Les Services Secrets et VOUS 3

Les méthodes modernes d'élimination des individus.
2. l'élimination physique.

L'assassinat a presque toujours été associé au monde des services secrets, et de l'espionnage en particulier, tant dans la réalité que dans la perception qu'en a l'opinion publique. Pour ce qui concerne la réalité, nous avons déjà expliqué que le secret d'État a plus de valeur que la vie d'un individu. Et pour ce qui concerne la perception qu'en a l'opinion publique, celle-ci s'avère être un amalgame d'authentiques cas d'assassinats par les services secrets - qui ont frappé les esprits en raison de leur violence ou de l'originalité de leurs modes opératoires -, et d'une version romancée du monde des services secrets présenté par la littérature et le cinéma. La série des James Bond,imaginée par Ian Fleming, un authentique cadre des services du contre-espionnage britannique,insiste d'ailleurs beaucoup sur la dimension violente et meurtrière des services secrets, jusqu'à suggérer l'existence réelle d'un « permis de tuer ».Dans les faits, le « permis de tuer » a bel et bien existé dans les services secrets, mais il n'a concerné que quelques républiques bananières, dictatures et autres régimes policiers et militaires. Et Pour ce qui concerne le mode opératoire, celui-ci procède rarement de l'utilisation d'armes à feu,dagues et autres gadgets sophistiqués.

Nous avons largement vu que la discrétion et l'anonymat étaient les principaux soucis de tous les services secrets du monde ; le lecteur comprendra dès lors qu'il serait absurde de leur part de vouloir attirer les attention et curiosité de l'opinion publique au moment d'accomplir leurs missions les plus délicates. Il existe bien des exceptions à cette règle de la discrétion ; celles-ci ne sont pas le fait de maladresses, mais de volontés délibérées d'assortir la mort violente d'un individu à un message d'avertissement adressé à un pays adverse, ou, plus fréquemment, à une organisationterroriste ou criminelle.De fait, les services secrets montrent bien peu d'efforts à cacher à l'opinion publique qu'ils sont les auteurs des exécutions sommaires de leaders terroristes, puisque, après tout, ces derniers ont officiellement déclaré une guerre présentée comme « asymétrique » à certains pays. Les morts durant les guerres ne sont pas des assassinats, et l'opinion publique approuve largement ce genre d'élimination physique d'individus par les services secrets. Et la revendication plus ou moins officielle de telles éliminations physiques n'est jamais qu'une démarche visant à faire comprendre aux terroristes que, puisqu'ils se présentent explicitement comme des guerriers, ils ne pourront pas jouir des avantages d'une justice civile.

Viennent ensuite les éliminations physiques dont nous dirons qu'elles sont « partiellement »revendiquées par les services secrets. C'est-à-dire celles dont le mode opératoire est à la fois violent et ne peut être accompli que grâce à des armes ou des matériels particulièrement sophistiqués que seul un État peut posséder. Dans de tels cas, la nature elle-même des armes qui ont été utilisées pour tuer, et/ou un mode opératoire très particulier, n'existent que pour servir de signature, puisque la plupart des services secrets savent très bien comment dissimuler un assassinat sous les apparences d'une mort naturelle ou des suites d'une maladie ordinaire, ainsi que nous allons le voir.Il est nécessaire de présenter quelques exemples relevant de ce cas pour qu'il soit bien compris.En 1978, l'auteur littéraire et dissident bulgare Georgi Ivanov Markov fut assassiné à Londres par les services secrets de son pays alors qu'il attendait le bus, à l'aide d'une arme particulièrement sophistiquée que seul un service secret pouvait avoir conçue. Il s'agissait d'une sorte de pistolet silencieux camouflé sous la forme d'un parapluie, dont le projectile était une minuscule sphère de seulement 1,52 millimètre de diamètre, faite d'un alliage de platine et d'iridium et comportant deux micro-cavités en forme de X contenant chacune de la ricine[121], un poison très violent et difficile à fabriquer ou à se procurer.Sachant que Georgi Ivanov Markov avait fui à l'Ouest, s'était impliqué dans des actions de propagande noire contre le régime communiste de son pays et avait été condamné par contumace pour cela, il ne fut pas très difficile de conclure qu'il avait été assassiné par les services secrets bulgares,probablement avec la participation plus ou moins active du KGB russe.

Cet assassinat était un avertissement adressé à tous les dissidents bulgares en particulier et des pays du bloc de l'Est en général, qui seraient tentés de s'impliquer activement dans des actions de propagande noire contre leurs pays d'origine. Et d'ailleurs, dix jours avant l'élimination physique de Markov, on avait tenté d'éliminer, exactement de la même manière et dans une station de métro à Paris cette fois, Vladimir Kostov, un autre dissident bulgare.En 2006, un ex lieutenant-colonel des services de contre-espionnage russe (FSB[122]), Alexandre alpérovitch Litvinenko, fut assassiné, toujours à Londres, par les services secrets russes (SVR[123]).Cette élimination a été accomplie à l'aide d'un poison de nature radioactive particulièrement rare et cher, du polonium 210[124]. Il était connu que Litvinenko avait été recruté par les services secrets britanniques, le MI6. Aussi, il avait fait publier un livre dans lequel il accuse les services secrets russes d'avoir organisé eux-mêmes la vague d'attentats en Russie en 1999, attribuée aux Tchétchènes[125], et il était un fervent opposant de Vladimir Poutine.Les circonstances exactes de la manière dont Alexandre Litvinenko fut empoisonné ne furent jamais clairement élucidées, mais il ne fait aucun doute pour personne, en raison de la biographie de cet homme et des moyens techniques qui furent utilisés pour son élimination physique, que le coupable est les services secrets russes.

Dans l'Histoire contemporaine des services secrets, on trouve plusieurs cas d'éliminations physiques « partiellement revendiquées » par les services secrets français durant la Guerre d'Algérie[126]. On trouve également un témoignage de telles missions raconté par l'ex-agent des services secrets israélien, Victor Ostrovsky[127].D'une manière générale, des morts suspectes d'agents secrets ou même de politiciens, fortement présumées avoir été orchestrées par les services secrets, se produisent « régulièrement ».Viennent enfin les éliminations physiques discrètes dont l'actualité ne parle jamais, ou qui ne sont jamais interprétées comme des assassinats, précisément parce que tout a été fait pour les faire passer pour des décès naturels. De telles éliminations physiques ne sont pas une nouveauté des temps modernes. On en trouve fréquemment dans l'Histoire de la criminalité ; il s'agit, le plus fréquemment,d'assassinats par ingestion de multiples très petites doses d'arsenic.Mais l'élimination physique par la provocation artificielle et discrète d'une maladie fatale quelconque n'est entrée dans les usages des services secrets que depuis quelques dizaines d'années seulement, sans qu'il soit possible de donner une date ou même une période exacte, ni de nommer le pays qui aurait été le premier à l'utiliser. Cependant, on peut déduire, sans grand risque de commettre une erreur, que la provocation discrète d'une maladie ordinaire fatale doit coïncider avec la maîtrise de l'isolation et de la culture des virus pour leurs études par les biologistes, à partir de 1913[128], etde la mise au point de substances chimiques pouvant provoquer des affections particulières peuvent rendre une mort naturelle plausible.

Avant cette date, bien sûr, l'Histoire rapporte de nombreux cas d'utilisation d'animaux et d'êtres humains morts de la peste ou de la variole, voire d'utilisation de couvertures infestées par la variole ou d'empoisonnements de l'eau des puits, pour mener des batailles bactériologiques ; mais il s'agissait de méthodes grossières qui ne tromperaient pas la médecine légale moderne. Et de toute façon, toutes ces maladies provoquent d'abord des symptômes très visibles qui préviennent du mal,lequel peut-être efficacement traité par la médecine moderne bien avant l'issue fatale.Les éliminations physiques commises par les services secrets et par l'usage de maladies ordinaires difficilement curables semblent être apparues durant le milieu du XXe siècle. Par exemple,en France, durant l'année 1945, un certain nombre de personnes (membres des Renseignements Généraux en particulier) dont il fut difficile de prouver qu'elles avaient collaboré avec les forces allemandes, décédèrent d'endocardite[129], un mal rare et fatal à cette époque. Une endocardite pouvait facilement être provoquée chez un individu grâce à l'introduction de certaines variétés de streptocoques dans le sang (à l'occasion d'une simple et innocente intervention dentaire, ou au moment d'une vaccination ou d'une prise de sang).

En 1951, les chercheurs Burns et Paton découvrirent le suxaméthonium, un curare dépolarisant qui fut rapidement utilisé en médecine d'urgence. Quelques spécialistes médecins des services secrets découvrirent une autre vertu du suxaméthonium. Comme tous les curares, il devient à haute dose un poison qui agit sur les muscles respiratoires et sur le coeur, en les paralysant durant une courte durée,mais assez longue cependant pour provoquer la mort sous l'apparence d'une crise cardiaque.L'intérêt principal du suxaméthonium, toujours du point de vue des services secrets, est qu'il se dilue rapidement dans le sang pour ne laisser aucune trace de sa présence lors d'une autopsie. Il est donc utilisable pour assassiner, sans laisser de traces ni forts soupçons, contre tous les individus susceptibles d'avoir une crise cardiaque (personne âgée de plus de 40 ans, grand fumeur, gros mangeur et consommateur d'alcool...).Encore un peu plus tard, vers 1960, les services secrets britanniques tirèrent profit de la découverte de l'aflatoxine[130] pour procéder à quelques éliminations physiques discrètes. Si la dose d'aflatoxine discrètement associée à une boisson n'est pas trop élevée, celui qui la boira décédera dans les six mois, environ, d'une cirrhose qui aura dégénéré en cancer du foie. Les services secrets empoisonnent de cette manière des individus dont leur entourage sait qu'ils consomment régulièrement de l'alcool, ce qui rend impossible à prouver, ou même à soupçonner, l'hypothèse d'un assassinat.

Citons également l'acide fluorhydrique, une solution aqueuse très corrosive et toxique de fluorure d'hydrogène, qui est un poison violent très particulier et aux effets spectaculaires, puisqu'il peut agir par simple contact avec la peau (après avoir été vaporisé sur une poignée de porte, par exemple).Lorsque la peau entre en contact avec de l'acide fluorhydrique, le produit pénètre d'abord les couches de peau (épiderme, derme), causant plus ou moins rapidement des dégats important des tissus ; quasi-immédiatement ou au bout de 24 heures, selon le niveau de concentration du produit (de plus de 50 % à 20 % de concentration, respectivement). À haut niveau de concentration (plus de 50 %), l'acide fluorhydrique provoque de très graves brûlures, passe la paroi dermique pour atteindre les os et les vaisseaux sanguins, se lie au calcium du sang et des os, et, par cette action,détruit le coeur ; la mort s'ensuit très rapidement. Les vapeurs d'acide fluorhydrique, seules, peuvent également être mortelles, parce qu'elles provoquent une corrosion rapide des voies respiratoires, des dégâts aux poumons, suivis d'un oedème pulmonaire fatal. Par exemple, un contact de seulement 2.5 % de la peau avec de l'acide fluorhydrique concentré à 70 % provoquera une mort rapide. C'est Le poison qui est projeté en aérosol contre la poignée de porte d'un minivan par l'acteur Bruce Willis Dans le film Le Chacal, tourné en 1997 par Michael Caton-Jones ; cette scène correspond donc bien à une réalité.

D'une manière générale, les services secrets n'utilisent pour tuer, depuis quelques années, que des substances provoquant des affections courantes, donc qui attirent peu l'attention et les suspicions. Ils N'en changent que pour délibérément susciter le doute et « adresser un message » que seuls d'autres services secrets pourront comprendre (formes de cancers rares et/ou généralisés, en particulier),dans le cas de l'élimination physique d'un agent étranger, par exemple.Il existe une dernière forme d'élimination physique discrète qui consiste seulement en le prolongement indéfini de l'élimination sociale que nous avons vue au chapitre précédent. Cette Méthode d'élimination physique d'un individu ne peut être entreprise dans un pays étranger, pour des raisons aisément compréhensibles. C'est pourquoi elle n'est utilisée que dans les contextes de l'intelligence domestique et du contre-espionnage.Les services secrets d'un pays d'Europe de l'Ouest conçoivent comme une « corrida » leurs opérations d'élimination physique procédant de cette dernière méthode - que le lecteur n'aille pas hardiment en déduire qu'il s'agirait donc des services secrets espagnols ! Voici pourquoi.Le but de la corrida est la mise à mort d'un taureau, animal jugé redoutable, au centre d'une arène pleine de monde qui, dans le contexte symbolique d'une élimination physique par les services secrets, pourra être comparée à une « opinion publique » qui aurait manqué d'assister à la première partie de ce spectacle tauromachique.

Car durant la première partie d'une corrida, appelée le tercio de pique, deux picadors, juchés surdes chevaux dont les flancs sont protégés des inévitables coups de cornes du taureau par les caparaçons, tourmentent celui-ci en le blessant à l'aide de longues piques acérées. Cette première étape de la mise à mort du taureau permet à la fois de l'affaiblir, d'évaluer son comportement, et surtout de l'énerver. Nous avons vu à quoi correspond cette métaphore dans la réalité, au chapitre précédent ; voici maintenant sa suite.Lors de la seconde partie de la corrida, le tercio de banderillas, des banderilleros, voire le matador lui-même, plantent trois paires de banderilles dans le dos du taureau. La réalité de cette métaphore peut être légèrement différente d'un cas à l'autre, mais cela n'est pas très important. Ce Qu'il faut observer et retenir, c'est que les banderilles attaquent le taureau simultanément selon une tactique planifiée à l'avance. L'un distrait son esprit en courant, en agitant ses bras et en sautant, pour que l'autre puisse venir à la fois l'affaiblir et l'énerver, par surprise, en lui plantant deux banderilles dans l'échine qu'il ne pourra pas retirer de sa chair endolorie. Cette attaque se reproduira encore deux fois, sans que le taureau ne puisse rien y changer. Il y a alors de grandes chances pour que l'animal se sente perdu après cela. C'est le but de toute l'équipe qui n'est là que pour le voir mourrà petit feu, selon un processus élaboré de longue date qui permet désormais de savoir à l'avance quelles seront ses réactions jusqu'à son dernier souffle.

Car il faut rappeler à cet instant que ce que redoutent le plus les banderilles et le toréador, c'est que le taureau puisse se comporter différemment des autres : qu'il soit tenté de renoncer et de se laisser mourir, c'est-à-dire, du point de vue d'un neurobiologiste, que le comportement d'inhibition prenne le pas sur celui de l'attaque. Dans une telle éventualité, la foule dans l'arène, qui est la version métaphorique de l'opinion publique rappelons-le, n'accepterait pas que la mise à mort se poursuive ; elle se tournerait contre le toréador, pour le déchoir de ses réputations de courage et d'honorabilité.Mais cela, le taureau ne peut évidemment le savoir ; de plus, la douleur persistante dans son échine, ces êtres qui s'agitent sans cesse devant lui et menacent de le blesser encore à tout moment, et la foule des centaines d'autres qui crient, l'empêchent de se reposer ne serait-ce qu'un seul instant.L'esprit du taureau est embué ; il ne pourrait réfléchir s'il était doué de la faculté de penser et de planifier ses réactions à venir ; c'est ce qui arrive également à l'individu qui perd le contrôle de lui même.C'est à ce moment-là que le héros de ce spectacle entre en scène. Nous en sommes à la dernière partie de la mise à mort du taureau.Le toréador, autorité suprême aux yeux de la foule dans l'arène, celui qui porte la noble épée,symbole de justice, va bientôt pouvoir justifier son acte en montrant à tous combien le taureau est dangereux, combien il est prompt à attaquer et si possible à tuer ; le « méchant », ce ne peut être que cet animal fou furieux.Le danger est toujours grand que le taureau cède enfin à l'inhibition, et donc que le toréador ne puisse le tuer avec l'aval du public. 

L'organisateur de la corrida ne serait pas content ; la foule, elle,n'en tiendrait pas le taureau pour responsable pour autant ; peut-être même s'appuie-elle sur son sort ; ce serait un renversement de situation et de rôles.Mais, on le sait, rendu fou par la douleur et la frustration de ne pouvoir faire cesser ses tourments,le taureau va bravement se défendre jusqu'au bout. Il a tort, mais, encore une fois, comment pourrait elle savoir ?La cible, humaine celle-là, d'une élimination physique par le harcèlement, a moins de choix que letaureau d'une corrida. Car lorsqu'elle cède à l'inhibition, malgré les tourments qui continuent de s'abattre sur elle, c'est qu'elle vient de sombrer dans une phase profonde de la dépression qui affectait déjà depuis plusieurs mois ou plusieurs années. Elle devra donc être hospitalisée pour que son mal y soit traité ; dans un hôpital psychiatrique. Elle y aura définitivement perdu sa crédibilité sinon sa vie, pour l'instant, car sa mort ne sera alors plus très loin. Et dans ce cas, déjà isolée socialement depuis quelque temps, il ne se trouvera plus grand monde pour s'intéresser aux causes ou aux circonstances exactes de son décès. Elle se suicidera, c'est l'issue la plus probable ; où elle décédera de mort naturelle, c'est-à-dire des effets conjoints de son grand état de faiblesse et de sonnécessaire traitement médicamenteux.Si la cible, en raison de sa personnalité, n'a pas cédé à l'inhibition, c'est qu'elle sera parvenue à fuir sa surveillance, tous ces « picadors » et « banderilleros » qui sont là pour la priver de moyens économiques et de ses chances de trouver de l'aide, de sortir de son pays dont les frontières, sans argent ni voiture, lui semblaient peut-être aussi difficiles à franchir que la palissade et les portes fermées d'une arène.

Mais une fois à l'étranger, si vulnérable, d'autres dangers l'attendent, nous les avons sommairement présentés à un chapitre précédent ; décrivons-les en détail.On cherchera à savoir qui est cet individu, s'il ne figure sur aucun avis de recherche, d'autant plus s'il ne vient pas d'un de ces pays en guerre ou d'une dictature du tiers-monde. Et, bien souvent, un nouveau harcèlement surviendra, tout aussi discret et sournois que le précédent, pour obliger cet étrange immigré à devenir un informateur de l'intelligence domestique cette fois, chargé de surveiller les ressortissants de son pays dont il connaît parfaitement la langue et les habitudes. S'il refuse, on le renverra dans l'arène » qu'est devenue pour lui son pays ; on le lui fait bien comprendre. Un Officier traitant local attend qu'il cède. Mais céder ne changera pas grand-chose, car s'il le fait, il sera traité comme un misérable, toujours avec ce mépris que l'on accorde ordinairement aux gens qui n'ont ni scrupules ni attaches, et qui n'ont pas d'argent pour s'offrir une apparence de respectabilité.S'il cède à ces nouvelles pressions, les services qu'il pourra rendre ainsi ne seront jamais reconnus, et, dans quelques petites années, on le renverra finalement dans son pays, au motif qu'il est fortement soupçonné d'être « un espion », ou un individu connu pour ses fréquentations interlopes ;cela arrive si souvent avec les immigrants.Si la cible, en raison d'une personnalité encore différente, plus tenace, a décidé de se battre pour tenter de survivre, comme le taureau, elle se trouvera confrontée à une des plus redoutables techniques de son adversaire : la manipulation des gangs de jeunes délinquants.

Depuis maintenant quelques années, les services secrets de nombreux pays tirent couramment profit des gangs de jeunes petits délinquants sans emploi ni éducation, ni avenir. Il est facile pour un service secret de manipuler ces gangs, en effet. Tous leurs membres sont bien connus des services de police ordinaires ; on sait déjà où ils demeurent, on connaît déjà leur personnalité, les délits auxquels ils se livrent le plus volontiers ou pour lesquels ils manifestent une aptitude particulière. On dispose aussi de multiples moyens de les contraindre puisqu'ils se sont déjà compromis, de multiples fois bien souvent : ils iront en prison ou leurs parents perdront leurs aides sociales, puis leur logement,s'ils ne collaborent pas. S'ils collaborent, la police fermera les yeux sur leurs petits vices ; une aubaine.Voici comment les services secrets utilisent ces jeunes pour harceler une cible ; c'est encore très simple et imparable.Un agent des services secrets qui se présente comme « un caïd très influent » va à la rencontre de l'un de ces jeunes délinquants, et lui propose une intéressante opportunité. S'il se montre capable de convaincre ses amis d'aller passer ses journées dans un autre endroit que celui que le groupe affectionne ordinairement (une entrée d'immeuble, bien souvent), tous en tireront plusieurs avantages.Cet endroit, c'est l'adresse de la cible devant être éliminée physiquement (ou même juste socialement). Là-bas, la police ne viendra plus les déranger, elle ne s'intéressera même plus du tout à leurs cas, individuellement, pour autant qu'ils ne s'en prennent pas aux locataires qui y demeurent.Tout ce qu'ils auront à faire, c'est d'y rester chaque jour aussi longtemps que possible ; ils pourront y discuter, y boire et y consommer des stupéfiants comme ils le veulent. 

Plus longtemps ils seront capables d'y rester, mieux ils seront rémunérés, en cigarettes, en haschich et en marijuana ; il y en aura pour tous ceux qui veulent venir. L'agent demande aussi qu'ils se montrent courtois avec les locataires de l'immeuble, et qu'ils aillent jusqu'à ouvrir la porte de l'entrée principale à la cible,tout spécialement, lorsqu'elle entre ou sort (ce détail est authentique).Lorsque la cible d'un tel harcèlement se trouve confrontée à une nuisance de ce genre, elle ne peut que s'interroger sur les raisons qui ont bien pu pousser tous ces jeunes délinquants, mineurs pour la plupart, à venir occuper en permanence le hall de l'immeuble où de la maison où elle réside ; rien ne peut rationnellement l'expliquer, puisqu'il y a (généralement) beaucoup d'autres endroits similaires dans son quartier, voire de bien meilleurs endroits. Elle se demande aussi pourquoi la police intervient parfois dans le quartier, mais ne s'intéresse jamais à ces jeunes que tout le monde peut voir consommer de la drogue sans se cacher, casser des bouteilles d'alcool dont les morceaux jonchent quotidiennement le sol et les abords de l'entrée désormais. Il arrivera forcément un moment où la cible, déjà victime des multiples petites frustrations et tracasseries qui ont été énumérées au chapitre précédent, croira que ces jeunes ne sont ici « que pour elle », même si cela semblait invraisemblable à l'entendement de quiconque. Car la cible ne les connaît évidemment pas, et c'est pourquoi ils ne pourraient avoir aucune raison de venir « lui pourrir encore un peu plus l'existence »[131], tout spécialement. C'est à en devenir fou, bien évidemment, puisque, du point de vue des services secrets, c'est fait pour cela.

Car la cible ne peut rien y faire. Elle comprend aussi que si elle tente de se plaindre, ces jeunes délinquants, si impressionnants par leur nombre, s'en prendront tout particulièrement à elle. À tout le moins, ils casseront probablement sa boîte aux lettres et voleront régulièrement son courrier, ils viendront casser leurs bouteilles sur son palier et non plus seulement dans le hall de l'immeuble, ils ruineront même contre sa porte et, au bout de quelques semaines, l'odeur deviendra insupportable et se répandra jusque dans son appartement. Peut-être même viendront-ils à s'en prendre physiquement à elle. C'est en effet ce qui est prévu dans un tel cas.Si la cible tente d'appeler la police, cette dernière écoutera sa plainte et se déplacera, en effet,pour venir demander à la bande de jeunes de se disperser ; mais, dès le lendemain, ils seront revenus,comme si rien n'était arrivé. De plus, ils chercheront à savoir qui a appelé la police pour se venger de cette lâche dénonciation. La cible comprendra alors bien vite que la police se lassera de ses appels ; cette dernière a d'autres priorités, plus importantes et plus utiles que de disperser quelques jeunes qui n'ont à se reprocher que de s'être pacifiquement réunis pour discuter.Alors la cible, à la fois excédée et désespérée, pourra être tentée de régler ce problème par elle même,ce qu'espèrent beaucoup les services secrets. Car une telle action, non seulement ne paiera pas, mais aura forcément des conséquences qui pourront s'avérer dramatiques. Comme la plupart de ces jeunes sont mineurs, ce sont des enfants ; or la loi, largement approuvée par l'opinion publique,interdit aux adultes de s'en prendre physiquement à des enfants, quand bien même ceux-ci peuvent se montrer des individus dangereux et criminels. 

Et puis la police et la justice se montrent toujours plus clémentes avec les mineurs qu'avec les adultes. Bien souvent, ils sortent libres du poste de police avant même que leurs victimes aient fini d'y être entendues.Si la cible vient à céder à une pulsion d'attaque, ce qui arrive parfois dans un tel cas, c'est elle qui aura alors affaire avec la police, « sérieusement » cette fois. Si cette riposte a entraîné des blessures ou la mort de l'un des jeunes délinquants, alors elle ira en prison, ou là, des tourments plus grands encore l'attendent. Lorsque cela se produit, il n'est pas rare que la cible se suicide dans sa cellule, ou qu'elle soit battue à mort par un codétenu, ce qui marque la fin de la mission des services secrets.Lorsque, à l'issue de plusieurs mois de ce tourment très particulier, la cible a trouvé la force de ne pas réagir, le gang de jeunes reçoit alors de nouvelles instructions de la part de celui qui vient quotidiennement leur apporter leurs drogues. Son logement sera cambriolé et saccagé durant une de ces absences. Pour mieux signer son attaque, avec autant de cynisme que possible, cette absence aura été justifiée par une convocation par un service administratif ou social quelconque. Le lien sera évident pour la cible, à ce stade de son harcèlement, mais il serait fou de chercher à le démontrer auprès de quiconque. Si la cible possède encore un véhicule, celui-ci sera brûlé ou saboté, tout comme quelques autres dans le voisinage ce jour-là, afin qu'elle ne puisse pas non plus prouver de cette manière qu'elle est bien victime d'un harcèlement.

Forcément, il n'y aura qu'une seule alternative pour la cible, si elle n'a pu fuir dans un autre pays,ou si elle n'est pas tombée gravement malade des suites de l'affaiblissement de son système immunitaire, lui-même provoqué par un stress important et prolongé[132] : fuir son logement pour aller vivre dehors, aussi loin que possible de l'endroit où son tourment est devenu insupportable,quitte à devoir souffrir de la faim et des intempéries, ou mettre fin à ses jours pour faire définitivement cesser ses souffrances morales[133]. Dehors, de toute façon, elle décédera bien vite,des suites du froid, de l'alcoolisme, de la maladie ou d'autre chose, ou elle disparaîtra sans laisser de trace.Les éliminations physiques par les services secrets, par le recours à des pressions psychologiques telles que celles qui viennent décrites, sont devenues de plus en plus fréquentes, dans à peu près tous les pays. Les raisons en sont : d'une part, la croissance générale de l'intelligence domestique,assortie d'une répression grandissante dans quelques pays, y compris occidentaux et riches ; d'autre part, l'assassinat par ce moyen est quasiment impossible à démontrer, puisque les cas d'individus qui mettent fin à leurs jours à la suite de harcèlement « ordinaires » sont devenus fréquents.Mais il existe encore une autre raison venant justifier que des individus soient ainsi tourmentés jusqu'à leurs décès : « l'exemple ». C'est-à-dire montrer à tous ceux qui ont été impliqués dans un harcèlement de ce type, et qui ont été les témoins de ses conséquences, ce qui pourrait leur arriver s'ils venaient à refuser l'autorité officieuse ou à tenter de s'en prendre à elle d'une manière ou d'une autre. 

Car tous ces autres individus ont pu comprendre que personne ne voudrait les écouter s'ils venaient à tenter de parler de ce qu'ils ont vu ; de plus, comme ils partagent tous une part de responsabilité dans ce qu'il faut bien appeler un assassinat collectif, même s'il est supervisé par une seule personne, un tel acte les obligerait à se dénoncer eux-mêmes du même coup. Et, de toute façon,du point de vue de ces derniers, il reste l'alibi disant que : « l'issue tragique n'est-elle pas arrivée par la propre volonté de la victime elle-même, qui s'est comportée si stupidement puisque personne n'avait parlé d'une intention d'en arriver là ? »Tout ce qui vient d'être expliqué n'implique nullement que tous les cas de suicides des suites d'un harcèlement soient des éliminations physiques discrètes et délibérées par les services secrets. Ces Derniers ne font, après tout, que reproduire de manière plus sophistiquée et plus consistante ces harcèlements ordinaires aux issues tragiques que rapportent régulièrement les media[134].Du point de vue d'un cadre des services secrets d'un pays d'Europe de l'Ouest, qui fut ponctuellement désigné pour superviser ce genre très particulier de missions, et qui, pour le justifier,parle d'une « violence d'État » inévitable parce qu'elle est parfois nécessaire au maintien de la stabilité de la Nation : « Jupiter commence par rendre fou celui dont il souhaite la destruction[135] ». Aussi, l'élimination physique discrète devant être précédée d'une longue souffrance et, si possible, de la folie, n'est employée par les services secrets qui la pratiquent que pour punir les traîtres et les individus qui sont parvenus à les attaquer avec succès et de manière consistante - on comprend mieux dans ce cas la justification d'un « exemple ».

On trouve quelques ressortissants étrangers parmi ceux qui ont été assassinés de cette manière ; de ceux qui ne pouvaient plus retourner dans leur pays sous peine d'y recevoir le même traitement ou d'y être emprisonnés.Enfin, il faut mentionner un « produit dérivé » de l'élimination physique, qui fut inventé et expérimenté pour la première fois en Égypte durant le mandat présidentiel de Gamal Abdel Nasser,selon le célèbre compositeur américain Miles Copeland (1916-1991), également un cadre de la CIA,et même l'un de ses fondateurs.Voici ce qu'il explique, en substance.Dans ce cas, l'opération de harcèlement devait être assortie de quelques petites astuces et autres manipulations qui visaient à pousser la cible à attaquer ceux que des agents manipulateurs lui désignaient. La cible devait donc croire que la déchéance sociale et économique dans laquelle elle se trouvait avait été organisée par d'autres personnes que ses véritables auteurs. Et, en étant arrivée à se croire perdue et sans aucun avenir, elle devait être amenée à se dire quelque chose comme : « Je N'arriverai pas à m'en sortir. Je vais probablement mourir. Mais celui qui a causé ma perte va mourir avec moi. »On l'aura compris, parvenir à amener un individu à raisonner de cette manière extrême, c'était faire de lui ce que l'on appelle couramment aujourd'hui un terroriste, et dans ce cas en particulier un terroriste prêt à mourir pour « la cause » que ses manipulateurs construisaient pour lui.Il serait long d'expliquer dans ce livre l'ensemble du mécanisme psychologique, d'un point de vue technique et scientifique, qui permet d'amener un individu à s'engager pour une cause désintéressée,au point d'être d'accord pour sacrifier sa vie pour elle ; un livre entier consacré à ce seul sujet serait nécessaire. 

De plus, une explication complète de cette méthode doit nécessairement s'inscrire dans un contexte qui n'est explicable que par la théorie des jeux, une autre discipline scientifique précédemment évoquée. C'est pourquoi nous devrons nous contenter d'en examiner les grandes lignes, dans un langage courant accessible à une majorité.Tout d'abord, les agents manipulateurs doivent approcher la cible à un certain point de sa déchéance sociale et économique, pour lui enseigner la doctrine politique ou/et religieuse qui devra servir de visée formelle (l'alibi), puisqu'il serait impossible de faire se sacrifier quiconque pour la visée réelle (qui est toujours un enjeu économique, ou stratégique relevant de la géopolitique). Cette Doctrine devra être assez dépourvue de sens logique, afin qu'aucun État ni aucun journaliste d'investigation ne puisse y trouver quoi que ce soit qui permettait de soupçonner l'État qui bénéficiera de ce genre de manipulation. Cependant, la doctrine choisie, qui sera donc le mobile du futur terroriste, devra être méticuleusement rédigée, de manière à ce qu'elle puisse avoir tout de même un minimum de sens, et, surtout, véhiculer des valeurs morales que l'opinion publique, ou une grande partie de celle-ci, pourra percevoir comme « nobles » (toutes les causes doivent être nobles pour être crédibles et populairement recevables). En gros, la doctrine devra permettre au futur terroriste de se présenter et d'agir au nom d'une « minorité opprimée par un puissant pouvoir omniscient et omnipotent » (un État, un cartel ou un lobby économique politique ou religieux, donc).Contrôlée par l'isolation sociale et économique durant sa préparation psychologique et son endoctrinement, la cible demeurera immédiatement disponible. 

Précisons tout de même - et cela vaut pour ce qui a été dit précédemment concernant les sujets du recrutement et de l'élimination sociale - que la frustration de la cible, indispensable à son conditionnement, dépend grandement du pays où elle se trouve. Il est plus difficile et plus long de frustrer un individu dans un pays pauvre que dans un pays riche, où l'esprit est constamment sollicité par un étalage général de biens, de confort et de plaisirs divers auxquels tout le monde semble avoir accès, sauf lui. De plus, cette frustration est d'autant plus intense si cet individu possède un haut niveau d'éducation. Le jeune diplômé est la cible privilégiée de ce type d'opérations, puisqu'on lui a appris à utiliser son cerveau, et à rejeter l'hypothèse de l'emploi manuel. C'est pourquoi, durant son endoctrinement et ses privations forcées,il doit être fréquemment exposé à des scènes (télévisées, filmées et réelles) de gens heureux et jouissant de toutes sortes de plaisir.Accessoirement, on pourra l'orienter vers un emploi choisi pour achever de le convaincre que ses savoirs et compétences n'intéressent personne, ou qu'ils ne peuvent être que très modestement rémunérés (du cynisme doit être montré en cette occasion).Du point de vue d'un individu qui a vécu dans une société où on lui a appris, depuis le plus jeune âge, qu'il pourra jouir de tous ses avantages sitôt qu'il sera en mesure de gagner sa vie, une immense déception s'installe, associée à un non moins grand sentiment d'avoir été trompé durant toute sa vie.Bien des gens exposés à une telle expérience sont prêts à recourir à d'extrêmes mesures contre ceux qui leur sont désignés comme des fautifs ; c'est tout simplement humain. D'une manière générale,tous les sentiments qui peuvent naître dans leurs esprits sont « négatifs », puisque l'on veille soigneusement à leur retirer tout ce qui pourrait leur procurer le moindre plaisir[136].L'ex-président égyptien, Gamal Abdel Nasser (1918-1970), fut le premier à utiliser cette technique de manipulation lorsqu'il était encore colonel de l'Armée égyptienne, et qu'il avait entrepris une action révolutionnaire contre le gouvernement de son propre pays au début des années 1950. On peut historiquement le considérer comme l'« inventeur du terrorisme suicidaire » au nom d'une cause abstraite.


Du contre-espionnage à l'intelligence domestique.

En dépit de ce que suggère le titre de ce chapitre, il serait difficile de déterminer avec exactitudesi, historiquement, l'action de contre-espionnage précéda effectivement celle de l'intelligencedomestique, ou si ce ne fut pas l'inverse, car les deux sont si étroitement liées que, d'un point de vuegénéral, elles sont une même chose. La seconde est une large extension de la première.Pour mémoire, à l'attention des spécialistes du renseignement, et en général à celle de tous lesautres, le contre-espionnage consiste à :Repérer et identifier les agents secrets étrangers et tous les individus (nationaux) agissantponctuellement ou régulièrement, consciemment ou inconsciemment, et de quelque sorte que cesoit contre les intérêts nationaux du pays, lesquels peuvent être, indifféremment, économiques(privés ou publics), scientifiques, techniques et industriels, sociaux et culturels, politiques etstratégiques.Cette définition, aussi courte dans sa forme que large dans sa proposition, a été ainsi rédigée parl'auteur pour être applicable à n'importe quel pays de ce XXIe siècle, ou à peu près. Quelques petitesprécisions sont donc nécessaires, en particulier concernant la nature d'une « action contre les intérêtsnationaux d'un pays ». 

L'action clandestine et hostile d'un agent secret étranger, d'un réseau d'agentssecrets étrangers ou d'un service secret étranger dans sa globalité, consiste ordinairement(ponctuellement ou de manière intensive selon le pays cible) en une « action passive » qui peut être :

- la surveillance de la politique extérieure (activités diplomatiques), des évènements politiques,des personnalités politiques en place et montantes, et collecter autant d'informations possibles surces personnes ;

- la surveillance de la politique intérieure (gouvernements et partis), des évènements politiques,des personnalités politiques en place et montantes, et collecter autant d'informations possibles surces personnes ;

- la surveillance de la dissidence politique et des minorités ethniques, culturelles et religieuses, duterrorisme ;- la surveillance des activités des services secrets et des différents organes et services en chargedes activités policières et de surveillance rattachés ou non, publics ou privés ;

- la surveillance des affaires militaires ;- la surveillance des activités de recherche scientifique et technologique ;

- la surveillance des activités économiques publiques, financières et bancaires, des principalesentreprises ;

- la surveillance des activités des principaux acteurs non gouvernementaux ou parapublics (ONG,centres de recherche et d'études) ;

- la surveillance des importations/exportations, consommations d'énergies et nucléaires ;- la surveillance des media et de la culture et de leurs évolutions ;

- la surveillance des facteurs et indices socioéconomiques (natalité/mortalité, PNB/PIB et parhabitant, chômage, évolutions sociales et culturelles diverses, consommation de stupéfiants, d'alcoolset de médicaments, criminalités, etc.) ;

- la surveillance des télécommunications, radiocommunications et signaux radioélectriquesdivers ;

- la surveillance des activités maritimes, aériennes et spatiales,ou en une « action active » qui peut être :

- le recrutement d'agents ;

- l'influence et la propagande de nature politique ;

- l'influence et la propagande de nature sociale ;

- l'influence et la propagande de natures économique et financière ;

- l'influence et la propagande de nature technologique ;- l'influence et la propagande de nature culturelle ;

- l'influence et la propagande de nature militaire ;

- l'influence et la propagande en direction des services secrets et des différents organes etservices en charge des activités policières et de surveillance rattachés ou non, publics ou privés(désinformation, démoralisation, dissémination de rumeurs),

- le sabotage ;

- l'aide aux mouvements de dissidence (politiques, religieux, sociaux, syndicaux, etc.) et auterrorisme domestique.

La liste ci-dessus montre bien l'immense diversité des actions et missions dont peut être chargé unagent secret étranger, et, du même coup, l'ampleur théorique de la mission d'un service de contreespionnagequi les nomme « menaces », indépendamment de leurs natures. Théorique, car, bien sûr,le plus puissant des services de contre-espionnage ne pourrait jamais s'en affranchir. C'est pourquoi,dans une très large mesure, un service de contre-espionnage intervient en amont de la menace, enpratiquant l'intelligence domestique.La plupart des services de contre-espionnage modernes ont une mission d'action préventive qu'ilsrevendiquent officiellement, mais celle-ci consiste largement, dans beaucoup de pays, en uneinformation/formation théorique dispensée auprès des services publics et des entreprises privéessensibles (aéronautique, électronique, informatique, etc.), et des universités où l'on forme desingénieurs et des scientifiques. Ces dernières missions d'information/formation sont toujours autantd'occasions pour les services de contre-espionnage d'étoffer leurs réseaux de contacts, lesquelspourront les avertir s'ils constatent un évènement ou un comportement anormal.

C'est à partir de cette dernière limite du champ d'action d'un service de contre-espionnage quel'intelligence domestique prend le relais de la surveillance intérieure d'un pays. Au contraire de cequ'il en est pour le contre-espionnage, l'intelligence domestique intervient très en amont de lamenace. Car cette mission consiste en la surveillance de tout ce qui pourrait ultérieurementconstituer une menace, ou favoriser l'apparition d'une menace (naturelle, ou entretenue par un payshostile qui aurait également fait cette découverte et en ferait une opportunité). Les mots indiqués enitaliques dans cette dernière phrase le sont pour insister sur le fait que l'intelligence domestique,même lorsque celle-ci est appelée « espionnage domestique » (c'est la même chose, mais avec unnom plus explicite[137]), est un travail de service secret effectué en direction d'une population quin'a rien fait de répréhensible, ni même ne s'apprête à le faire consciemment.C'est bien pour cette dernière raison qu'aucun service secret du monde ni aucun gouvernement nesouhaite s'étendre sur le sujet de l'intelligence domestique. Chaque fois que l'un d'eux a tenté dedonner un caractère officiel à son appareil d'intelligence domestique, la réaction de l'opinionpublique fut toujours prompte et vigoureuse. 

En Union Soviétique, le KGB était également chargéd'une large mission d'intelligence domestique, dont l'existence officielle fit les choux gras de lapropagande orchestrée par ses ennemis. Aux États-Unis, l'action d'intelligence domestique du FBI,officialisée durant la période de la Guerre froide, fit les mêmes choux gras de ses ennemis,réciproquement. En France, l'action d'intelligence domestique officielle des Renseignementsgénéraux (RG), et du Service d'Action Civique (SAC)[138], plus ou moins officiellement reconnue,mais bien connue de toute la population qui ne s'y laissa pas tromper, donna les mêmes résultats.Aujourd'hui, le FBI ne reconnaît plus faire d'intelligence domestique et se limite au contreespionnage(outre ses autres missions de police de droit commun), et le KGB, les RG et le SACn'existent plus. La mission d'intelligence domestique de ces pays, plus importante et plus nécessaireque jamais en ce nouveau siècle marqué par les apparitions de nouvelles menaces telles que la« guerre économique[139] », la « guerre de l'information » et de la culture et le terrorisme, s'estrepliée dans la clandestinité la plus complète (les services de renseignement extérieur s'en chargentcouramment, mais officieusement, dans la plupart des pays). 

Dans les pays qui sont particulièrementfragilisés socialement par les évolutions et mutations économiques, et où le chômage est grandissantet les scandales financiers et politiques de plus en plus fréquents et spectaculaires, la seule évocationde l'existence d'une intelligence domestique pourrait précipiter de graves émeutes, voire une guerrecivile du même type que celles qui touchent depuis peu les pays d'Afrique du Nord et quelques-unsde la péninsule arabique.L'intelligence domestique est aujourd'hui indispensable aux stabilité et sécurité intérieures de tousles pays du monde ; aucun professeur de sciences politiques honnête ne pourrait le nier, mais aucunÉtat ne veut admettre son existence chez lui. Plus encore, le mot « intelligence domestique » ne figurepas dans les dictionnaires (sauf dans les pays où l'on parle anglais, où domestic intelligence estadmis et même expliqué). On peut expliquer partiellement cette absence par le fait que le terme estanglais/américain à l'origine, domestic intelligence, qui signifie à peu près, en français, quelquechose comme « espionnage » ou « surveillance » « intérieure/dans le pays ». Ailleurs, on admetl'existence d'une « sécurité intérieure », d'un « renseignement intérieur », mais on reste très concissur les missions qu'englobent ces termes ; la lutte contre le terrorisme est devenue le nouvel alibi dela sécurité intérieure. 

Quelques personnels de services de police et de gendarmerie laissent parfoiséchapper les mots « renseignement de proximité », ce qui désigne bien la partie localisée (régionale)de la collecte d'information sur la population dans le contexte d'une mission générale d'intelligencedomestique.Dans une large mesure, c'est le développement rapide de l'informatique qui a provoqué unemutation de l'intelligence domestique. Car, ironiquement, c'est le surveillé lui-même (la population)qui a, à la fois, modernisé, simplifié et considérablement amélioré le travail d'intelligencedomestique, en s'équipant d'ordinateurs connectés à l'Internet et en y livrant beaucoup d'informationssur lui-même, en s'adonnant à la pratique du SMS sur smartphone et en généralisant l'usage de lacarte de crédit pour tous ses achats. Cette technologie, en association avec les bases de donnéesconfidentielles d'État et privées de banque et d'assurance, permet désormais de presque tout savoirsur chaque citoyen d'un pays, en temps réel. Fait remarquable, tout le monde sait cela puisque lesmedia rapportent régulièrement que différentes agences gouvernementales, la police en premier lieu,ont ordinairement accès à toutes ces informations privées.

Ce qui demeure caché n'est finalement pas grand-chose, pour ce qui concerne cet aspect passif del'intelligence domestique : juste l'usage qui en est fait dans le cadre de son aspect actif.L'aspect actif de la mission d'intelligence domestique consiste, principalement, en des actionsd'influence (propagande blanche) de l'opinion publique devant préparer celle-ci aux orientationsdécidées par le pouvoir politique; c'est ce que l'on appelle l'action de sensibilisation, un mot dontle sens à même été avoué et popularisé. Le reste consiste en des actions de contre-influence et depropagande noire devant contrer ou prévenir des réactions négatives naturelles de la population ou dequelques minorités, ainsi que les influences en provenance de l'étranger (que celles-ci soientorchestrées par des services secrets étrangers et hostiles, ou purement domestiques et relèvent dusimple effet de mimétisme). Ces aspects de l'influence et de la contre-influence seront largementexpliqués dans les chapitres suivants.Durant la Guerre froide en particulier et dans tous les pays, la mission d'intelligence domestiqueétait confiée à des spécialistes rattachés aux services de contre-espionnage ; c'est plus encore le casaujourd'hui qu'à cette période passée puisque, ainsi que nous l'avons vu, l'intelligence domestiqueconsiste très souvent en la prévention d'actions d'influence en provenance de l'étranger. Pourcomprendre pourquoi, attardons-nous un instant sur quelques changements et évolutions majeures del'espionnage depuis 1945.

Tout d'abord, le pouvoir destructeur des armes de guerre conventionnelles a considérable grandidepuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et, comme corollaire de ce fait, on a vu apparaître lanotion de dissuasion, qui ne concerne pas exclusivement les armes nucléaires. Les grandespuissances militaires et économiques ont toutes bien compris qu'elles ne tireraient que de bienmaigres gains au regard de leurs pertes, si elles venaient à s'affronter à l'aide d'armes militaires etconventionnelles[140]. La guerre étant le corollaire de toute civilisation, soit au motif de se défendrecontre un ennemi, soit à celui d'attaquer pour se procurer des ressources ou, plus simplement, à celuide la peur d'être attaqué, les gouvernements des grandes puissances durent trouver d'autres moyensde se défendre et d'attaquer.Ce souci donna lieu à l'utilisation prioritaire de deux armes qui n'étaient pas nouvelles, mais donttout le potentiel, durant cette période, était encore bien loin d'avoir été exploité : l'économie et lapropagande. L'économie faite arme peut permettre d'affaiblir considérablement un pays, voire de ledétruire économiquement et socialement ; la propagande permet de nuire au moral de la populationd'un pays, puis de la faire se retourner contre son gouvernement. Cependant, ces derniers objectifssont difficiles à atteindre si le pays ainsi attaqué met en place des moyens de défense adaptés ; cesderniers sont englobés dans l'action d'intelligence domestique (moyens préventifs ou de défensepassive), et dans celle du contre-espionnage (moyens actifs ou de défense active) dans une largemesure. 

décisions politiques, diplomatiques et économiques forment la partie restante et visiblede la défense contre ces nouvelles armes non létales.Deux grands acteurs de la politique et de l'économie mondiale ont lancé et fait se développer cettenouvelle manière de se faire la guerre. Pour ce qui concerne l'influence en particulier :Les États-Unis ont consacré d'importantes dépenses à la propagande par le moyen de la radio,avec le lancement de Radio Free Europe à partir de 1949, et aussi par les moyens plus sophistiqués,parce que beaucoup moins aisés à identifier et à contrer, du cinéma, de la musique et de la littérature(influence par utilisation de la culture, ou influence culturelle). Il faut ajouter à cette énumérationsommaire la création de partis politiques, de mouvements de dissidence et de syndicats, ou le soutienmédiatique et financier de ceux déjà existants et dont l'action sert les objectifs du moment. Mais levéritable lancement orchestré d'une action consistante de propagande débuta vers 1965. Cette annéelà,l'action de propagande en direction de pays étrangers fut baptisée « public diplomacy[141] ».Parmi les missions réussies de la propagande américaine orchestrée par le Département d'État etla CIA, on trouve le lancement de l'écrivain dissident russe Alexandre Soljenitsyne, la promotion desgrands jazzmen américains auprès de l'élite intellectuelle de l'Union soviétique et, d'une manièregénérale, la promotion de l'idée de la liberté individuelle, de l'art de vivre et de la cultureaméricains, devant s'opposer aux concepts russes du collectivisme et du partage explicitement ouimplicitement imposés.

L'Union soviétique n'a réellement commencé à faire de la propagande une arme puissante etsophistiquée, et à lui accorder d'importantes dépenses, qu'avec l'arrivée à la tête du KGB deVladimir Semitchastny[142], en 1961. Un département spécialement dédié aux activités depropagande noire fut créé au sein du KGB, appelé « Département D »[143], et on donna à ces actionsde propagande, en interne, le nom abstrait de « mesures actives[144] ». Parmi ces mesures actives,une importance toute particulière fut accordée à la création de mouvements de jeunes pacifistes etantimilitaristes en occident, avec pour tactique de faire s'élever l'opinion publique des pays du blocde l'Ouest contre ses propres gouvernements, et de forcer ceux-ci à réduire leurs dépensesmilitaires ; celles accordées au nucléaire en particulier. En cas de réussite, l'Ouest se trouveraitalors désavantagé militairement face aux armées du Pacte de Varsovie, et un chantage pourraitultimement prendre place. Ce fut le Département D qui planta[145], dans un journal indien, en 1983,la rumeur disant que le virus du SIDA avait été délibérément créé par un laboratoire biologiquemilitaire américain. D'autres media reprirent aussitôt cette information pour faire caisse derésonnance. Grâce aux succès considérables des émeutes et révolutions de 1968 et de leurs leadersd'opinion, le Département D se vit accorder des moyens considérables sur ordre du Comité centraldu Parti communiste soviétique ; en 1984, les effectifs affectés aux tâches de mesures actives étaientévalués à entre 10 000 et 15 000 personnes.

Comme conséquences de cette évolution de la guerre, les budgets militaires diminuèrentprogressivement, tandis que ceux des services secrets grandirent dans des proportions à peu prèssimilaires. Plus précisément, ce sont les missions d'intelligence domestique, de propagande et decontre-espionnage qui furent les premières bénéficiaires de ces augmentations de crédits. Vint unmoment où les missions d'influence et de propagande noire à l'étranger prirent autant d'importanceque celles d'espionnage au sens strict de ce dernier terme. Les moyens de l'espionnage militairedéclinèrent considérablement par rapport à ce qu'ils avaient été durant la Guerre froide, puisqu'à peuprès tous les grands pays accordaient de moins en moins d'importance à la guerre dite« conventionnelle ». On cessa d'entretenir et de renouveler les missiles balistiques à longue portée etles sous-marins ; les sous-marins d'attaque les plus sophistiqués furent reconvertis en sous-marinsd'espionnage, en les équipant, notamment, de multiples antennes permettant d'espionner les signauxradioélectriques (SIGINT) à proximité des côtes, depuis les eaux internationales.Les services de contre-espionnage prirent largement la direction de l'intelligence domestique, etune de leurs priorités fut, à partir de la première moitié des années 1970, une surveillance accrue desélites politiques et culturelles, et aussi des media et de leurs journalistes. Aussi, ils chassèrent un peumoins les espions tels que l'opinion publique les imagine encore aujourd'hui, pour consacrer plus detemps aux agents d'influence et à l'espionnage industriel et économique. 

Car, rappelons-le, lenouveau champ de bataille se situait aussi, très largement, sur le terrain de l'économie générée parl'innovation et la production industrielle à destination de marchés civils. Une technologie volée peutêtre reproduite, puis servir à créer des emplois, et donc à générer de l'économie. À l'inverse, lamême technologie que l'on n'est pas parvenu à voler produira des importations, lesquelles setraduiront par de l'économie qui disparaît du pays pour aller à l'étranger[146].Les pays riches encouragent l'innovation technologique et scientifique, et donc ils doiventrenforcer leurs services de contre-espionnage. Les pays moins riches encouragent le vol detechnologies et de résultats de recherches scientifiques, et donc ils doivent renforcer leursservices d'espionnage. Il ne s'agit pas là d'un simple principe, mais de décisions politiques secrètesqui évoluent parfois vers de véritables doctrines et modes de pensée politique durables. Presquecomme une tradition ou un devoir, mais culturellement, c'est certain, les voyageurs anglais rapportentce qu'ils ont vu et entendu ; les Japonais photographient tout ce qu'ils peuvent ; les Français tententde corrompre par tous les moyens ; les Américains tentent de séduire par tous les moyens ; les Russestentent de conquérir par tous les moyens ; les Israéliens tentent de se protéger par tous les moyens...

En raison du fait que les espions ne s'intéressent plus exclusivement aux domaines politique etmilitaire, la mission de tous les services de contre-espionnage s'est considérablement diversifiée, etcompliquée du même coup. Les cadres, les officiers, les employés des services de contre-espionnagene suffisent plus ; un pays riche moyen devrait en recruter et en salarier des dizaines de milliers, et laplupart de ceux-ci se trouveraient bien souvent désoeuvrés, car ne sachant pas exactement commentorienter leurs recherches et investigations. Et quand bien même un pays déciderait de faire les chosesainsi, il se trouverait bien vite confronté au même problème de l'opprobre de l'opinion publique quia touché le KGB, le FBI et les Renseignements généraux, il y a quelques années.C'est pourquoi les services de contre-espionnage de nombreux pays ont décidé de faire sedévelopper, voire de créer, de véritables réseaux informels nationaux d'informateurs et decollaborateurs ponctuels ou réguliers. Pour ce qui concerne les réseaux déjà existants, il a suffi de s'yfaire quelques contacts réguliers, ou de véritablement les noyauter pour contrôler leurs activitésrégulières, au cas par cas. Dans les pays où ceci est arrivé, ces réseaux informels sont désormaisaussi nombreux que variés. Avant d'en présenter quelques-uns à titre d'exemple, il faut faire unemention particulière pour les sociétés secrètes et autres confréries et sororities qui, dans certains deces pays, étaient déjà, « traditionnellement » pourrait-on dire, de véritables réseaux clandestinsd'espionnage domestique à la fois très actifs et très influents. 

Au XVIIIe siècle, le roi de PrusseFrédéric II avait déjà entrepris de créer une société secrète de type maçonnique pour en faire unorgane secret de surveillance de son pays[147]. Et dans quelques pays, dont l'Angleterre et la Francepour les cas les plus connus, les cadres des services secrets sont fréquemment des membres de cetype de sociétés secrètes, ce qui permet un prolongement discret et très efficace de l'activité decontre-espionnage et de renseignement domestique parmi la population, et surtout parmi les élitesrégionales distantes[148].Les autres réseaux informels où les contacts des services chargés du contre-espionnage et del'intelligence domestique, excepté les services de police, gendarmerie et douanes, sont courammentet dans beaucoup de pays :- les partis politiques ;- les grandes écoles et universités ;- les services postaux ;- les agences de recrutement et de placement publiques et privées ;- les syndicats et fédérations ;- les avocats et le milieu du droit en général ;- les bureaux et services chargés des successions (héritages) ;- les milieux bancaires ;- les compagnies de téléphone et fournisseurs d'accès à l'Internet ;- le milieu de la presse ;- les milieux religieux ;- le milieu des arts et de la culture ;- le milieu des aides sociales (associatif ou non) et des professions médicales en rapport avec lasanté mentale ;- les milieux de l'immobilier ;- les sociétés de gardiennage et de sécurité et leurs personnels ;- les pompiers, ambulanciers et spécialistes de la médecine d'urgence mobile ;- les dirigeants d'entreprises ;- les militaires et les policiers actifs et en retraite (en particulier lorsque ceux-ci occupent desactivités dans le civil).Cette liste n'est pas exhaustive ; elle peut-être plus longue ou plus courte selon le pays considéré.Les services de police, de gendarmerie et de douanes, apportent, à eux seuls, un nombre considérablede contacts et autres informateurs ponctuels et informels. Dans les pays où les services secretsentretiennent un rapport de grande proximité avec l'armée, les services de police rattachés à cettedernière sont fréquemment des collecteurs réguliers d'intelligence domestique locaux(« renseignement de proximité »).


INFLUENCES

La manipulation des groupes d'individus.


La manipulation des groupes d'individus, qui a une dimension supérieure que certains appellent« manipulation des masses », ou « manipulation des foules », est fort différente de la manipulation des individus pour trois raisons fondamentales :1. un groupe d'individus est un ensemble constitué d'hommes et de femmes de divers âges, profils,intelligences et cultures ; il est donc impossible de planifier une manipulation de groupe sur la base d'un « profil type » ou « moyen », puisque celle-ci serait inadaptée, et donc vouée à l'échec ;2. un groupe d'individus, bien qu'il soit constitué d'hommes et de femmes ayant tout de même des modes de pensée, des réactions et des perceptions de l'interaction entre individus relativement semblables, ne réagit pas du tout, collectivement, comme une personne seule d'intelligence moyenne[149] ;3. on ne peut manipuler un groupe d'individus que par l'usage de messages oraux, textuels,visuels ; jamais par une interaction physique directe et individuelle (sauf par le recours à une méthode de communication de type commercial appelée « marketing direct » ou direct marketing).Notre définition quantitative d'un groupe sera déterminée par le nombre approximatif d'individus au-delà duquel un leader doit apparaître, c'est-à-dire lorsque les interactions et concertations entre individus, pour tous les individus d'un même groupe, ne sont plus possibles. Ce seuil critique est atteint à partir de 10 individus, et peut aller jusqu'à 100, au maximum, dans les cas d'assemblées convenablement encadrées.

Cependant, nous considérons qu'un groupe peut compter de trois[150] à 100 personnes (chiffre rond arbitrairement choisi pour simplifier les explications).La « foule » doit donc être constituée de 100, au moins, à 150 000 personnes, ce dernier nombre correspondant à la capacité d'accueil du plus grand stade du monde, au-delà duquel un individu ne parviendra plus à être en mesure d'estimer visuellement et sans changer d'endroit la taille de son groupe, même très grossièrement.Nous appellerons « masse » tout nombre de gens compris entre 150 000 et plusieurs millions qui,dans ce cas, ne se trouvent jamais, ou très rarement rassemblés en un même endroit, selon le modèle de la foule et sa définition communément admise. Une masse pourra donc désigner la nation entière d'un pays ; l'emploi de l'expression « les masses » pourra vouloir dire des agrégats (c. à d.hétérogènes) d'individus d'un même pays, ou du monde, séparés en groupes (au sens général du terme cette fois) ethniques, religieux, culturels, politiques, régionaux, pouvant chacun se distinguer pour quelque raison.L'opinion publique » peut être définie comme l'opinion d'une majorité d'individus d'une masse,au minimum, c'est-à-dire de la population d'un pays ayant atteint l'âge adulte (on ne parle pas d'opinion publique pour une foule ou un groupe).Enfin, leader d'opinion désignera, au sens le plus large, « un individu que les gens écoutent et dont ils respectent l'avis », même s'ils ne le suivent pas. Un leader d'opinion peut donc autant être un éminent professeur ou chercheur qu'un pasteur d'une petite ville, qu'un maire, qu'un délégué syndical, qu'un secrétaire d'association, etc. 

On admet qu'un leader d'opinion a une capacité à influencer les gens dans leurs choix et, bien sûr, les opinions en toutes choses.Ces précisions importantes étant formulées, nous allons rapidement passer en revue les moyens de manipulation communs aux groupes, foules et masses - lesquelles impliquent forcément l'individu,avec une latitude d'action dans la manipulation limitée cependant - couramment employés par les services secrets dans le cadre de la mission d'influence domestique.Nous comprendrons mieux ce qui suit, si nous considérons un instant, et de manière abstraite, un groupe, une foule ou une masse comme « un individu ayant une personnalité propre ».En raison, en grande partie, de ce qui a été expliqué plus haut au point 1., une foule ou une masse est beaucoup plus réceptive à l'appel de la passion qu'à celui de la raison ; celui qui ne tient pas compte de ce principe fondamental échouera systématiquement. La raison en est très simple à comprendre, et nous l'avons déjà vu : toute concertation entre chaque individu d'un groupe et pour tout le groupe devient difficile à partir d'une dizaine d'individus, et impossible bien avant une centaine[151].Voici une particularité qui surprendra peut-être le lecteur : même lorsque les capacités intellectuelles de chacun des individus d'une foule ou d'une masse sont majoritairement élevées (ouau-dessus de la moyenne), cela n'améliore aucunement son « intelligence collective ». 

Autrement Dit : une foule de médecins n'est, collectivement, pas plus intelligente ni plus rationnelle qu'une autre d'ouvriers non qualifiés[152].Ce phénomène, déconcertant au premier abord, peut facilement et fréquemment être observé dans des stades à l'occasion de compétitions sportives importantes, où toutes les catégories sociales sont rassemblées. Là, les quelques gros plans des caméras dans la foule des spectateurs nous montrent de nombreux exemples de comportements et réactions qui sont exclusivement passionnels ; ils ne procèdent d'aucune réflexion préalable. On observe exactement le même phénomène dans des foules de meetings politiques, religieux, ou même dans une assemblée sénatoriale, où les gros plans de caméras montrent les mêmes comportements.À partir de là, une analyse rudimentaire des réactions de ces foules et de leurs causes permet de rapidement cataloguer ces dernières. On peut ensuite les reproduire, ce que font les services secrets,en recrutant ou en manipulant pour cela des individus ayant une grande aptitude à la communication verbale, du charisme en particulier.Mais, le plus souvent, le groupe d'individus et son leader/orateur existaient avant que les services secrets ne le repèrent et le recrutent (voir les exemples présentés au chapitre Le contrôle des sources et des correspondants, et leur manipulation).Le lecteur peut facilement, s'il le désire, manipuler toute une foule sans expérience préalable particulière, simplement en se mettant à applaudir au moment qu'il pensera judicieux, au milieu d'un public en train d'écouter un orateur ; son applaudissement sera aussitôt suivi d'autres, voire de toute la salle s'il persiste et frappe assez vigoureusement. 

Ou alors, il pourra faire se prolonger des applaudissements en agissant de même au moment où ceux-ci sont en train de diminuer - et plus il frappera ses mains énergiquement, et puis il sera suivi dans son enthousiasme.Durant les émeutes et révoltes estudiantines qui ont touché simultanément plusieurs pays, en 1968,les services de contre-espionnage de ces pays (et d'autres) ont pu apprendre que quelques-uns des leaders de ces mouvements de foules étaient des agents idéologiquement endoctrinés, et formés parles services secrets est-allemands et soviétiques dans le cadre d'une vaste opération longuement préparée de tentatives de prises du pouvoir politique multiples et simultanées. Le choix d'étudiants,plutôt que de représentants des milieux sociaux les plus défavorisés, doit au simple fait que les premiers sont typiquement des individus à la fois jeunes et ayant reçu une éducation leur permettant de formuler correctement un discours argumenté et élaboré. De plus, l'étudiant universitaire est hautement crédible, en raison de son seul statut social d'élève de l'enseignement supérieur.Mais l'étudiant n'en reste pas moins un individu encore ignorant de la nature humaine, et qui n'a pas eu l'expérience de l'interaction entre adultes au quotidien et dans la vie active, ce qui fait de lui un naïf et un altruiste[153], quelle que soit son intelligence. Du point de vue des services secrets et de leurs psychiatres, il est, à la fois, aisément manipulable, et il vient tout juste d'accéder à un âge où son avis est arbitrairement considéré par la masse comme celui d'un adulte à part entière (il peut voter, travailler, se présenter à des élections, etc.).

L'étudiant, parce qu'il est intellectuellement familiarisé avec l'abstraction, est plus réceptif que le paysan et l'ouvrier aux discours et doctrines des penseurs politiques et des philosophes.Enfin, le paysan et l'ouvrier, généralement plus âgés que l'étudiant, ne peuvent êtres manipulés ou mobilisés que s'ils ne jouissent plus de tous les avantages qu'offre ordinairement la société (emploi,revenus réguliers, conditions de travail satisfaisantes) ; ils se montrent peu réceptifs aux discours politiques et philosophiques, parce que l'abstraction est absente de leurs quotidiens - ironiquement,l'ouvrier, et plus encore le paysan, se montrent plus difficiles à manipuler que les étudiants.Réellement, les étudiants des révoltes de 1968 avaient beaucoup moins de motifs de mécontentement, chacun individuellement, que les masses d'employés non qualifiés, de cultivateurs et de minorités d'immigrés[154]. Les plus vindicatifs parmi eux étaient des fils de la bourgeoisie ayant des revenus relativement élevés à élevés. Mais les services secrets soviétiques avaient pu constater que les précédentes révoltes populaires du même type, largement initiées par des masses d'employés non qualifiés, de cultivateurs et d'immigrés, avaient échouées, principalement parce que les forces de répression anti-émeute avaient eu plus de facilités à réagir par l'emploi d'une force violente contre des individus qui étaient pleinement entrés dans l'âge adulte - des armes à feu avaient été utilisées,et il y avait eu de nombreux morts et blessés. L'opinion publique s'était, somme toute, modérément indignée de cette violence répressive ; elle n'aurait certainement pas réagi avec la même passivité s'il s'était agi d'individus dont on eût pu encore dire qu'ils n'étaient « que des enfants ».

Pour exemple de notre époque en tous points similaire : considérons un instant le cas des mineurs délinquants qui peuvent commettre des actes d'une violence extrême à l'aide d'armes diverses, y compris à feu, mais contre lesquels les forces de police ne peuvent faire usage d'une violence réciproque sous peine d'une sanction immédiate de l'opinion publique (très largement représentée par des adultes).C'est ainsi, par l'expérience et par l'étude d'évènements historiques, que les services secrets soviétiques ont conclu qu'une révolution populaire, pouvant éventuellement mener à la prise du pouvoir politique dans un pays, avait bien plus de chances de réussir si son avant-garde, celle qui estla plus exposée à la riposte, était constituée d'enfants ou de très jeunes adultes[155].Malgré la leçon que les pays ainsi attaqués peuvent tirer de cette expérience, leur réaction ne changera aucunement aujourd'hui, et, ainsi inhibés, ils ne pourraient que se laisser prendre. Car Toute tentative de riposte à la mesure de l'attaque entraînerait aussitôt le reste de la masse (adulte)dans le conflit, dans le camp des jeunes attaquants.La seule option acceptable pour les pays qui redoutent ce genre de dangers est une action préventive de manipulation de leurs plus jeunes citoyens, ainsi que nous le verrons bientôt. De fait,dans beaucoup de pays, la surveillance et la manipulation des masses de jeunes - en s'attaquant prioritairement à leurs premières préoccupations culturelles et ludiques - ont pris un essor à partir des années 1975-1976 environ, puis se sont progressivement développées et perfectionnées jusqu'à aujourd'hui.Une autre caractéristique des foules et des masses est leurs surprenantes capacités à rapidement oublier les évènements, expériences et désappointements passés[156]. 

L'actualité nous montre régulièrement que des orateurs et leaders politiques, et autres personnalités publiques, peuvent parfois beaucoup décevoir leurs auditeurs, puis regagner leur confiance plus tard (de 3 à 5 années suffisent pour cela, si les media s'y impliquent). Si l'influence domestique ne prend pas la peine de rappeler régulièrement la faute commise par une personnalité politique (par la voix des média, donc),cette dernière pourra rapidement faire un retour public. Le même phénomène serait beaucoup plus difficile à reproduire avec un groupe.Ceci explique pourquoi, plus d'un demi-siècle après la fin du nazisme, une des missions d'influence domestique prioritaire de plusieurs pays occidentaux est de rappeler très régulièrement àla masse, par l'usage de programmes télévisés et de livres pour l'essentiel, toutes les atrocités commises par les Nazis[157]. Sans cela, un nombre considérable de gens adhèrent aujourd'hui à des partis revendiquant le programme politique d'Adolf Hitler, ou de quelques-uns de ses successeurs spirituels ; toutes les atrocités passées seraient oubliées ou niées par un militantisme dogmatique, comme cela se produit actuellement dans le cas des idéologies communistes totalitaristes.L'exemple confirmant ce dernier point est celui de Joseph Staline et du communisme totalitaire et répressif, quasi similaire à celui d'Adolf Hitler avec le national-socialisme. Ni les quelques 20 millions de morts du stalinisme, ni ses camps de prisonniers où la plupart de ces gens moururent de mort lente, ne dissuadent aujourd'hui de nombreux individus (généralement jeunes) de se réclamer de son idéologie ; et le port des symboles et effigies de celle-ci n'est pas non plus réprimé. 

La mission générale d'influence domestique de ces mêmes pays n'inclut pourtant pas le rappel de ces autres atrocités, cette fois-ci[158].À la base, la manipulation des masses passe par l'usage de procédés couramment utilisés dans le marketing et la publicité, et par le marketing direct, nominatif, auquel un État a régulièrement recours dans le cadre de missions d'informations ordinaires sur des thèmes tels que la mise en vigueur d'une nouvelle législation spécifique, une incitation à des soins médicaux particuliers, etc. Dans beaucoup de pays, l'État communique avec les citoyens par voies de spots télévisés et radiophoniques et de campagnes d'affichage. Cependant, et contrairement à ce qu'il en est pour des campagnes de publicité vantant les mérites de biens et de services, l'annonce d'État est fréquemment assortie d'une obligation soutenue par une loi, ou renforcée par l'offre d'un avantage (l'État vous promet ceci si vous faites cela).Il serait superflu de tenter d'expliquer dans ce livre, et en un seul chapitre, toutes les connaissances préalables à la manipulation des masses ; le lecteur qui ignore tout de ce sujet, et qui souhaite parfaitement le comprendre, lira avec plaisir La Psychologie des foules, par Gustave LeBon, et, de Gabriel Tarde, Les Lois de l'imitation et L'Opinion de la foule, ouvrages qui, malgré leurs anciennetés, sont toujours valables aujourd'hui. C'est pourquoi nous allons directement à la manipulation des masses proprement dite, telle qu'elle est le plus fréquemment pratiquée aujourd'hui,puisque la modernisation de la société et son cortège de nouvelles technologies en ont grandement changé le mode opératoire par rapport à ce qu'il était il y a seulement trente ans.

On entend parfois dire à l'occasion de quelques débats de politiciens et de philosophes, sur le ton d'une boutade, que « La démocratie est le pire des régimes à l'exception de tous les autres (qui ont été essayés de temps à autre)[159] ». Il ne réclame pas grand effort de partager ce point de vue,provocateur en apparence, sitôt que l'on a lu quelques ouvrages sur la psychologie des foules, et qu'alors on en est arrivé à la même conclusion que Anatole France : « si cinquante millions de personnes disent une bêtise, c'est toujours une bêtise ».Que l'on se rassure, dès lors : sur le fond, il n'y a pas un seul pays en ce XXIe siècle qui ne soit une dictature ; c'est juste la forme qui nous en fait percevoir certains comme des démocraties.Voici ce qui justifie cette dernière affirmation.Faire d'un pays une démocratie est, pour l'essentiel, une affaire de moyens économiques ; il n'y a que quelques exceptions. Tout pays qui n'a pas de ressources en rapport avec les besoins de sa population n'a pas les moyens de lui offrir un gouvernement démocratique. La démocratie est le plus coûteux de tous les régimes politiques, car il implique, pour être viable et stable, qu'une large majorité de la population vive décemment, et confortablement de préférence, selon l'échelle universellement admise du produit intérieur brut (PIB) par habitant. À partir d'un certain seuil, un PIB par habitant permet à une majorité d'individus de louer ou de posséder un logement équipé en électricité et en eau courante, de jouir d'un téléphone et d'une connexion à l'Internet au bout de laquelle se trouvera au moins un ordinateur, à un ménage ayant des revenus moyens de posséder une automobile et, globalement, d'avoir un revenu assez stable pour pouvoir fonder un ménage avec au moins un enfant. 

Si ces conditions concernent une proportion trop faible de la population, le maintien de l'apparence de démocratie sera impossible.Voyons quels sont les facteurs et variables qui permettent de gouverner une nation grâce à une apparence de démocratie, avant de comprendre pourquoi il ne s'agit jamais que d'une apparence.Les ressources naturelles d'un pays viennent en tête de la liste des variables. Celles-ci doivent exister en quantités proportionnelles au nombre d'habitants. La nature de ces ressources est une« sous-variable » qui pourra également être déterminante, et les ressources énergétiques viennent en tête de cette sous-variable. Car lorsque les ressources énergétiques (hydrocarbures, essentiellement)n'existent qu'en faibles quantités ou sont inexistantes, il faut alors disposer d'autres types de ressources dont la valeur à l'exportation et la quantité disponible devront suffire à les acheter/importer. Il est impossible de garantir une automobile personnelle à une large majorité de ménages d'un pays, s'il n'est pas économiquement possible de se procurer des hydrocarbures en quantités correspondantes. Cette autre ressource d'échange, que nous qualifierons « de substitution »,devra également exister en quantités suffisantes pour satisfaire aussi les besoins domestiques - et cela peut être crucial s'il s'agit de ressources agricoles.Tout n'est pas forcément perdu s'il n'y a ni ressources énergétiques, ni ressources de substitution en quantités suffisantes par rapport au nombre d'habitants. 

Car il existe une alternative dont la seconde option est une production de biens et de services « à valeur ajoutée », laquelle pourra servir de ressource de substitution. Nous verrons bientôt quelques exemples de cette astuce.Immédiatement après cette variable, nous trouvons le facteur climatique. Des températures moyennes trop élevées ou trop froides se traduiront par « des frais supplémentaires » susceptibles d'empêcher l'installation d'une apparence de démocratie. Car, dans les deux cas, indifféremment, la consommation en hydrocarbures devra être plus importante que ce qu'elle est dans un pays au climat tempéré[160], un problème auquel vient s'ajouter celui de faibles ressources agricoles.Et puis on trouve un problème annexe qui vaut d'être mentionné, même s'il est moins déterminant qu'il l'a été par le passé : celui de la santé de la population qui, fragilisée par des climats trop arides ou trop froids, entraîne un nouveau surcoût (en équipements contre la chaleur ou le froid comme en médicaments et services médicaux, vaccins, contrôle des denrées alimentaires périssables, etc.).Ensuite, nous trouvons la géographie du pays, dont certaines caractéristiques sont déterminantes,économiquement. Les ressources agricoles seront faibles si le relief est majoritairement montagneux.Il n'y aura pas assez d'eau si le pays est plat et faiblement irrigué. Un littoral trop étroit ou inexistant alourdira considérablement le coût des importations et des exportations. Une superficie du pays très importante alourdira considérablement les dépenses en infrastructures et le coût de leur entretien(routes, voies de chemin de fer, acheminent de l'eau et de l'électricité, et leurs productions)surveillance et sécurité des frontières et même santé.Nous avons passé en revue les conditions déterminantes pour l'entretien d'une apparence de démocratie. Passons rapidement en revue quelques exemples typiques ou remarquables qui permettent de mieux comprendre ce qui vient d'être expliqué.

Les États-Unis valent d'être cités en premier parce que ce pays a été particulièrement chanceux,depuis sa création jusqu'à ces dernières années. En effet, il a pour lui : des ressources très importantes et diverses, dont des hydrocarbures ; des milliers de kilomètres de littoral offrant un accès direct aux pays de l'Ouest comme à ceux de l'Est (et favorisant sa défense) ; une large surface jouissant d'un climat tempéré ; un nombre d'habitants qui n'est pas encore trop élevé par rapport à la superficie. En sus de quoi il vaut d'ajouter deux autres faits remarquables : une relative insularité protège naturellement les États-Unis des invasions et des guerres, et ses frontières terrestres touchent des pays qui ne sont pas menaçants (exception faite d'un problème de forte immigration clandestine de main d'oeuvre sans qualification et majoritairement illettrée en provenance du Mexique ; soit, des bouches supplémentaires à nourrir sans retour significatif sinon à long terme, plus une criminalité anormalement élevée génératrice de coûts importants).Cependant, l'intelligence domestique connaît une progression importante aux États-Unis depuis le début des années 2000, et la qualité de son apparence de démocratie est en train de se dégrader, en raison, principalement, des effets directs et indirects de la croissance économique de la Chine et d'un leadership politique, militaire et économique américain qui devient de plus en plus difficile à conserver.Le Japon vaut d'être cité, parce que ce pays parvient remarquablement bien à maintenir une apparence de démocratie malgré de lourds handicaps, qui sont : une absence quasi totale de ressources, y compris agricoles en raison d'un relief inadapté et d'une superficie bien trop petite par rapport au nombre d'habitants.

Le Japon est resté un pays économiquement stable jusque vers la fin du XIXe siècle, période à partir de laquelle sa soudaine modernisation entraîna aussitôt une démographie galopante, et des besoins en ressources qui n'existaient plus en quantités suffisantes sur place, ou n'existaient pas du tout. Le Japon avait déjà un régime politique qui ne présentait aucune apparence de démocratie au moment de cette brutale modernisation ; c'est pourquoi il n'eut d'autre choix que de se lancer dans une invasion des territoires voisins (Mandchourie, péninsule coréenne et Sud-est asiatique globalement), pour aller s'y procurer les ressources vitales dont il eut soudainement un besoin crucial.À partir de 1945, les États-Unis décidèrent, pour aider le Japon à ne plus avoir nécessairement besoin de conquérir d'autres territoires pour s'y procurer ses ressources, et ainsi pour stabiliser les tensions politiques dans cette région du monde, de lui apprendre la production en masse de biens de consommation, lesquels serviraient alors de ressources de substitution (voitures, motos, montres,électronique, appareils photographiques, gadgets, etc.). Pour faire démarrer cette machine industrielle livrée quasiment clé en main, les États-Unis s'en firent aussi le premier client. Du même coup, les États-Unis forcèrent le Japon à renoncer à la dictature pure et simple pour mettre à la place une apparence de démocratie. Aujourd'hui, et depuis de nombreuses années, le Japon occupe la place de numéro 2 en matière de recherche scientifique et technologique, ce qui lui permet de conserver un avantage compensation ses carences en ressources naturelles.Le Bangladesh est un cas d'apparence de démocratie impossible à mettre en place. Ce pays a peu de ressources, principalement et paradoxalement en raison d'une irrigation trop importante, et même handicapante. 

À ce problème vient s'ajouter celui d'une surpopulation. Ces deux caractéristiques suffisent ; on peut dire que c'est sans espoir avant très longtemps. Le Bangladesh est bien plus une victime impuissante qu'un véritable pays, puisqu'il n'a pas d'identité de toute façon ; il est avant toutle grand perdant de la séparation des Indes britanniques en trois parties.Le cas du Libéria est aussi exceptionnel que celui du Japon, mais pour des raisons presque exactement contraires. Ce pays n'a pas d'apparence de démocratie en dépit de plusieurs caractéristiques qui y sont pourtant favorables, avec, au premier chef, d'importantes ressources énergétiques. Pire : il est aujourd'hui dans la liste des 10 pays les moins développés du monde. Les Handicaps du Libéria sont des frontières poreuses qui permettent toutes les déstabilisations (trafic,terrorisme, guérilla, etc.), et une quasi-absence de la conversion de ses importantes ressources énergétiques en biens et services pour la population (infrastructures, éducation, santé...), laquelle, en sus, est très importante par rapport à la surface de son territoire. L'agriculture ne s'y développe pas,par la faute des actions conjointes d'un climat peu favorable et d'un manque de volonté de l'élite dirigeante - la corruption y est chronique. Le Libéria étant déjà incapable de faire fonctionner une dictature, il est loin de pouvoir envisager un jour une apparence de démocratie.La Mongolie est particulièrement désavantagée, en raison d'une absence totale de littoraux, d'une faible irrigation et d'une agriculture très insuffisante qui ne se développe pas pour des raisons essentiellement culturelles ; le système éducatif y est inexistant. Politiquement et économiquement, la Mongolie ne s'est pas remise de sa dépendance de l'Union soviétique (un cas d'un pays officiellement dirigé par un autre plus puissant). 

D'un autre côté, la Mongolie a du mal à s'identifier à un pays dans le XXIe siècle, à se comparer aux autres ou même à comprendre pourquoi elle devrait interagir avec eux. La Mongolie est un pays hors du temps et sans réels dirigeants ; une friche laissée à l'abandon.La Suisse est un cas exceptionnel et relativement similaire à celui du Japon d'aujourd'hui. Ce Pays, en dépit de handicaps très importants, a su offrir à sa population un des niveaux de vie les plus élevés du monde. La Suisse, en raison de son relief exclusivement montagneux, n'a pas d'agriculture(mais de l'élevage cependant), et elle n'a pas d'hydrocarbures non plus. Elle n'a aucun littoral, et se trouve géographiquement dans une situation à peu près similaire à celle de pays très pauvres tels que le Népal et le Bhoutan.On peut se demander si les États-Unis, en industrialisant le Japon, ne se sont pas directement inspirés du modèle de la Suisse, qui doit sa richesse et son exemplaire apparence de démocratie quasi exclusivement à sa production de biens et de services, qu'elle exporte massivement puisqu'elle en a déjà largement assez pour subvenir à ses propres besoins. Mais la Suisse a tout de même pour elle l'énorme avantage d'une petite population, juste adaptée à sa superficie et à ses productions et exportations. Il suffirait d'une immigration rapide de seulement 1 million d'individus en Suisse Durant les dix prochaines années - un danger qui la menace actuellement, en raison d'une récession économique grandissante dans le continent européen - pour que son économie et, par voie de conséquence, sa stabilité sociale et la qualité de sa politique intérieure se dégradent subitement et considérablement. 

De plus, la paupérisation économique et sociale rapide de quelques-uns de ses voisins immédiats lui sont autant de menaces inquietantes et grandissantes. La Suisse n'est malheureusement pas préservée de tels maux par cette insularité stratégique dont jouissent les États-Unis. Il résulte de cette situation que la Suisse se sent tout à la fois brillante est terriblement vulnérable, ce qui ne fait que renforcer sa forte revendication identitaire, l'un de ses principaux moyens de défense. Depuis peu, ce pays peut être comparé à un « nouveau Berlin-Ouest de l'Europe », profitant de la vie autant qu'il le peut parce que conscient que tout peut s'arrêtern'importe quand.La France est un cas particulier parce qu'elle est passée d'un état d'apparente démocratie« satisfaisant » à « passable » en l'espace de quelques décennies, alors qu'elle a pourtant de remarquables avantages. La France n'a quasiment pas d'hydrocarbures, mais elle a d'autres ressources, dont agricoles, en quantités satisfaisantes. Elle dispose d'une géographie et d'un littoral très avantageux. Cependant, sa population a commencé à être trop importante par rapport à ses ressources, depuis quelques années, et elle a massivement importé des immigrants sans qualifications ni instruction dont elle doit maintenant gérer le devenir.Ce pays, tout comme le Japon, bénéficia d'une assistance des États-Unis après la fin de la Deuxième guerre mondiale, mais son appareil gouvernemental, y compris ses services secrets, fut largement pénétré par l'Union soviétique dès les premiers jours de la fin de cette guerre. 

Le résultat de cette double présence se solda par un véritable « déchirement » de sa population entre les blocs de l'Ouest et de l'Est, et par de multiples intrigues politiques et trahisons de palais qui perdurent jusque vers la fin des années 1950[161]. C'est surtout le passé historique politique et culturel de ce pays qui le fit basculer définitivement d'un côté, puis se recroqueviller économiquement, peu à peu tout d'abord, puis très rapidement à partir du début des années 1990.L'intelligence domestique française a aujourd'hui atteint un niveau comparable à celui de la Pologne durant la Guerre froide. Ses ressources agricoles, et surtout ses productions de biens et services qui finançait ses besoins en hydrocarbures, ont été anéanties par les effets d'une omniprésence et d'une omnipotence étatiques obsessionnelles, sans équivalents actuels dans cette région du monde. La France est aujourd'hui un pays trop préoccupé par le souci du lendemain immédiat pour être capable de se consacrer à son avenir.La Russie a de solides avantages, mais le double handicap, très lourd, d'une superficie trop coûteuse à entretenir et d'un climat qui fait de la majeure partie de celle-ci un véritable « fardeau » à porter. On pourrait dire que, historiquement, la Russie a toujours eu les yeux plus grands que le ventre, quels que furent ses dirigeants et régimes politiques. La Russie n'a pas renoncé non plus à son ambition de conquête mondiale depuis son ère soviétique : un objectif en grande partie responsable de son refus d'une apparence de démocratie. 

Cette ambition ne vise pas à aller chercher ailleurs des ressources manquantes, comme ce fut le cas pour le Japon durant la première moitié du XXe siècle, mais correspond plutôt à un fort complexe d'infériorité collectif dont la cause principale est un emplacement géographique très défavorable - la Russie se sent toujours loin de tout,inhospitalière, isolée et quasiment coupée du monde. Elle a le désagréable sentiment de n'intéresser personne, et c'est pourquoi elle a toujours eu un besoin excessif de faire sentir sa présence, par tousles moyens.Pour continuer sa conquête mondiale, la Russie a pris l'habitude, systématiquement depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, de faire faire par d'autres pays ses « basses besognes » qu'elle ne veut pas faire en son nom, parce qu'elle s'accroche aveuglément à une vieille astuce autrefois payante disant qu'elle détient « le monopole du coeur ». Collectivement, en simplifiant à l'extrême, la Russie est un « éternel paysan pauvre » qui n'a jamais eu la culture nécessaire pour savoir quoi faire de son argent quand il en trouve. Dans ce pays, l'intelligence domestique atteint une intensité parmi les plus fortes du monde, c'est-à-dire un point où les services secrets doivent se résigner à admettre qu'ils ne peuvent plus effacer leurs traces tant il y en a.Terminons par la Chine, un pays qui bénéficie de multiples avantages, mais qui est victime d'un mal terrible que ne saurait curer aucun développement économique : une population énorme pour laquelle les ressources économiques du monde entier ne suffiraient pas à apporter un niveau de vie juste assez élevé pour qu'une apparence de démocratie satisfaisante puisse y être tentée.

Pour l'instant, l'essor économique de la Chine ne satisfait qu'un cinquième à un sixième de sa population, laquelle est littéralement « massée » sur l'étroite bande de terre de sa zone économique côtière. L'élite dirigeante de la Chine, un petit groupe d'amis de longue date entretenant souvent des liens de parenté, est inconsciemment partagée entre un besoin irraisonné de conquête de territoire(simplement par crainte d'un ennemi imaginaire qui « pourrait » se presser à ses portes[162]), le désespoir d'une population qui dépasse ses pouvoirs, et la raison d'un territoire amoindri qui réglerait définitivement et d'un seul coup tous ces problèmes. Ironiquement, la Chine, pays de commerçants nés qui souffre d'une « obésité » terriblement handicapante, deviendrait un modèle économique et social du monde qui n'aurait plus besoin d'un prétexte de communisme devenu absurde, si elle perdait les huit dixièmes de son territoire et de sa population (mais elle craint trop, à raison il est vrai, que l'Inde et la Russie les prennent aussitôt, et viennent ainsi s'installer tout près de ces « centres névralgiques »).La Chine est aujourd'hui un pays où l'intelligence domestique est très importante, et où la population est divisée entre une large majorité d'individus très pauvres littéralement « parqués »dans sa partie ouest, et une minorité d'autres, très riches, dans sa partie Est. En outre, la Chine vient d'atteindre le seuil économique au-delà duquel sa croissance nuira inévitablement à la santé économique de tous les autres pays du monde ; un phénomène naturel d'« autorégulation » est donc attendu sous peu (c. à d. indépendamment de la volonté de l'élite dirigeante chinoise).

D'un point de technique, les options de politiques intérieures définies par les élites dirigeantes sont beaucoup moins une affaire de choix et de convictions idéologiques qu'une obligation économique. Un pays naturellement avantagé par un bon ratio ressources naturelles disponibles/nombre d'habitants, peut mettre en place une apparence de démocratie de type capitaliste, laquelle n'imposera donc pas de restrictions de consommation de biens et de services à la population. Si ce ratio est mauvais, alors une politique capitaliste sera inadaptée, car son application produira de fortes inégalités sociales (disparition des revenus moyens), lesquelles provoquent rapidement des tensions sociales, puis l'apparition spontanée de mouvements contestataires virulents. Naturellement, des pays étrangers recevront ces tensions sociales comme autant de vulnérabilités autorisant l'hypothèse d'une invasion par le moyen de l'action clandestine.Cette importante précision étant faite, le lecteur peut alors comprendre que plus le ratio ressources/population d'un pays est défavorablement déséquilibré (plus de population que de ressources), et plus il devra s'écarter d'un choix de politique intérieure capitaliste accordant une large liberté individuelle aux citoyens, pour régresser, en descendant et jusqu'à ce que le bon équilibre soit trouvé, selon l'échelle suivante :Capitalisme/liberté individuelle maximum Capitalisme modéré (centrisme)Socialisme modéré/liberté individuelle sous contrôle d'État Socialisme répressif/forte incitation au renoncement à la propriété individuelle Communisme ou national-socialisme/liberté individuelle très réduite et collectivisation totale des biens, précarité sociale des habitants, début de famines.Communisme ou national-socialisme totalitaire/liberté individuelle inexistante, grande pauvreté, famine.La promotion d'arguments et de notions telles que : « partage », « entraide », « humanisme »,« découverte de la nature » et « protection de l'environnement », militantisme politique actif et« bénévolat » est la visée formelle qui permet d'atteindre la visée réelle d'une diminution de la consommation des masses, et donc un rééquilibrage positif de la balance commerciale des exportations/importations.

Par exemple : un véhicule que doivent se partager deux personnes, alternativement, se traduit par deux fois moins d'hydrocarbures consommés ; le regroupement des masses en logements collectifs se traduit également par une diminution importante de la consommation d'hydrocarbures (au moment de la construction comme à celui de l'utilisation).À chaque niveau de l'échelle que nous venons de voir, et en descendant, correspond une intelligence domestique renforcée par rapport à ce quelle était au niveau immédiatement supérieur,car avec les restrictions le mécontentement de la population croît.L'idéologie politique, comme visée formelle, peut être substituée à certaines religions[163].Par exemple, la religion chrétienne catholique encourage au renoncement de soi, au don de soi même en faveur des autres, au renoncement à la richesse matérielle et au don des biens personnels, à l'acceptation de la souffrance présentée comme « rédemptrice ». La religion musulmane également,lorsque celle-ci est fondamentaliste (produits de consommation modernes présentés comme impies/sacrilèges, et remplacement des employés et agents de l'intelligence domestique par des« gardes de la foi »).Tous les pays que nous venons d'examiner sommairement, et tous les autres, ont un point commun en dépit de leurs grandes dissimilitudes, et le lecteur le connaît déjà dans une majorité de cas : une politique constante et consistante indépendamment des changements de leurs partis politiques majoritaires et de la couleur politique de leurs leaders. 

Que leurs derniers dirigeants fraîchement élu se présentent comme étant politiquement « de droite », du « centre » ou « de gauche », cela ne les fait pas changer d'alliés étrangers, ni ne provoque de réformes majeures de leurs politiques intérieures et économiques. Et si l'on y regarde au cas par cas, on remarque que les changements qui ont suivi chaque élection, quelle que soit la doctrine politique affichée du nouveau parti au pouvoir, ne portent,en vérité, que sur des points de détails ou ne sont que des évolutions de ceux qui furent initiés par leurs prédécesseurs - c'est la première marque visible d'une apparence de démocratie par rapportà ce qu'est théoriquement la démocratie.Au moment d'examiner n'importe lequel de ces pays en particulier, l'observateur qui prend un peu de recul politique, qui parvient à cesser de s'impliquer personnellement dans ce qu'il voit[164], doit inévitablement remarquer que les idées et doctrines politiques, pourtant si différentes, des partis et des dirigeants qui s'y sont succédés durant les dix ou vingt dernières années n'ont pas été appliquées dans les faits. Chacun de ces changements apporta un cortège de nouveaux décrets et lois, et de nouvelles têtes. Mais les décrets et lois précédemment décidés par leurs prédécesseurs et« concurrents » ne sont ni abrogés, ni même remaniés ; des « lourdeurs administratives » et« complexité constitutionnelle » en sont systématiquement les excuses.Si, alors, l'observateur s'attarde sur les évolutions de la politique de ce pays durant, disons, les trente dernières années, il obtient confirmation - dans une large majorité de cas, mais pas toujours nous verrons pourquoi - d'une consistance et d'une continuité politiques cohérentes qu'un expert en science politique pourrait aisément expliquer. 

Durant ces mêmes trente dernières années, les masses,elles, n'auront pu voir ou remarquer que ce qu'elles veulent voir, que ce qu'une fraction de l'appareil politique du pays a bien voulu leur montrer ; c'est-à-dire des apparences (comme exemple remarquable et récent de ce fait, en France, même la doctrine du Front National est bien nationale socialiste,anticapitaliste et contre la mondialisation des échanges, alors qu'il est pourtant présenté à la masse comme un parti « de droite » !).Quoi que puisse en penser cet observateur, il serait inévitablement amené à remarquer que : si de réels changements politiques avaient accompagné chaque succession de dirigeant et de parti politique dominant dans ce même pays et durant ce même laps de temps, c'est-à-dire tous les 2 à 14 ans, il en aurait résulté une société et une économie chaotiques et, probablement, au moins une révolution ou une guerre.Dans presque chaque pays, il y a donc un « conseil de sages » informel (assez comparable, dans son fonctionnement, au système des mollahs en Iran) qui, chacun et bien souvent, ont été étroitement concernés par le travail des services secrets du pays, et ont tout de même exercé des responsabilités politiques très officielles, militaires aussi. Que le lecteur n'aille pas s'imaginer que l'auteur cherche ici à suggérer l'existence d'une fratrie secrète qui gouvernerait le monde et qui irait jusqu'à planifier les guerres et les récessions économiques ; il n'y a rien de tout cela dans les faits, et cela n'aurait pas de sens de toute façon. 

Ces sages, qui forment une synarchie chargée d'entretenir l'apparence d'une démocratie, n'ont que faire d'une grandiose symbolique et de rites hermétiques, puisque de tels encombrants artifices ne sont que des accessoires servant à tenir une armée de « contremaîtres » et autres « chefs d'ateliers » chargée de veiller à la bonne marche de la « fabrique », dans les détails.De plus, ces conseils de sages n'étant que nationaux, et non internationaux, il leur arrive de temps à autre de mal estimer les suites à long terme de leurs choix d'orientations, puis de perdre ainsi le contrôle des masses de leurs pays, peu à peu tout d'abord, puis définitivement. Ces pertes de contrôle sont autant de révolutions et de coups d'État ; des révolutions et des coups d'État « de palais » le plus souvent de nos jours, dont la masse n'est pas tenue informée[165]. Les conseils de sages changent alors, dans l'ombre, à l'insu de tous sauf des services secrets étrangers qui s'efforcent d'identifier les nouveaux venus aussi vite que possible.Étant familiarisés avec cette réalité de la politique, les chefs analystes des services secrets se trompent rarement au moment de chercher à savoir qui seront les candidats lors de chaque élection ;leur connaissance arcane de la manière dont les leaders de partis sont sélectionnés et les élections organisées les y aide.

 Ils savent que chaque pays a ses partis politique politiques officiels, qui ont été créés ou noyautés à la demande du conseil des sages, et avec le concours des services secrets et des média que ceux-ci contrôlent. Ils savent que chaque parti politique ne présente à ses électeurs que des candidats dont l'ascension a été favorisée avec l'aide des media. Ils savent, simplement en se livrant à une observation attentive de chaque candidat, de leur profil et de leur discours, lequel est le plus crédible et lesquels ne sont que des « repoussoirs » portés par leurs partis pour entretenir l'illusion du choix démocratique. Et, à partir de tout ceci, ils savent qui a été choisi pour être le prochain élu.Dans une large majorité de cas, ces dirigeants visibles et populaires ne sont que plus ou moins conscients eux-mêmes d'avoir été choisis avant d'avoir été élus. Parfois, même, ils n'en sont pas conscients du tout, et cela ne changera pas forcément durant leurs mandats. Incapables de faire autre chose que de la « représentation » selon un planning extraordinairement chargé, ils ne peuvent, pour diriger les affaires du pays, que s'en remettre à leurs ministres, lesquels s'en remettent à leurs conseillers, lesquels reçoivent leurs informations des services secrets chargés de les collecter et de les analyser pour eux.Ainsi va le monde, pourrait-on dire avec l'ironie de celui qui sait.

Typiquement, le dirigeant d'un pays, longtemps après avoir cédé à sa place à un autre, et au moment de raconter ses mémoires à un journaliste ou à un écrivain qui les rédige pour lui, se trouve incapable de dire comment les décisions qu'il fut amené à prendre furent mûries, lequel, vraiment, de ces ministres et conseillers, a suggéré l'option qui fut finalement choisie, et lequel a su démontrer pourquoi une autre n'était pas la bonne. Le temps lui manquait pour tout lire, pour tout passer en revue, tout analyser et tout comprendre, et, comme d'habitude, il fallait faire vite car d'autres affaires urgentes attendaient. Tout ce qu'il peut faire, à défaut de dire, c'est plébisciter la qualité de ses proches collaborateurs de l'époque, ou se féliciter d'avoir su bien les choisir - lire à ce propos les travaux de l'éminent spécialiste américain en science politique, Graham T. Allison, en particulier, ainsi que la préface, par John F. Kennedy, de l'essai de Theodore Sorensen,Decisionmaking in the White House : The Olive Branch and the Arrows, New York, 1963..

Influence et contre-influence.

Le lecteur qui a lu tous les chapitres précédents sait ce que désigne le mot influence du point de vue des services secrets, et quelles sont quelques-unes de ses spécialités. Qu'il soit averti,cependant, qu'il sera impossible de présenter en un seul chapitre toutes les méthodes, tous les stratagèmes et toutes les combinaisons de l'action d'influence de la masse. Aussi, l'action d'influence s'adapte constamment :- aux évolutions des cultures et de la société, lesquelles apparaissent parfois spontanément et sans que personne ne soit en mesure de les expliquer (conséquence d'une interaction inattendue entre deux variables pourtant connues, voire maîtrisées) ;- aux évolutions remarquées dans les autres pays qui, en raison de l'accès désormais immédiat à l'information du monde entier, influencent les masses de leurs voisins (ce peut être une des variables évoquées ci-dessus) ;- enfin, aux évolutions technologiques de la communication et aux dernières découvertes des chercheurs en neurosciences, des sociologues et des anthropologues (qui sont aussi des variables telles que celles suggérées plus haut).

L'influence utilise tout de même, le plus fréquemment, des méthodes, des techniques et des stratégies qui sont restées, dans leurs principes, les mêmes que celles qui furent utilisées il y plusieurs siècles dans les pays occidentaux ; elles forment ensemble la base de connaissances sur laquelle s'appuie son spécialiste. C'est pourquoi nous allons commencer par présenter celles-ci.Au commencement était le verbe, dit la Bible, « au commencement est l'action », dit le spécialiste de l'influence ; nous avons vu pourquoi dans un précédent chapitre. Car l'influence ne procède pas nécessairement d'un message verbal ou écrit, même si c'est fréquemment le cas ; cela aussi nous l'avons vu. Pour nous en convaincre, lorsque parlant d'influencer simultanément des centaines de milliers, voire des millions d'individus, considérons un instant l'exemple du chanteur populaire qui se présente régulièrement portant un accessoire vestimentaire particulier ; des milliers d'individus ne tardent alors pas à se mettre en quête de celui-ci pour le porter, eux aussi. Rien n'a été dit ni écrit pour inciter tous ces gens à faire une chose dont ils n'auraient jamais eu l'idée faute de cet évènement. Il n'est pas difficile d'admettre qu'il est donc possible de reproduire ce phénomène sur d'autres thèmes, et en y ajoutant des variantes.

Plus intéressant, et impressionnant cette fois : il suffit de choisir un individu quelconque, sans qualification particulière ni talent aucun, pour lui donner une « popularité », en le faisant simplement apparaître régulièrement dans les média : les peoples. L'existence des peoples n'est ni gratuite, ni fortuite, jamais. Ces gens servent bien à quelque chose, en dépit des apparences.Parmi les exemples les plus récents et les plus connus relevant de ce cas, on peut indiquer les peoples américaines Paris Hilton et Kim Kardashian. Ni l'une ni l'autre de ces femmes n'a un talent unanimement reconnu de chanteuse, de musicienne, d'actrice, d'écrivaine, de sportive, de journaliste ou même simplement de modèle de mode ; elles se sont toutes deux montrées médiocres dans toutes ces disciplines lorsqu'elles s'y sont essayées. Elles sont toutes deux des femmes ordinaires, et même leurs beautés n'ont rien d'exceptionnel sitôt qu'il est possible de les voir sans maquillage et portant des vêtements ordinaires. Les media n'auraient eu aucune raison de s'intéresser à ces deux femmes enparticulier, en théorie.Paris Hilton et Kim Kardashian sont des personnalités intégralement créées à partir de rien. Et si le lecteur s'attarde un peu sur ces deux cas pour tenter de comprendre comment une telle chose est possible, peut-être finira-t-il par réaliser qu'ils sont des versions vivantes d'objets promotionnels »,faits de chair et d'os. 

Car l'objet promotionnel est un véhicule de communication que des spécialistes du marketing imaginent de toutes pièces pour l'imposer à la vision d'un aussi grand nombre d'individus que possible, pour provoquer une action.L'objet promotionnel humain, tel que Paris Hilton et Kim Kardashian le sont, fut créé pour la première fois aux États-Unis durant la Deuxième Guerre mondiale, sous la forme humaine de « Rosie La riveteuse » (Rosie the Riveter)[166], une femme américaine ordinaire qui, simplement en se montrant en train de poser des rivets sur une carlingue d'avion de guerre, devait en inciter beaucoup d'autres à faire de même.À la différence de Paris Hilton et Kim Kardashian, Rosie la riveteuse présentait l'étrange particularité d'être un personnage imaginaire, qui fut alternativement représenté par des illustrations et par quelques Américaines faites de chair et d'os choisies un peu au hasard. Détail remarquable que le lecteur doit bien garder à l'esprit, les campagnes publicitaires autour du personnage fictif de Rosie La riveteuse prétendaient qu'elle était une des centaines de milliers de femmes qui s'étaient spontanément portées volontaires pour aller travailler dans les usines de production d'armement, et ainsi participer très patriotiquement à l'effort de guerre général - les hommes, ordinairement occupés à ces tâches réputées masculines, étaient alors mobilisés pour être envoyés sur le front. Car Il n'en était rien en réalité, au moment où cette campagne fut lancée ; c'est seulement après que cette véritable mobilisation féminine se produisit. 

Cette influence était donc implicite, et non explicite.C'est presque toujours ainsi que l'on manipule la masse pour lui faire faire quelque chose : en lui disant simplement que « les autres le font », et non en lui disant « faites-le ». Et la masse ne se demande jamais qui sont ces « autres », ni où ils sont.Mais alors de quoi Paris Hilton et Kim Kardashian font-elles la promotion, si elles ne doivent être que des objets promotionnels, et puisqu'elles ne travaillent pas à l'usine, se demande probablement le lecteur ?Paris Hilton et Kim Kardashian font la promotion du rêve auprès de la masse ; elles existent pour montrer à des millions de jeunes filles et de femmes ordinaires qu'avec un peu de maquillage,quelques vêtements bien choisis, elles peuvent être belles et séduire, elles aussi. Car, encore une fois, il est important de le savoir pour bien comprendre : Paris Hilton et Kim Kardashian sont bien loin d'être des modèles de mode à la beauté inaccessible, tout comme elles sont bien loin d'avoir une inaccessible compétence en quoi que ce soit ; elles sont toutes deux semblables à des millions de jeunes femmes dans le monde ; elles sont accessibles à la masse, contrairement aux top models et chanteuses. S'il suffit à une femme d'être comme ces deux people, à la beauté, aux traits et aux manières plutôt populaires, pour être considérée comme « attirante », pour « plaire », alors ce rêve est à la portée d'un très grand nombre d'entre elles.

Le publicitaire américain, David Ogilvy, lança la marque de cigarettes Marlboro en montrant simplement un cow-boy fatigué en train de fumer une cigarette après une dure journée de travail, près d'un feu de bois ou sur fond de soleil couchant. Tout comme Rosie la riveteuse, le cow-boy de Marlboro était un personnage imaginaire et « multiple », et il incitait implicitement à fumer des cigarettes de la marque Marlboro[167].Quoi qu'il en soit, Rosie la riveteuse, à force d'affiches, de photos et d'apparitions durant les actualités cinématographiques qui précédaient alors chaque projection de film, devint un personnage immensément populaire aux États-Unis, encore très présent dans la « mémoire collective » des Américains. On peut dire qu'elle fait partie des icônes de la culture américaine, au même titre que la vieille pompe à essence Texaco et les pin up de la marque Coca Cola.L'occasion nous sera donnée de revenir sur ce type d'influences en particulier, dans un prochain chapitre.Le lecteur le sait déjà plus ou moins, la presse a été, dès la création des premiers périodiques, il ya plus de trois cents ans, un médium d'influence de l'État, inventé par l'État. Les premiers journaux d'information généralistes, La Gazette de France et The Spectator, lancés en France par Théophraste Renaudot[168] en 1631, et en Angleterre par Joseph Addison et Richard Steel en 1711,respectivement, furent tous deux spécialement imaginés pour diffuser des informations et des idées devant servir les visées diplomatiques de l'Etat auprès de la bourgeoisie - l'immense majorité des gens ordinaires de cette époque ne savait pas lire. 

On peut vulgairement, mais sans se tromper,qualifier ces deux périodiques de « véhicules de prêt-à-penser pour la population », et ils furent les premiers.Cette idée du périodique d'information discrètement financé par l'État fut reprise par la Prusse,dont Catherine II de Russie s'inspira pour la mettre en application dans son pays.Faisons un bond de quelques siècles pour regarder ce qu'est devenue cette presse d'information généraliste entre le XXe siècle et aujourd'hui.Globalement, presque tous les États n'ont pas eu de peine à trouver des « hommes de paille »fortunés (ou dont la fortune fut faite pour la circonstance) pour apparaître à leur place comme les éditeurs de grands journaux et magazines d'information généralistes (en France, Hubert Beuve-Méryen fut probablement le meilleur exemple). Car, au fil des siècles passés, avec le développement progressif et constant de l'alphabétisation et les évolutions techniques de l'imprimerie, la presse s'est peu à peu imposée comme l'un des outils de pouvoir les plus importants dont doit disposer un État moderne.Mais il est plus rarement admis que toutes les élites dirigeantes du monde ont été obligées d'entretenir des périodiques d'information ; d'informations générales tout d'abord, puis d'opinion pour lutter contre une propagande noire et clandestine exportée par les pays ennemis (ou directement imprimée dans des pays neutres, plus souvent, pour brouiller les pistes et éviter ainsi les casus belli[169]).Dans quelques-uns de ces pays, l'élite dirigeante voulut jouer franc-jeu avec la population, en imposant à celle-ci une presse d'État bien officielle. 

On peut citer la Pravda en Union soviétique, qui fut sans doute le plus célèbre des journaux d'État, mais aussi le plus menteur. D'autres pays préféraient la radio d'État : la BBC en Angleterre, la NPR aux États-Unis, Radio France en France...Tous ces média publics furent, ou sont toujours, placés sous la tutelle directe d'une bureaucratie plus ou moins spécialisée.Paradoxalement, ces media officiels d'État - exception faite de ceux des grandes dictatures communistes, principalement - furent, et sont toujours, souvent plus honnêtes que les media privésoeuvrant discrètement au service du même commanditaire. La raison de cette dernière ironie est si facile à comprendre qu'elle se passe de commentaires.Il y a eu, à un moment de l'histoire de la presse d'État, une prise de conscience de l'élite politique que les masses apprécient généralement plus la presse d'État (radiodiffusée et télévisée) que la presse privée, et même qu'elles jugeaient plus facile de se conformer à ce qu'elle disait. Dans de nombreux pays, encore aujourd'hui, l'État s'en est tenu à ce constat, et ça fonctionne toujours[170].Aussi, personne ne peut contester que la presse d'État soit souvent bien meilleure que la presse privée, pour ce qui concerne ses qualités littéraire et de présentation, car elle se soucie moins de sa rentabilité ; les masses sont indiscutablement sensibles à cet argument.

Mais on remarque que, curieusement, ces mêmes masses n'accordent pas aux périodiques imprimés rédigés par l'État la même confiance que celle qu'elles donnent spontanément à ses stations de radio et chaînes de télévision. Cette étrange discrimination est affaire d'une simple question de perception et d'apparences ; les gens pensent, majoritairement, qu'il est facile et plus tentant de falsifier l'écrit et d'orienter le propos de son contenu, et aussi, qu'il y a à la fois une « proximité » et une immédiateté avec la radio et la télévision que la presse écrite ne parvient pas à reproduire -l'image et la voix, c'est « la preuve » que l'information est vraie.Les services secrets ont constaté de longue date cette même perception des individus avec le téléphone, dans le contexte d'écoutes téléphoniques cette fois. Alors que l'existence des écoutes téléphoniques n'est pourtant plus un secret pour personne, les gens se confient bien plus facilement par téléphone que par courrier (la peur de la trace écrite ne parvient pas à expliquer cette attitude à elle seule). Tout récemment, cependant, ces mêmes écoutes ont mis en évidence que les jeunes populations, en particulier, se confient désormais plus par SMS que verbalement par téléphone.Il y a donc, aujourd'hui, beaucoup de stations de radio et de chaînes de télévision d'États, et une fausse presse écrite privée discrètement dirigée et financée par ceux-ci.Depuis quelques années, les services secrets de quelques pays occidentaux (y compris la Russie)qui ont considérablement étoffé leur intelligence domestique, ont eu une idée pour mieux« rentabiliser » leurs activités de couverture : la création de multiples petites sociétés de presse.Cette décision ne se limita d'ailleurs pas aux média, car elle s'inscrivait dans une grande réforme des services secrets de plusieurs pays qui fut appelée « privatisation des services », sous-entendu des services secrets. 

Cette décision répondait à plusieurs besoins et problèmes que voici :- nécessité d'augmenter considérablement les effectifs et les moyens, pour répondre efficacement à une nouvelle multiplicité des menaces ;- nécessité d'un autofinancement des activités d'intelligence dont le coût global pour l'État devient excessif et difficile à justifier ;- inadaptation des locaux officiels des services secrets devenus trop petits, mais difficulté à justifier auprès de la population la création de multiples grands complexes exclusivement dédiés aux activités d'intelligence ;- incompatibilité de cette croissance avec une discrétion requise.Les finances qui auraient dû servir à la construction de nouveaux centres du renseignement furent investies dans de multiples petites cellules autonomes ayant chacune l'apparence d'entreprises privées et d'associations diverses, ayant de multiples spécialités. Ici une entreprise de gardiennage et de sécurité, là une association de chercheurs spécialisée dans l'étude des flux migratoires, là une société de design, là une maison d'édition littéraire, là une société de vente et de maintenance de matériels informatiques, là une chaîne de télévision sur le Web, là un studio d'arts graphiques...Toutes ces entreprises et tous ces employés des services secrets se retrouvent avec la nécessité,bien réelle, d'avoir, en sus de leur travail confidentiel de renseignement, à produire des biens et des services pour le grand public devant financer leurs couvertures. On passa d'un état de services secrets repliés sur eux-mêmes vivant en autarcie dans des casernes ceintes de barbelés, à celui des services secrets noyautent le tissu économique du pays. 

Beaucoup d'employés des services secrets se trouvèrent, à partir de ce moment-là, dans une situation quasiment identique à celles des agents clandestins.Les dispositions nécessaires à la protection du secret et des activités furent adaptées cas par cas.Car on admit que beaucoup de spécialités n'avaient pas besoin d'être exercées dans des bunkers hautement sécurisés. Citons, par exemple : les personnels spécialistes de la maintenance de l'informatique dédiée aux activités bureautiques, les spécialistes de l'influence et de la contre influence qui pouvaient justifier à tout moment de leurs actes en prétextant un activisme politique quelconque, tous les personnels chargés de l'entretien des infrastructures, certains spécialistes de la surveillance et de la filature, qui devinrent des employés d'agences de détectives privés et des sociétés de sécurité et de gardiennage, les personnels techniques chargés du matériel d'espionnage et de surveillance devinrent des vendeurs-techniciens de matériel pour les détectives, tous les spécialistes de l'intelligence économique, qui devinrent employés de sociétés de consulting, tous les psychiatres, tous les avocats, juristes et comptables, beaucoup d'analystes, qui intègrent des sociétés de conseil diverses et autres « centres d'études », beaucoup d'employés du contre espionnage chargés de surveiller l'espionnage technologique, qui intégrèrent des sociétés de conseil en sûreté-qualité et d'assistance à homologation aux normes ISO, tous les spécialistes du recrutement,qui devinrent employés de sociétés de placement/recrutement, de chasseurs de têtes et de conseil enmanagement, etc.Il y avait tout de même une nécessité de protéger physiquement toutes ces activités, au moins des cambriolages ordinaires et de quelques tentatives d'indiscrétion ennemies. 

Les solutions techniques furent aussi simples et efficaces que : des locaux d'entreprises situés dans des immeubles d'habitations dont les locataires sont des employés des services secrets, des accès aux locaux restreints par deux portes successives avec chacune leurs digicodes et leurs combinaisons propres,des systèmes d'alarme et de vidéosurveillance discrets, avec enregistrements sonore et vidéo automatiques dès l'intrusion, connectés en permanence à des sociétés de gardiennage toutes proches.De cette profonde mutation, l'efficacité de l'intelligence se trouva considérablement améliorée dans son ensemble ; celle de l'intelligence domestique plus encore. La privatisation des services transforme n'importe quel service secret en une redoutable machine de guerre ; elle permet d'envisager des recrutements massifs et virtuellement sans limites. Ensemble, toutes ces entreprises privées qui n'en sont pas peuvent littéralement écraser celles jugées indésirables, car leurs vocations, bien sûr, ne sont pas exclusivement lucratives. Leurs objectifs commerciaux sont « à géométrie variable ». Beaucoup ne sont pas concernées par des problèmes de croissance et de trésorerie. Puisque dirigées par l'État, elles pourront même, à terme, étendre leur mission à une modification des conditions de l'économie privée de tout un pays !Parlant plus spécialement de la privatisation de l'intelligence domestique, puisque ce chapitre y est tout spécialement consacré, la même astuce fut utilisée pour créer et entretenir de petites entreprises d'éditions littéraire et musicale, d'édition de contenus Internet et de sites Web, de prestations diverses rattachées à ces spécialités et aussi à l'audiovisuel (cinématographique, télévisé,de journalisme-reportage, de documentaires et même de publicité).

Cela explique en grande partie pourquoi et comment, dans les pays où l'intelligence domestique s'est considérablement développée durant ces dernières années, on a vu également apparaître des centaines de nouveaux périodiques de presse, lesquels perdurent alors qu'ils ne parviennent pourtant pas à couvrir leurs frais dans bien des cas. Toutes ces entreprises emploient à temps plein et partiel,typiquement, entre 3 et 20 employés des services secrets. Et c'est ainsi que telle petite société de presse qui édite un magazine traitant de l'économie emploie quelques analystes et experts en économie, que telle autre, qui édite un magazine d'informatique, emploie des experts de ce domaine,des techniciens de maintenance informatique et même des experts spécialistes de la cyberguerre[171], ou même que telle autre, par exemple, qui édite un magazine de produits de luxe(montres, bijoux, maroquinerie, etc.), emploie des spécialistes de la veille concurrentielle, des personnels spécialistes de l'influence dont la mission consiste à aider les entreprises de l'industrie du luxe du pays, et, simultanément, à attaquer ses concurrents[172].Le financement de ces nombreuses petites maisons d'édition, puisqu'elles ne réalisent généralement pas ou peu de bénéfices, et génèrent même des pertes qui peuvent parfois être importantes et constantes, est effectué à l'aide d'une cascade d'intermédiaires, en amont de laquelle on trouve l'État, et en aval une entreprise privée, une banque ou un groupe d'investisseurs. 

Ces Entreprises se procurent l'argent, qu'elles « investissent » à fonds perdu dans ces petites maisons d'édition, par le moyen de prestations surfacturées auprès de divers services publics et, plus particulièrement, de quelques grands groupes financiers sous contrôle discret d'État.Le lecteur comprend mieux, dès lors, parlant de ce type d'organisations clandestines en particulier,la nécessité pour les services secrets de réduire autant que possible le coût de sa « masse salariale ».Car si ce système a permis d'optimiser considérablement le rapport coût/efficacité des personnels des services secrets travaillant sous couverture - et qui ne peuvent donc pas être directement pris en charge par un ministère ou un département d'État (typiquement : défense, affaires étrangères, police,finances et culture) -, l'augmentation considérable des besoins en intelligence domestique et en influence et contre-influence de ces dernières années a littéralement fait exploser ce poste de dépenses.En moyenne, le coût annuel d'une cellule clandestine sous couverture d'entreprise privée,employant de 5 à 10 analystes ou personnels techniques, s'élève, en 2013, à un montant compris entre 400 et 800 000 euros. De 10 000 à 20 000 euros, en moyenne, servent à salarier annuellement un employé, charges comprises ; le reste venant financer l'activité de l'entreprise elle-même et ses frais divers, y compris la production de biens ou de services qui ne génèrent aucun profit, ou des profits insignifiants. 

Dans 1 cas sur 10 à 1 cas sur 20, l'activité de couverture parvient à s'autofinancer,voire à générer des profits. Certaines aides spéciales sont accordées, telles que des avantages fiscaux et sociaux extra-ordinaires, des frais de téléphone et d'électricité qui peuvent être réduits jusqu'à dix fois.Lorsqu'une activité de couverture de ce type génère des profits, ceux-ci sont alors utilisés pour financer une autre, dans le pays ou à l'étranger - en utilisant pour ce faire des prestations de services ou des ventes de biens fictives, ou réelles mais qui ne servent à rien ni à personne dans les faits,sinon à produire une comptabilité de façade, des mouvements d'argent. Celles qui réalisent des bénéfices aident celles qui ont encore un bilan négatif,ou les absorbent.Au mode de financement occulte que nous venons de voir, vient s'ajouter celui de la vente d'espaces publicitaires qui est, en réalité, une « vente de complaisance ». Concrètement : une entreprise privée (sous contrôle discret de l'État ou fournisseur de celui-ci), ou un service public d'État, achète au prix fort un espace publicitaire dans un de ces périodiques, en sachant que cet investissement est absurde du strict point de vue du marketing et de la publicité ; c'est grâce à cet argent qu'un magazine peut continuer d'exister.Vient s'ajouter, enfin, le financement dissimulé par l'achat massif d'abonnements ; une autre technique de financement très fréquente dans des montages de ce genre. Concrètement, un servicepublic d'État, ou une grande entreprise qui est un fournisseur de ce dernier, achète à l'éditeur de presse un grand nombre d'abonnements. Le recours à cette dernière méthode de financement occulte peut d'ailleurs être une vraie action d'influence ; et c'est bien souvent ce qui arrive dans ce cas.

Voici comment, à l'aide d'un exemple inspiré de quelques cas existant réellement à l'heure où est écrit ce livre.Une entreprise privée sous contrôle discret d'un État (ou une administration publique quelconque)dispose d'un fichier d'individus ou d'entreprises qu'elle souhaite influencer. Cette entreprise va alors donner une copie de ce fichier à l'éditeur du périodique devant être financé, puis elle va verser à ce dernier une somme qui correspondra au coût de l'édition de tous les exemplaires qui seront réellement envoyés à chacune de ces adresses, frais d'expédition compris. Cette entreprise aura donc acheté en une seule fois un nombre d'abonnements qui peut s'élever à plusieurs milliers. Bien Entendu, le contenu rédactionnel de chaque numéro de ce périodique, durant une année d'abonnement - si une année entière a été achetée - sera astucieusement « orienté » selon les objectifs définis par l'entreprise cliente. Des emplacements publicitaires pourront même être négociés dans le cadre de cet arrangement. En suite de quoi, l'éditeur prétendra auprès de chaque individu et entreprise figurant sur le fichier qu'elle les a « gratuitement » abonnés dans le cadre d'une offre promotionnelle - personne ne sera en mesure de démontrer que c'est faux.Un autre bénéfice de cette méthode, associant étroitement le financement occulte à l'action d'influence, est que l'éditeur pourra très officiellement revendiquer un tirage de son périodique« relativement élevé » à « élevé », et utiliser cet argument auprès d'autres entreprises régulièrement acheteurs d'espace publicitaire, ordinaires celles-ci[173].

D'une manière générale, le financement des activités de couverture des services secrets, dans le cadre de la privatisation des services, s'inspire directement des techniques des réseaux de blanchiment d'argent des mafias, et autres organisations criminelles ; sauf qu'ici les services fiscaux et de police ne sont pas à craindre.Dans le cas d'un pays occidental - donc ayant un niveau d'alphabétisation élevé - ayant une population comprise entre 65 et 150 millions d'habitants, et dont les services secrets entretiennent une activité d'intelligence domestique importante à très importante[174], on arrive à un nombre de périodiques imprimés compris entre 2500 et 4000 (y compris ceux diffusés exclusivement par abonnement et les journaux gratuits), ce qui est très important ; anormalement important, même,puisqu'une telle offre excède de loin la demande, quel que soit le pays considéré et le niveau d'alphabétisation de sa population et ses habitudes culturelles. Le lecteur sera peut-être surpris d'apprendre que parmi ces 2500 à 4000 périodiques d'information, on n'en trouve qu'une petite minorité qui est réellement indépendante et dont les visées sont purement d'ordre lucratif. La majorité est divisée en périodiques sous contrôle discret de l'État (selon le modèle décrit plus haut) ; officiels d'État ; sous contrôle plus ou moins officiel de partis politiques (et donc sous celui de l'État, bien souvent, mais dont le système de financement est différent dans ce cas) ; sous contrôle discret de pays étrangers (selon le même mode de financement que décrit plus haut) ; sous contrôle discret d'entreprises privées qui les utilisent pour promouvoir leurs propres produits et contrôler l'accès àla publicité de leurs concurrents[175]. 

Les journaux et magazines réellement indépendants le restent rarement ; la plupart sont condamnés à être absorbés par les groupes de presse qui se partagent le marché, ou à mourir sinon. Les services secrets désormais privatisés rachètent aussi des entreprises,y compris dans des pays étrangers, desquels ils peuvent alors agir avec encore plus de discrétion.Dans ces cas de figure, il n'est plus longtemps nécessaire d'envoyer un agent secret approcher un ingénieur pour tenter d'en faire un espion ; il suffit de le débaucher très officiellement et légalement,en lui proposant un meilleur salaire en échange duquel il produira en sus d'apporter tous les secrets de fabrication appris chez le concurrent.Parlant des techniques d'influence et de contre-influence associées au moyen de la presse imprimée, celles-ci procèdent tout d'abord de l'emploi de rédacteurs hautement qualifiés qui, bien souvent, sont d'authentiques journalistes qui ont été recrutés par les services secrets, puis qui ont reçu une formation spécifique complémentaire à leurs acquis professionnels ordinaires. Il existe également, de nos jours et dans quelques pays, des écoles privées spécialisées dans l'enseignement du journalisme dans lesquelles sont repérés des « talents ». Dès la fin de leurs études (et parfois même alors que celles-ci ne sont pas terminées), ces individus jugés doués sont discrètement dirigésvers des cellules d'influence ou/et de contre-influence des services secrets agissant sous couverture d'éditeurs de presse. 

C'est au sein de ces cellules que peut alors prendre place la première étape du processus de recrutement de ces talents, avec la participation active des employés aux côtés des spécialistes chargés du processus de recrutement (psychiatres et spécialistes de la manipulation des individus).Voyons maintenant, concrètement, quelles sont ces techniques d'influence propres à la presse.On trouve tout d'abord le « dosage », lequel consiste à noyer l'influence (le « message ») dans un contenu rédactionnel normal et anodin. Car il n'est ordinairement pas question pour l'employé spécialiste de l'influence et de la contre-influence de produire un journal, ou un magazine,intégralement rempli de propagande. Sinon, une telle publication serait bien vite jugée suspecte et perdrait la confiance de son lectorat.Cependant, le dosage varie selon l'intensité du message d'influence, et les bonnes proportions sont toujours établies, non pas selon une échelle « scientifiquement définie », mais en fonction de nombreux facteurs et variables qui sont :- l'intensité et but du message d'influence (propagande blanche, noire, ou contre-influence) ;

- le niveau culturel moyen des lecteurs (cible), lequel détermine la capacité de ceux-ci à identifier le « biais » (inspiré de l'anglais « bias » c'est-à-dire l'information orientée, qui n'est pas objective) ;

- les nature et « tonalité » générales de l'information ordinaire et innocente contenue dans le périodique (il doit y avoir consistance entre cette information, son « intensité » et l'information d'influence) ;

- la consistance (l'information d'influence doit entretenir un rapport étroit avec la thématique de l'information ordinaire et innocente du reste du périodique - mieux vaut ne pas attaquer une entreprise d'informatique dans un magazine de mode) ;

- les diffusion et notoriété du périodique (plus un journal est diffusé et connu, plus l'information d'influence doit être crédible, c'est-à-dire qu'elle est vraie et que l'on se contente de l'amplifier) ;

- l'origine (source) de l'information d'influence (est-elle vérifiée et authentique, ou s'agit-il d'une rumeur que l'on fabrique ou qui est déjà existante et que l'on relaye dans le cadre d'un effet de caisse de résonnance ?) ;

la cible, c'est-à-dire le profil type des lecteurs auquel s'adresse le périodique (âge, niveaud'éducation, catégorie sociale, thématique).

La liste que nous venons de passer en revue n'est pas exhaustive, mais elle permet de comprendre les subtiles contraintes dont le spécialiste de l'influence doit ordinairement s'affranchir.Viennent ensuite des contraintes d'ordre légales, car il s'agit de ne pas exposer la société qui édite le périodique à de possibles plaintes et poursuites judiciaires pour calomnie. Lorsque ce risque se présente, soit le spécialiste de l'influence dispose des compétences et expérience nécessaires à son évaluation, soit il ne les a pas, auquel cas un collègue avocat spécialiste doit émettre une recommandation.Des stratégies complexes peuvent être envisagées lorsque le risque d'une accusation de calomnie est évoqué. Par exemple, l'avocat des services secrets peut évaluer précisément les conséquences en cas de quasi-certitude de poursuites judiciaires pour calomnie, et décider que le coût de celles-ci sera inférieur au « bénéfice » financier et promotionnel réalisé. Si les suites judiciaires vont jusqu'à la demande de retrait de publication du périodique, et qu'il est hautement vraisemblable que la nouvelle de cette action sera relayée par d'autres média, une grande publicité s'ensuivra pour celui ci.Mais cette dernière stratégie doit être pondérée par la nature de l'information calomnieuse et l'identité et notoriété (« bonnes » ou « mauvaises ») de celui qui doit en être la cible (il est moins risqué d'attaquer une entreprise ou une personnalité qui a déjà mauvaise réputation).Aussi, une information d'influence peut-être fausse et calomnieuse sans qu'il soit légalement possible de le prouver ; cela dépend grandement de la syntaxe du message la rapportant.

Mais, le plus souvent, l'usage de l'influence pour discréditer un individu ou une idéologie consiste, tout simplement, à extraire une phrase ou un passage d'un texte ou d'un discours hors de son contexte, afin d'en présenter à la masse une interprétation différente de celle qu'a voulu son auteur.Cette technique relève de l'épistémologie, une branche de la philosophie qui est fréquemment enseignée dans les services secrets, parce que son étude permet autant d'apprendre à manier les sophismes qu'à les détecter dans un discours ou un exposé. Il est possible de trouver des sophismes accidentels dans pratiquement tous les écrits et tous les discours, puis de les relever pour nuire à leurs auteurs ; c'est une autre technique de propagande noire fréquemment utilisée.Enfin, la recherche des fautes d'orthographe et de syntaxe dans un texte ou dans un discours est une autre manière de discréditer une personne, une entreprise ou un parti politique, qui est tout aussi fréquemment utilisée par la propagande noire[176].D'une manière générale, lorsque les spécialistes de la propagande d'un service secret cherchent à nuire à un individu, une organisation, une entreprise ou autre, ceux-ci commencent d'abord par une décortication minutieuse de ses écrits et discours ; toutes les erreurs relevées seront ensuite mises en avant durant l'attaque et serviront sa justification.

L'une des premières missions de l'intelligence domestique est de se tenir informé de ce que font et disent les élites du pays, les services secrets ont évidemment connaissance de faits très personnels les concernant. Ces faits personnels sont consignés avant de recevoir un haut niveau de classification ; ils pourront, plus tard, être utilisés comme moyens de pression, ou pour discréditer un individu devenu embarrassant ou qui s'est rendu coupable d'une maladresse. Cependant, lorsqu'il est décidé de saborder la réputation de l'une de ces personnes (en raison d'une prise de position politique inattendue ou d'une proximité grandissante avec un pays hostile, entre autres exemples typiques), les services secrets ne peuvent faire un usage de ce qu'ils savent ; ils doivent créer des circonstances qui poussent cette personne à exposer ses vices en présence de témoins, afin que toute accusation de surveillance illégale ne puisse être évoquée. Ils pourront aussi inciter des témoins à révéler les faits compromettants dont ils ont eu connaissance.Il serait possible de citer quelques périodiques occidentaux dont la quasi-intégralité du contenu est de l'information d'influence, et, plus particulièrement, de la propagande noire et de la désinformation. Mais de tels cas sont des exceptions qui concernent très majoritairement des journaux lus par une masse hautement politisée et partisane[177].

Lorsque parlant d'influence domestique à destination de masses représentant plusieurs millions d'individus, les services secrets qui en ont la charge établissent de véritables stratégies globales impliquant un grand nombre et une large variété de « supports[178] ». Dans de tels cas, un ou plusieurs experts sont ordinairement consultés, parmi lesquels on peut trouver : un expert en sémantique, un psychanalyste, un anthropologue, un historien ou spécialiste des sciences sociales, ou même parfois un expert en sémiologie[179]. Car de telles actions d'envergure, lesquelles sont très courantes et sont régulièrement entretenues au long de périodes qui peuvent se chiffrer en années,voire en dizaines d'années, impliquent des préparatifs solidement étayés par une argumentation hautement technique. Ce préalable à la présentation de ce type d'actions permet de mieux comprendre pourquoi il ne repose, bien souvent, que sur l'emploi d'une simple collection de mots et d'expressions n'entretient, a priori, aucun rapport les uns avec les autres, ou de signes, de visuels(symboles, images, photographies), ou de notions (historiques, sociologiques) peuvent fréquemment être interprétés de différentes manières, ou dont un deuxième sens ne peut être compris que par une certaine catégorie d'individus « éclairés » (c. à d. ayant un acquis particulier faute duquel il est impossible de comprendre ce deuxième sens).Le choix de ces mots, signes et notions peut dépendre de plusieurs facteurs relevant d'une actualité présente d'origine naturelle, ou qui a été provoquée et qui servira de « point de départ », ou de« détonateur » à une action d'influence d'envergure (un événement politique, par exemple)[180]. 

Carsi ces « ingrédients » n'ont pas de deuxième sens ou de forte connotation possible, il faut alors en attribuer. Cette explication ne pouvant être parfaitement comprise sans démonstration, voyons quelques exemples simples, réels comme imaginés pour cette circonstance.Aux États-Unis, le nombre 911 est universellement connu de toute la population, des enfants jusqu'aux individus les plus âgés et depuis fort longtemps, puisqu'il est le numéro d'appel d'urgence de la police, et aussi celui qui est le plus fréquemment utilisé dans ce pays pour cette bonne raison[181]. Mais depuis le 9 septembre 2001, il est également devenu un moyen de faire référence à l'attentat du World Trade Center qui s'est produit ce jour-là.Que cette date ait été délibérément choisie par les terroristes dans l'espoir de créer une distorsion dans l'esprit de tous les Américains ou pas[182], il n'empêche que, désormais, le nombre 911 a deux significations qui peuvent être, assez singulièrement, « aide » et « catastrophe » ou « mort ».Dans les deux cas, le nombre 911 (parlé « nine-one-one », ou « nine-eleven » puisqu'il s'écrit« 9/11 » dans le cas de la date de l'attentat) peut avoir une signification ambiguë selon le contexte dans lequel il est présenté ; plus encore en l'absence de tout contexte.Voici maintenant un exemple d'influence plus subtile par le recours à la seule sémantique, dont l'efficacité a été régulièrement démontrée et qui est inspiré de cas authentiques qui se sont produits dans plusieurs pays.Supposons que le leader d'un parti politique ait décidé d'utiliser un mot qu'une équipe de spécialistes de l'influence a préalablement inventé pour lui. 

Ce mot est donc original et aisément remarquable, juste parce qu'il n'existe pas dans le dictionnaire de la langue du pays ; il interpellera donc quiconque l'entendra, et provoquera une courte réflexion. Dans une large majorité de cas, ce mot sera mémorisé, puisqu'il a interpellé et provoqué une interrogation ; peut-être même aura-t-il fait sourire. Il aura bien souvent été pris pour une erreur de celui qui l'a publiquement prononcé.Mais supposons aussi que ce même mot soit repris de manière répétée par d'autres personnes, des journalistes en particulier, et peut-être aussi par quelques personnalités diverses des arts et des lettres (donc populaires et supposées neutres), hors de son contexte et tout à fait sérieusement.Quelques-unes des personnalités qui utiliseront ce mot pourront même exprimer un petit sourire entendu en le prononçant, pour indiquer implicitement une référence à son créateur (le leader du parti politique) que beaucoup comprendront, ou interpréteront chacun à leur manière.Quoiqu'il en soit, tous ceux qui feront usage de ce mot feront caisse de résonance, consciemment ou pas, peu importe. Mais le résultat sera inévitablement un bénéfice de notoriété, et de popularité dans quelque cas, pour le leader politique qui en aura « lancé » l'usage commun (précisons tout de même qu'un tel lancement n'est possible qu'avec la complicité d'au moins quelques media).Cette dernière technique ne suffit pas, à elle seule, à fabriquer une « personnalité politique montante » ; mais elle s'inscrit fréquemment dans le contexte d'une stratégie globale de promotion d'une personnalité, d'un parti politique ou d'une action d'influence politique ou culturelle[183].

Plus subtile encore, mais aussi beaucoup plus longue et plus difficile à mettre en oeuvre, voici maintenant une technique d'influence qui a été imaginée et planifiée durant la fin des années 1980, à partir d'une découverte d'un chercheur anthropologue.Le but de cette action est de fédérer un aussi grand nombre d'individus que possible autour d'une idée et/ou d'un mode de vie. À la base du lancement de cette action, on trouve au moins un personnage, et une technique du même type que celle du cas de « Rosie la riveteuse » que nous avons vu plus haut dans ce même chapitre. Il s'agit donc d'une véritable action de communication qui utilise exclusivement l'implicite et l'émulation, mais qui, techniquement, et selon quelques spécialistes des neurosciences, procède d'un phénomène d'empathie collective appelé « besoin d'appartenance ».Il faut faire un bref aparté technique à ce point de cette explication pour que sa suite puisse être bien comprise.Le besoin d'appartenance est un mécanisme psychologique commun à tous les êtres humains, et qui trouve son origine dans la pulsion d'un besoin de sécurité (réflexe de défense contre l'agression présente ou anticipée). Chez les animaux, le besoin d'appartenance est toujours physique, car ils n'ont pas de néocortex assez développé pour former des associations d'idées et se satisfaire d'abstractions ; ils se regroupent donc en troupeaux pour se protéger instinctivement de tout danger


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