Car de toutes les opérations et missions régulièrement accomplies par les services secrets, un certain nombre attirent inévitablement la suspicion de l'opinion publique, que ce soit sur la base de petites erreurs commises par des planificateurs ou par les petites fautes des agents qui sont alors interprétées comme des faits troublants, ou par le fait de simples déductions logiques faisant émerger un mobile lorsqu'elles sont « mises bout à bout ». De plus, ce que l'opinion publique sait ou croit savoir de tel ou tel service secret constitue pour celui-ci un handicap supplémentaire qu'il n'est pas toujours possible de surmonter - c'est aussi l'inverse qui se produit parfois, c'est le moment de le dire !Par exemple, il suffit qu'une personnalité en vue meure « avant l'âge » pour que quelques-uns prétendent que c'est l'oeuvre des services secrets, quand bien même on parviendra à démontrer formellement qu'il ne s'agit que d'un accident. Réciproquement, toutes les précautions prises autour d'une mission ne dissiperont jamais les doutes qui suivront la mort violente d'un ministre ou d'un militaire de haut rang (c'est le cas de la déduction logique qui pointe vers un mobile). 

Dans ce dernier cas, les services secrets se trouvent dans la même situation que le criminel connu de tous comme tel, et qui doit se contenter de l'alibi des « revenus légaux » venant diluer ceux qui ne le sont pas. Là encore, c'est un juriste qui sera chargé d'élaborer des prétextes recevables pour tenter d'apaiser l'opinion publique par la voix de quelques média complices.Lorsque les services secrets repèrent un avocat ou un juriste, fraîchement diplômé ou pas, en vue de le recruter pour en faire un de leurs employés à temps plein, ils attendent de celui-ci un service très particulier, qui consiste, exclusivement, à contourner les lois et non à les respecter et à les appliquer, à élaborer des alibis à l'avance puisqu'il y aura forcément préméditation. Cette attente inhabituelle de l'homme de loi implique que ce dernier, lorsqu'il n'est encore qu'une recrue, ait également un profil psychologique bien particulier, ou soit un individu honnête, mais cependant d'accord pour admettre que la raison d'État prime sur les considérations d'éthique et de morale tendues par l'opinion publique.Sachant, ainsi que nous l'avons vu, que les services secrets se sont considérablement développés en hommes et moyens depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et que l'intelligence domestique est devenue leur mission principale, et donc leur plus grosse consommatrice d'employés, agents,contacts et sources diverses, ils emploient couramment aujourd'hui un grand nombre d'avocats et des juristes à temps plein, et également un certain nombre de ceux-ci en tant que agents clandestins agissant au grand jour dans un contexte juridique normal.

Pour que le lecteur puisse se faire une idée de l'importance du rôle des juristes (avocats diplômés et autres) au sein d'un service secret moderne appartenant à une des premières puissances économiques mondiales, on peut évaluer le nombre de ceux-ci à entre 200 et 600 individus employés à temps plein, sachant qu'un bâtiment de bureaux où une partie de cette catégorie particulière d'employés peut être rassemblée peut compter jusqu'à près de 100 individus.Notons tout de même qu'une proportion relativement importante de ces personnels juristes se consacre au droit international dans la cadre des missions courantes et d'opérations de toutes sortes àl'étranger.Et il faut encore ajouter à ces nombres :1. les juristes rattachés à certains départements ou secteurs d'activités spécifiques et qui servent les besoins courants de ceux-ci, exclusivement (juristes spécialistes du droit des affaires, dans le cadre de la mission spécifique d'intelligence économique, entre autres exemples) ;2. tous les personnels qui, en raison de leurs spécialités et rôles ordinaires, ont (obligatoirement) à se familiariser avec le droit pénal et les questions juridiques et fiscales générales (droit commercial,droit civil, droit du travail...) ; c'est tout spécialement les cas des officiers traitants (par exemple et parce que ceux-ci sont tout de même nombreux), car ces derniers agissent quotidiennement en marge de la légalité, « sur le terrain », hors d'un contact physique immédiat de collègues auxquels ils pourraient demander assistance à tout moment.3. presque tous les employés d'un service secret, parce que ceux-ci, sans être juristes, doivent avoir une connaissance du droit au-dessus de la moyenne de celle de la population (seul l'agent est abandonné à lui-même concernant cette matière, dans une large majorité de cas ; il ne reçoit de conseils que lorsque ses agissements risquent de nuire aux missions immédiates ou futures des services secrets en général, ou de son officier traitant en particulier).On comprend, dès lors, que l'individu qui se trouve être la cible d'un service secret doit affronter un adversaire très difficile à atteindre, lequel a presque toujours l'avantage d'une stratégie à long terme faute d'alternatives futures déjà envisagées et à chacune desquelles correspond une réponse déjà planifiée.

LE PSYCHIATRE

Sachant que le facteur humain est toujours déterminant dans le cadre de la poursuite de toute mission des services secrets[50], même à une époque où la technologie semble bien souvent avoir pris le pas sur tout ce que l'Homme peut faire, ceux-ci emploient, également à temps plein, un nombre élevé de psychiatres, psychanalystes et autres spécialistes du comportement[51]. On met l'accent sur« le facteur humain » dans les services secrets, parce que l'Homme y est à la fois son « arme »principale et son maillon faible.Le psychiatre des services secrets est appelé à être consulté dès la phase de recrutement d'un agent ou de tout employé, car chacun de ces derniers peut avoir un trouble que le recruteur ne verra pas forcément.Ensuite, il sera encore consulté dans le cadre du suivi ordinaire des employés et agents du service,en relation avec les gestionnaires des ressources humaines et quelques cadres qui ont un besoin régulier de son expertise. Car s'il est aisé de dissuader un collaborateur de faire des révélations publiques, en recourant à des menaces de lourdes sanctions ou à des procédés préventifs plus sévères encore, ces deux dernières sécurités cessent d'être efficaces avec des individus dont l'état mental est devenu instable et imprévisible, ou qui, devenus suicidaires, ne craignent plus rien ni personne[52].Or, le quotidien souvent très pénible des collaborateurs des services secrets, ainsi que nous l'avons vu au chapitre titré La vie de « l'employé » des services, favorise grandement l'émergence de troubles mentaux qui n'étaient que latents avant le contact avec le monde des services secrets, à commencer par les formes de dépression sévères liées ou non à des névroses ou a des désordres plus graves, lesquels peuvent réclamer des traitements thérapeutiques longs, incompatibles avec un travail régulier et satisfaisant dans un service secret[53].

Au-delà de la simple dépression passagère (et aussi de l'insomnie, également fréquente chez les employés des services secrets) qui peut être rapidement prise en charge et guérie, on trouve encore,toujours parmi les troubles les plus fréquemment constatés, les diverses formes que peuvent prendre le trouble de l'anxiété, la forme paranoïde de la schizophrénie et la paranoïa. Il y a d'autres troubles particuliers passagers qui peuvent être à l'origine de risques et d'erreurs professionnelles graves,mais qui peuvent facilement être guéris, tels que : la dissonance cognitive[54], le syndrome d'épuisement professionnel[55], le comportement passif-agressif[56]...Pour prévenir ou repérer plus facilement l'apparition de la dépression ou d'autres troubles psychiques, les psychiatres des services secrets de plusieurs pays occidentaux ont trouvé une astuce simple qui consiste en la recommandation aux personnels de s'observer et de se surveiller mutuellement, et de signaler tout signe de comportements ou d'attitudes inhabituels à leurs chefs de services respectifs, lesquels doivent les rapporter à la direction du département concerné, qui, à son tour, en référera au service de sécurité intérieure et au service du personnel[57].L'intervention du psychiatre des services secrets auprès des agents, lesquels, rappelons-le, ne sont pas membres du personnel régulier et titularisés, est de nature très différente, puisqu informelle et présentée comme une rencontre ordinaire avec une personne dont l'agent ignore souvent qu'elle est psychiatre.Tout d'abord, si le futur employé régulier des services secrets doit avoir une personnalité équilibrée, le recrutement d'agents et de contacts, et aussi celui des officiers traitants, s'affranchit couramment de cet impératif - cela dépendra, plus exactement, de la nature du trouble psychologique identifié. 

Car un « collaborateur extérieur » des services secrets peut présenter un grand intérêt pour ceux-ci, en raison même d'un trouble de la personnalité particulier. Le psychiatre,dans ces autres cas, apporte un concours précieux, car lui seul sait comment diriger et manipuler de tels individus, et aussi à quoi ils peuvent être employés utilement. Voici quelques exemples illustrant cette dernière particularité.Un service secret a couramment besoin d'« hommes de main », dans le cadre des petites missions de harcèlement qui sont le lot régulier des services de contre-espionnage et d'intelligence domestique ; un pervers narcissique, ou un psychopathe peuvent être logés comme voisin de palier d'un agent étranger identifié comme tel et que l'on cherche à « faire craquer », en complément d'autres formes de harcèlement. Ou il peut être recommandé par une agence de placement de personnel à une entreprise jugée indésirable sur le territoire ; une jolie fille à la personnalité borderline[58] peut être envoyée dans les bras d'un homme marié que l'on cherche à séparer de sa famille en vue de le recruter, etc., etc. De nos jours, grâce à l'Internet et la surveillance aisée de l'ordinateur d'un individu, un service secret peut également favoriser ces « rencontres toxiques » en usant de ce moyen.Enfin, le psychiatre des services secrets sélectionne les individus auxquels on confiera des tâches et missions qu'une personne équilibrée se montre incapable d'accomplir. 

Celles-ci consistent en la manipulation à long terme d'agents, la supervision de missions de harcèlement, d'élimination sociales et physiques, ainsi que divers types d'activités à l'étranger relevant de l'espionnage,strictement parlant. La variété des exemples est infinie, car elle dépend de facteurs multiples propres à chaque individu : les évènements clés de son enfance, sa personnalité et ses goûts, ses ambitions,ses intelligence et éducation, etc.Dans les profils psychologiques de tous ces individus, on trouve ce que les psychiatres nomment la« sociopathie »[59]. Car si la sociopathie est une forme générique de trouble mental englobant diverses variantes ayant chacune des degrés divers, les individus qui en sont atteints présentent pour autre particularité d'être parfaitement capables de mener une existence normale, et d'interagir avec les autres. Seules des personnes ayant appris à reconnaître les sociopathes peuvent les identifier comme tels plus ou moins rapidement.Comme le sociopathe apprend au long de son existence à adapter son comportement à ceux des individus normaux, son intelligence, si elle est grande, peut faire de lui un agent redoutable ou un officier traitant très efficace, contre lequel une personne normale et isolée ne pourra que difficilement se défendre.Une autre caractéristique, fréquemment rencontrée chez certaines catégories de sociopathes et intéressant les services secrets, est une aptitude particulière à mentir et à tromper les experts les plus doués à analyser les micro-expressions[60] et les attitudes gestuelles, ainsi que les meilleurs matériels de détection de mensonges (détecteurs de mensonges et voice stress analyzers[61]), ceci en vertu du fait qu'ils n'éprouvent aucun sentiment de culpabilité lorsqu'ils mentent.Les psychiatres des services secrets sont toujours consultés avant l'envoi d'un agent à l'étranger,et toujours, aussi, dans le cadre des opérations de recrutement de ressortissants étrangers, comme agent ou source, ayant des responsabilités importantes ou simplement susceptibles d'être utiles en raison de leurs activités professionnelles ou relations personnelles[62].


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