Les services secrets et VOUS 2

Méthodes de surveillance.

Les services secrets mettent à leur disposition différents types de moyens et méthodes poursurveiller des individus. Certains de ces moyens procèdent de la technologie, voire de hautestechnologies ; mais l'être humain n'est jamais remplacé, car il doit inévitablement intervenir pourregarder et analyser ce que montre une vidéo, pour écouter, comprendre et interpréter le contenu d'unenregistrement sonore, regarder et interpréter ce que montre la photographie prise par satellite, etc.Plus prosaïquement, il n'y a pas encore de machine miracle qui dit « eh, ça y est ; on le tient ! »Le premier moyen de surveillance des activités suspectes, celui qui est le plus utilisé, c'est le petitmouchard qui a été présenté au chapitre De la source inconsciente au cadre des services , et quel'on nomme populairement, selon les services et les pays, « l'informateur », « l'indic », le« correspondant »... Du point de vue des services secrets, le petit mouchard apparaît presquetoujours là où on ne l'attendait pas. On pourrait presque le comparer, lui-même et son acte dedélation, à l'occurrence qui apparaît sur le navigateur Internet après avoir procédé à une recherche àl'aide d'un mot clé, au hasard. Cette occurrence se trouvera dans un contexte qui pourra être jugéintéressant, potentiellement intéressant (c. à d. pour plus tard) ou sans aucun intérêt.L'information, peut-être intéressante, que le petit mouchard a transmise est généralement remontéejusqu'à une compagnie régionale des services via un directeur d'école, une employée d'une agenced'emplois ou le directeur d'une petite agence immobilière, c. à d. vers des contacts réguliers ouponctuels d'un service de police ou de gendarmerie, des douanes, d'une administration fiscale ousociale, ou des services secrets eux-mêmes, directement. 

Lorsque cette information a transité par unegendarmerie ou un poste de police, on cherche alors à tester sa validité, puis son intérêt, grâce auxdiverses bases de données informatiques auxquelles les services secrets ont ordinairement accès.Après quoi, il est décidé de l'usage qui peut être fait de cette information, et donc du servicespécialisé qu'elle peut concerner.Nous allons dire, pour poursuivre cette explication sous la forme d'une présentation d'un castypique fortement inspiré de faits réels et ordinaires, que cette information s'est finalement retrouvéedans une « compagnie régionale des services secrets » d'un pays imaginaire.À la compagnie, personne ne va encore se déplacer sur le terrain pour ça ; il y a des tas de petitsmouchards à l'imagination un peu trop fertile qui racontent n'importe quoi, juste pour tenter de nuireà un voisin qui « a l'air de vivre un peu trop bien pour être honnête », le plus fréquemment.Pour l'instant, et par conséquent, un employé de cette compagnie va creuser encore un peu dansquelques autres bases de données en ligne confidentielles et de diverses provenances. S'il trouvequelque chose qui l'intrigue, il fera des recherches supplémentaires dans d'autres fichiers en ligne. Ily a près d'une soixantaine de fichiers/bases de données auxquels le grand public n'a pas accès, nimême la police pour certains ; en fonction de ce que diront les premiers, quelques uns ne seront pasconsultés.L'information transmise par le petit mouchard parle « d'un homme qui est venu s'installer dansl'immédiate périphérie d'une petite commune, qui est souvent chez lui à des heures où les gens sontau travail, mais qui a quand même l'air de vivre confortablement. Il vit avec une femme plutôt jolie ettoujours bien habillée avec laquelle il a l'air de bien s'entendre. Le couple a deux enfants, assezjeunes. La femme a une petite voiture, mais celle-ci est très récente et il s'agit d'un modèle qui n'estpas compatible avec des revenus de chômeurs. Lui a une berline plus grosse, qui, sans être vraimentce que l'on pourrait appeler une voiture de luxe, est un modèle très récent et qui est encore pluschère. »Le petit mouchard dit avoir « remarqué que le couple s'absentait parfois pour plusieurs jours, » cequ'il a trouvé « particulièrement bizarre ». 

Il n'a « pas pu savoir qui garde les enfants durant cesétranges déplacements », car il a pu apprendre par les siens « qu'ils sont pourtant bien à leur écolependant ce temps là ».« C'est sûr que l'homme n'est pas du pays, car on entend bien qu'il a un accent qui a l'air d'êtreétranger quand il dit bonjour ; mais sa femme n'a pas d'accent, par contre. Et d'ailleurs, le nom quiest écrit sur leur boîte aux lettres a bien l'air d'être du pays. Le couple ne semble fréquenter personnedans le village et reste très discret ; ils sont toujours très polis, mais ils ont l'air de ne pas avoirenvie de se faire des amis ici ; même les enfants n'invitent pas leurs camarades de classe à venir chezeux. »Le petit mouchard n'a « rien remarqué d'autre qui pourrait être suspect, » et pourtant il est« convaincu qu'il y a quelque chose qui n'est pas normal avec ces gens, car ils ne cherchent pas às'intégrer, comme le font normalement tous ceux qui viennent de la ville pour s'installer ici. Dansleur cas, on a plutôt l'impression que c'est comme s'ils étaient venus ici pour se cacher ou s'isoler. »Pour l'employé de la compagnie régionale des services secrets, il n'y a rien de bien consistantdans ce témoignage spontané, mais ce qui l'a tout de même intrigué, ce sont les deux voitures récentesqui, à elles deux et d'après les indications fournies, impliquent un revenu au-dessus de la moyenne ;or, ni l'homme ni la femme ne semblent avoir un emploi régulier. Enfin, il y a cette histoired'absences répétées d'une durée de plusieurs jours chaque, et l'accent de l'homme qui seraitétranger.Ce serait une négligence de ne pas effectuer quelques petites vérifications de routine à propos detels individus - de l'homme surtout -, puisque cela fait justement partie de la mission générale dela compagnie régionale des services secrets de s'intéresser à des cas de ce genre. L'employé de cettecompagnie fera parvenir le résultat de ses recherches à une section d'investigation criminelle de lagendarmerie, ou aux services fiscaux si, à l'issue de ce qu'il va trouver, il s'avère qu'il s'agitvraisemblablement d'une simple affaire relevant du droit commun ou de fraude fiscale sans portée« significative ».À l'issue de deux jours de consultation de fichiers confidentiels en ligne et de recoupement desinformations trouvées dans ceux-ci, l'employé de la compagnie des services secrets a obtenu les étatscivils complets de la femme et des deux enfants. 

L'historique fiscal de la femme, ses possiblesantécédents judiciaires, y compris les infractions au Code de la route depuis la date de délivrance deson permis de conduire, les dates de délivrance de visa et de rentrée au pays pour tous les pays danslesquels elle s'est rendue, sauf pour ceux dans lesquels on peut se rendre sans visa, ses précédentsdomiciles connus, professions et entreprises dans lesquelles elle a travaillé, son historique de santé(au cas ou celui-ci pourrait indiquer une toxicomanie ou une pathologie mentale).Il est ressorti de ce premier petit contrôle de routine un fait remarquable : aucun hommecorrespondant au signalement de celui qui vit avec cette femme n'apparaît jamais dans ce quel'employé des services secrets a trouvé.Les deux véhicules et leurs assurances sont au nom de la femme, que l'investigateur va maintenantappeler « B » pour simplifier les choses, de même que la maison en location et tous frais afférents.Les deux enfants, « C » et « D », sont le fruit d'une union avec un homme qui ne peut être celui quivit en ce moment avec « B », puisqu'il est décédé il y a huit ans d'une crise cardiaque durant unecompétition sportive, seulement quelques mois avant que « D », son deuxième enfant, ne vienne aumonde.Il semble que « B » n'ait pas perçu de prime d'une assurance vie après la mort de son époux. « B »ne possède aucun bien immobilier dans le pays, ni ne semble avoir eu de fortune personnelle, ni n'ajamais eu affaire avec la justice comme accusée ou comme témoin cité de quelque affaire que ce soit.On ne lui trouve que quelques contraventions pour des infractions routières mineures, et aucunproblème de santé à part de l'asthme, problème qui peut toutefois correspondre à un stress important.

Ce qui est également remarquable, c'est que « B » n'a jamais vécu dans la région où elle vient des'installer, et n'y a, apparemment, aucun membre de sa famille ni aucune relation - peut-être est-ce« A » qui a eu une bonne raison de venir vivre dans cette petite commune, mais comme on ne connaîtpas encore son nom, on ne peut pas le savoir à ce stade de l'enquête de routine.Ensuite on ne trouve aucune trace de « B » dans aucun fichier, y compris fiscal, depuis il y aenviron quatre ans, jusqu'à ce qu'elle achète, neufs et à quelques jours d'intervalle, les deuxvéhicules que le couple utilise, à peu près en même temps qu'elle a loué son actuel logement.Tout cela semble « un peu étrange », en effet, comme l'a trouvé le petit mouchard.L'employé des services secrets va donc chercher à obtenir plus d'informations sur l'origine desrevenus de « B », et, bien sûr, chercher à savoir qui est « A », son nouveau conjoint avec lequell'État civil dit qu'elle n'est pas mariée - « B » est officiellement restée veuve et célibataire, maisn'a pourtant fait aucune demande d'allocations pour élever ses enfants.Comme l'employé des services secrets a un collègue de sa compagnie qui est officiellement unsous-officier de gendarmerie affecté à une unité de recherche basée dans la capitale, loin de cetterégion, c'est lui qui va prendre le relais pour effectuer quelques-unes de ces recherchescomplémentaires.Cependant, sachant que cette enquête peut déboucher sur une affaire « sensible », le collègue devraêtre discret, afin de ne pas éveiller l'attention de ce mystérieux « A » qui aurait un accent étranger.Ce collègue va demander assistance au poste de gendarmerie local, pour que ses gendarmes aillentdiscrètement chercher à obtenir plus d'informations sur « B » auprès de l'agence immobilière qui luia loué la maison. Comme les gendarmes doivent entretenir des rapports amicaux et informels avec lescommerçants et entrepreneurs de leur secteur, dans le cadre de leur mission courante, mais officieuse,de « renseignement de proximité », ils connaissent déjà certainement le responsable de cette agence.

Ce sera à eux de se débrouiller pour ne pas avoir l'air d'être venus spécialement pour s'intéresser à« B » ; ils sauront parfaitement s'y prendre ; ils procèdent souvent ainsi dans le cadre de leursrecherches ordinaires et quasi quotidiennes. Ils commenceront par demander au responsable de cetteagence « si tout va bien, s'il n'a pas eu de locataires à problèmes ou bizarres durant l'année qui vientde s'écouler », puisque la compagnie de fourniture d'électricité indique que « B » a emménagé à sonadresse actuelle il y a huit mois.En attendant les résultats de cette visite, l'employé des services secrets va chercher desinformations bancaires sur un fichier central national, afin de savoir dans quelles banques « B » a descomptes. Puis il entrera en relation avec des contacts des services qui sont employés dans cesbanques, afin d'obtenir des relevés complets depuis une année, lesquels lui seront envoyés par laposte, à une boîte postale.Cet employé a maintenant créé un dossier d'investigation, après accord de son chef de poste. Ildevra donc rendre régulièrement compte à ce dernier des résultats de ses recherches quotidiennes.Trois jours plus tard, l'employé des services secrets a pu savoir que « B » a produit des feuillesde paye auprès de l'agence immobilière, à l'en-tête d'une société étrangère basée dans la capitale,mais qui a son siège social en Angleterre. Il s'agit d'une société de consulting, de laquelle « B »perçoit un salaire s'élevant à environ 7000 livres sterling par mois, y compris des primes, pour unposte de « IT consultant » - IT est l'acronyme de Information Technology, un terme à lasignification aussi large que vague, mais qui, dans le contexte présent, fait allusion au traitementinformatique de grandes quantités d'informations diverses pour de grosses entreprises. Et il a puapprendre que « B » a un compte en banque dans une unique grande banque du pays, ce qui lui afacilité les choses pour obtenir les copies de relevés de comptes qu'il est impatient de consulter.Aussi, il a pu obtenir les numéros de téléphones fixes et portables, et l'abonnement Internet, quiappartiennent nommément à « B », plus tous ceux qui correspondent à la même adresse, mais quipeuvent avoir été enregistrés sous un autre nom.La seconde demande n'a rien produit ; là encore, tout est au nom de « B », ce qui suggère ànouveau que « A » serait un individu qui s'efforcerait de ne laisser aucune trace de lui.

En attendant de pouvoir en apprendre plus, l'employé des services secrets pense que « B »pourrait fort bien être parti en Angleterre bien avant de venir s'installer dans cette maison, pays danslequel elle peut avoir été recrutée par l'entreprise qui la paie actuellement, et où elle a peut-êtrerencontré « A » avec qui elle vit depuis. Comme « B » maîtrise la langue de son pays d'origine, cetteentreprise anglaise l'y aurait tout naturellement envoyée, ce qui expliquerait pourquoi on ne retrouvede traces d'elle dans quelques fichiers que depuis moins d'un an, après un « trou » de quatre ans.Il est donc fort possible que « A » ait lui aussi un salaire qui lui serait versé sur le compte d'unebanque de son pays, ce qui ne lui pose aucun problème pour effectuer des achats à l'étranger.Mais dans ce cas, pourquoi « B » paye-t-elle pour tout ?L'employé des services secrets va maintenant faire une petite enquête rapide sur l'employeur de« B », et il va éplucher les relevés de compte pour voir s'il n'y trouve rien d'insolite, et aussi dansquels endroits elle a effectué des achats et des retraits d'espèces. Ceci lui permettra peut-êtred'apprendre où le couple se rend lorsqu'il s'absente pour quelques jours - il suppose, pourl'instant, qu'il s'agit de déplacements professionnels ponctuels chez des clients de l'entrepriseanglaise, où son conjoint l'accompagne, peut-être professionnellement lui aussi.Un jour plus tard, les relevés de compte de « B » ont appris à l'employé des services secrets quecelle-ci demeure dans des hôtels lorsqu'elle se déplace avec « A ». Bingo ! Il va enfin pouvoirconnaître le nom de « A », puisque les hôtels demandent à leurs clients de décliner leurs identités, etpuisque les relevés de compte lui indiquent les lieux et noms exacts de ces hôtels, ainsi que les datesauxquelles « B », et très probablement « A », y ont séjourné.C'est encore son collègue sous-officier de gendarmerie qui va se charger de récupérer cesinformations auprès de la gendarmerie du secteur où se trouvent ces hôtels.

Cependant, l'employé des services secrets commence à se dire aussi qu'il a peut-être effectué toutce travail de recherche pour un Anglais qui n'a rien fait d'autre que suivre dans son pays unecompagne plutôt généreuse.Mais c'est le lot commun de beaucoup d'employés des services secrets de suivre des pistes qui nemènent nulle part, à partir d'une information estimée « vraisemblable », mais dont la fiabilité de lasource ne pouvait être évaluée qu'après décision de vérifier les consistance et exactitude de cequ'elle a rapporté.Encore deux jours plus tard, l'employé des services secrets a une grosse surprise : on ne retrouveque le nom de « B » dans tous les hôtels où le couple est allé. Il est maintenant convaincu que « A »doit avoir une raison de ne jamais laisser de traces de lui, nulle part, ce qui est, bien entendu, uncomportement suspect.Il décide de référer de tout cela auprès du chef de compagnie, cette fois pour savoir ce qu'il doitfaire ; à cet effet, il prépare une note de synthèse soulignant tout ce qu'il a trouvé de suspect.Le chef de compagnie l'a écouté attentivement et a gardé sa note ; l'employé est momentanémentdéchargé de ce qui n'est plus un « dossier temporaire régional ». En attendant, il va se consacrer àd'autres informations tout récemment envoyées par d'autres petits mouchards.Le chef de compagnie a lui aussi été intrigué par ce mystère autour de « A », d'autant plus qu'ilsait, parce que cela fait partie d'une culture générale du renseignement qu'il a acquise au fil delongues années, que la société anglaise qui emploie « B » est ponctuellement utilisée par lacommunauté du renseignement d'un autre pays, désigné comme hostile au sien. C'est pourquoi ildécide de rédiger à son tour une note « Très Très Urgent », qu'il envoie aussitôt par le réseau Intranetcrypté au service de liaison inter-compagnies du territoire, puis d'attendre des instructions.

Au service de liaison inter-compagnies du territoire de la Direction de la sécurité intérieure, ausiège des services secrets du pays, la note est lue, puis montrée, pour avis, au correspondantpermanent du service du contre-espionnage auprès de la Direction de la sécurité intérieure. Cedernier la retransmet aussitôt, en « Flash » cette fois-ci, à son supérieur du service de la Direction ducontre-espionnage. Tout cela a pris moins d'une heure.À la Direction du contre-espionnage, la note a presque aussitôt été transmise au service A, lequelse consacre exclusivement à des recherches et enquêtes sur les activités d'espionnage du pays dontles services secrets ont des liens étroits avec la société britannique qui emploie « B ». Le service Aest celui qui emploie le plus de monde à la Direction du contre-espionnage, et aussi le plus« sensible », car le pays dont il s'occupe est officiellement une « puissance alliée », diplomatieoblige ; c'est l'exact contraire dans les faits.Au service A, on prend la note très au sérieux, car le comportement du couple « A » et « B », lesprécautions que celui-ci prend clairement pour cacher l'existence de « A », ses moyens financiers etl'employeur de « B » correspondent, ensemble, à un mode opératoire consistant avec des activitésrelevant de l'intelligence. Plus précisément, l'employé du service A, qui a été le premier à lire lanote, songe à la possibilité que « A » puisse être un officier de renseignement étranger, venu prendrecontact avec des agents clandestins oeuvrant sur le territoire. Les déplacements réguliers du couple« A » et « B » serviraient à cela, probablement sous couvert de déplacements professionnels de« B », ce qui doit servir d'alibi en cas d'interpellation, et à dissiper d'éventuels soupçons, à tout lemoins.Dans une telle éventualité, ces contacts peuvent servir différents besoins : transmettre des fonds,dispenser une formation spécifique et, peut-être aussi, un matériel d'espionnage ayant certainementune apparence anodine, de vrais-faux documents d'identité et de voyage, ou autre chose encore. 

Dansdes cas de livraisons ou d'échanges tels que ceux-ci, usage sera fait, soit d'une « boîte aux lettresmorte[63], » soit d'un moyen de transmission cryptée sans fil et à très courte portée (WiFi,Bluetooth...), à l'aide de petits ordinateurs portables, de smartphones ou appareils similaires.L'employé du service A décide d'en parler à son supérieur direct avant d'entreprendre quoi que cesoit ; il a immédiatement validé l'hypothèse d'activités d'espionnage sur la base de la note qu'il areçue.Le supérieur hiérarchique de cet autre employé est un véritable expert des techniques d'espionnagedu pays dont il surveille les agents identifiés comme tels, ou qui sont fortement suspectés de l'être, etdes personnels de ses embrassades, consulats et autres représentations formelles et informelles ayantune présence dans le pays. Il juge, quant à lui, que le couple « A » « B » et son comportement, sisuspects soient-ils, sont « un peu trop voyants ».Selon lui, la situation géographique du pays et sa proximité immédiate avec d'autres, dans lesquelson peut se rendre en quelques heures et sans avoir besoin de visa, offrent des opportunités de contactsclandestins à la fois beaucoup moins compliqués et plus sûrs.Mais l'imagination d'un service secret ne connaît pas de limites, le supérieur de l'employé duservice A le sait parce qu'il a lu des milliers de pages, rédigées dans sa langue et dans d'autres, dedossiers et de notes de retour d'expérience, d'extraits sélectionnés et commentés de récits d'affaireshistoriques, etc. Et puis, bien sûr, il y a sa propre expérience, celles de ses collègues, celles de sonservice... C'est sur la base de cette profonde culture de l'espionnage et du contre-espionnage qu'ilpenche plutôt, soit pour une tentative de tromperie visant à tester et analyser la capacité des servicesd'intelligence domestique et de contre-espionnage de son pays, soit à un « leurre » visant à détournerl'attention de quelque chose de plus sérieux - de très sérieux même, dans une telle hypothèse, pourque cela vaille la peine de mettre en place toute cette mise en scène.

Ce supérieur hiérarchique sait aussi que le danger d'aller trop loin dans un raisonnement rôde etmenace en permanence dans l'esprit de tout spécialiste du contre-espionnage, et pousse parfois celuicià se lancer dans une chasse à la chimère, produit de sa propre imagination.« L'adversaire » connaît le même problème, et c'est pourquoi le service A en use régulièrementpour tenter de saturer les capacités de détection et de riposte de celui-ci.De tels jeux de cache-cache peuvent faire tourner en rond des officiers du contre-espionnagechevronnés durant des années, jusqu'à attaquer leur intégrité mentale ; c'est le but. Tout l'art de laguerre repose sur la duperie ; c'est la maxime qu'il faut sans cesse garder à l'esprit, et c'estpourquoi la formation des recrues du service A consiste essentiellement à les tromper de manièrerépétée, pour les familiariser, par le vécu, avec ce problème et ses possibles conséquencesdésastreuses. C'est aussi pourquoi ce cadre du service A se pose la question suivante, l'espace dequelques secondes : « s'il doit s'agir d'une tromperie, notre ennemi a déjà dû penser que nous ysongerons, et peut-être y croiront fermement, et dans ce cas... »La réflexion s'arrête à ce point, car le supérieur hiérarchique se reprend : il n'a pas encore assezd'informations en main pour s'aventurer dans une réflexion aussi poussée. Il décide d'informer lechef du service A de cette petite affaire, pour faire avaliser la décision à laquelle il songe.Le chef du service A considère finalement que les hypothèses que son subordonné avance sonvalables et dignes d'être prises en considération : l'idée que cet inconnu, « A », puisse avoir étéenvoyé pour prendre contact avec des agents de cette manière lui semble bien être tirée par lescheveux, à lui aussi ; c'est pourquoi il songe à une autre initiative.Il va demander la mise en place d'une surveillance lourde sur « A » et « B », qui devra être assezdiscrète pour que quelqu'un qui n'est pas un agent entraîné ne puisse la remarquer, mais pas assezdiscrète dans le cas contraire. De cette manière, pense-t-il, nous pourrons effectivement savoir toutce que font « A » et « B », et, finalement, en savoir un peu plus sur « A » et les raisons de sesprésence et comportement, sans montrer la performance maximum dont nous sommes capables enmatière de surveillance physique.

Le seul but de cette opération se limitera donc à savoir si « A » parvient à remarquer cettesurveillance, dans quelle mesure, et comment il y réagit. Si cet homme est vraiment un espion, ilpartira bien vite et le Service A de la Direction du contre-espionnage saura ainsi ce qu'il veutsavoir. De son côté, « A » rapportera à ses chefs tout ce qu'il a constaté, c'est-à-dire desinformations sans grande valeur ou erronées concernant la performance de la surveillance physiquelourde de la Direction du contre-espionnage.Le lendemain, le chef de la compagnie régionale des services secrets, d'où est partie cetteenquête, reçoit la réponse à la demande qu'il a envoyée au siège des services secrets la veille. Cellecidit qu'une surveillance lourde de « A » et « B » va être mise en place, et que sa compagnie devraaider par tous moyens quelques collègues qui vont lui être envoyés sous quelques heures, et user detous ses contacts sur place, aussi discrètement que possible, pour aider à cette mission.La réponse, envoyée en « Flash », ne précise pas qu'il s'agit également d'une éventuelle opérationde tromperie dirigée contre le couple « A et « B », soupçonnés d'être des agents du pays donts'occupe le service A de la Direction du contre-espionnage. De plus, la réponse a été envoyée parle service de liaison inter-compagnies du territoire de la Direction de la sécurité intérieure, et ellene précise pas qu'elle a été rédigée par la Direction du contre-espionnage.Concrètement, ce chef ne saura pas ce que cette surveillance doit démontrer ; le rôle de sacompagnie se limitera à une mission d'appui et d'assistance technique pour une missioninconnue - c'est une nouvelle manifestation du cloisonnement qui a été expliqué dans le chapitreconsacré aux profils des recrues.Dans le même temps, une écoute des lignes téléphoniques fixe et cellulaire de « B », ainsi qu'unmonitoring de ses activités Internet sont en train d'être mis en place depuis la capitale : un descollègues qui va bientôt arriver pourra y avoir accès sur place.

La planification de la mise en place de la surveillance ne commence réellement que le jour suivant,par une reconnaissance visuelle des environs immédiats de la maison de « A » et « B ». Cettereconnaissance est effectuée à l'aide de moyens simples : deux véhicules font quelques allées etvenues, et les hommes et femmes qui sont à bord prennent des notes concernant des détailstopographiques, des équipements urbains, les habitations du voisinage ; on reçoit un fichier d'unephotographie par satellite de la commune, dont la résolution est de 10 centimètres[64], ce qui seralargement suffisant ; ce cliché date de moins d'un an. Sous peu, la gendarmerie mettra à dispositiondurant une petite heure un hélicoptère équipé d'une puissante caméra qui prendra, de loin et sous tousles angles, une vidéo de la maison de « A » et « B » : les images de cette vidéo feront partie d'unebase de données utile pour tous usages durant la mission.Dans le même temps, on cherche à savoir si une des habitations proches de celle de « A » et « B »est disponible pour une location, et aussi qui sont les locataires et propriétaires de toutes celles duquartier ; l'un d'entre eux est peut-être une personne susceptible de collaborer[65] dans le cadre dela surveillance (un fonctionnaire ou un militaire, en retraite ou pas, et d'autres cas de figure). Moinsde cent mètres seraient idéaux pour une interception des émissions WiFi domestiques, pour uneréception de micros et caméras-espions, et, bien sûr, pour une surveillance permanente de visu.Deux jours plus tard, on n'a trouvé aucun logement à louer proche de la maison de « A » et « B ».En revanche, on a trouvé qu'une maison particulière, située à une cinquantaine de mètres de cettedernière, est louée par un couple dont le mari est ingénieur en électronique pour une société du paysspécialisée dans le secteur de la défense. Cette information est envoyée au siège des services secrets,au cas où celui-ci se montrerait capable de faire se libérer ce logement au plus vite.Quelques jours plus tard, l'ingénieur qui loue cette maison se voit offrir par sa direction un postedans le sud-ouest du pays, avec un logement de fonction spacieux avec jardin. 

L'offre est à prendretout de suite, ou à laisser. L'ingénieur accepte aussitôt ; du coup, on lui verse une prime dedéménagement, et on lui demande s'il pourrait s'arranger avec son agence immobilière pour qu'un deses collègues de l'entreprise puisse louer sa maison à son tour ; ce dernier, en retour, serait prêt àprendre à sa charge le paiement des mois de préavis.L'ingénieur est ravi, son épouse aussi, il n'a rien remarqué d'anormal dans tout cela, tant sa joiel'emporte sur tout ; c'est une réaction psychologique normale et prévisible.Le déménagement à lieu la semaine suivante ; le nouveau locataire est jeune et n'a que peu demobilier à emménager, c'est pourquoi il a même racheté à l'ingénieur un vieux canapé-lit et quelquesbricoles. Des amis du nouveau locataire viennent aussitôt l'aider à emménager quelques bricolessupplémentaires : un vieux réfrigérateur, une gazinière et un peu de vaisselle et batterie de cuisineachetés d'occasion à une association caritative de la région, un vieux vélo, deux ordinateurs debureau équipés de divers logiciels professionnels et d'autres plus particuliers encore, des cartons quicontiennent un récepteur de signal Internet à l'enseigne d'un des principaux fournisseurs d'accès àl'Internet du pays, une caméra vidéo équipée d'un zoom, une seconde équipée d'un objectif à visionnocturne, une antenne WiFi directionnelle d'un genre un peu spécial, un micro-canon que l'on netrouve pas dans tous les magasins, de la câblerie aux connexions diverses et variées...Tout le matériel technique est installé, connecté à l'Internet et aussitôt mis en fonction en quelquespetites heures. On s'est débrouillé avec les moyens du bord pour que les deux caméras ne puissentêtre vues à travers les fenêtres depuis l'extérieur. La « crémaillère peut être pendue » ; un des« amis » part en ville pour tâcher d'y trouver des kebabs ou des pizzas à emporter, du café, du sucreet du lait. Comme le budget nourriture est limité, il faudra se contenter de l'eau du robinet pour laboisson.

Parmi les collègues de l'employé de la compagnie régionale qui ont été envoyés par le siège desservices secrets, il y a un superviseur de la mission de surveillance de « A » et « B » : il s'agit d'unefemme âgée de près d'une soixantaine d'années, « vieille fille », toujours escortée par un hommemince âgé d'une trentaine d'années environ, mal rasé et toujours vêtu d'une veste de cuir noir demauvaise qualité, comme si elle était une importante personnalité susceptible d'être agressée ouassassinée. Elle a apporté avec elle une réputation de personnage dur, et ça se voit au premierregard ; tout le monde à la compagnie a bien compris qu'elle est « l'oeil du siège des servicessecrets », et qu'il va falloir compter avec elle désormais, quoiqu'aucune note ni aucun ordre formelne le précisent ; nous l'appellerons « Circé » pour simplifier la suite de notre description.Circé demande à la compagnie régionale d'impliquer le poste de gendarmerie locale, pour quecelui-ci se tienne prêt à tout moment à rapidement mettre en place un contrôle intempestif de lacirculation. Ainsi, dès que les jeunes collègues observateurs de l'ancienne maison de l'ingénieurauront pu savoir que « A » s'apprête à sortir de chez lui au volant de sa voiture, deux gendarmesdevront le précéder pour aller se poster sur son trajet le plus probable. Ils arrêteront son véhiculepour seulement le contrôler, et ainsi l'obliger à décliner son identité de lui-même en présentant unpermis de conduire.Aussi, l'équipe de surveillance attend avec impatience un prochain déplacement de quelques joursdu couple « A » et « B ». Ils mettront cette absence à profit pour aller « sonoriser » la maison, c'està-dire y poser des micros-espions.Une dizaine de jours plus tard, les gendarmes ne sont toujours pas parvenus à contrôler « A » auvolant de son véhicule. Une fois, les gendarmes sont arrivés sur place trop tard, et une autre ils sesont postés au mauvais endroit.

Circée s'impatiente et demande d'organiser un prétexte pour forcer « A » à aller là où on le veut ;l'homme ne semble pas avoir d'habitudes prévisibles - une caractéristique qui ne fait que renforcerles soupçons qui pèsent sur lui.En principe, l'équipe de surveillance doit déjà disposer d'assez d'informations sur « A » et « B »pour trouver comment faire ; ils travaillent sur ce problème, ce n'est pas aussi simple que Circé àl'air de le croire.Finalement, c'est Circé qui trouve la solution. Elle a décidé d'impliquer le concessionnaireautomobile de la marque du véhicule de « A » ; voici comment.Comme les garages automobiles entretiennent de fréquentes relations avec les autorités (la policedans ce cas, puisque le concessionnaire le plus proche est dans une ville distante de 30 kilomètres dudomicile de « A »), on va envoyer deux membres des services secrets qui ont fonction officielle depoliciers d'une brigade spécialisée dans la lutte contre le narcotrafic, pour demander au patron de laconcession automobile qu'il apporte son concours « dans le cadre d'une enquête » ; on sait àl'avance qu'il ne pourra décemment pas refuser.Ce concessionnaire devra faire parvenir à « B », propriétaire en titre du véhicule de « A », unelettre l'informant que celui-ci nécessite le remplacement d'un composant de l'injection électroniquequi présente un défaut de fabrication. Ce composant risque donc de mettre le véhicule en panne à toutmoment, ainsi qu'en atteste son numéro de série. Ce remplacement sera bien entendu effectuégratuitement ; il faut simplement appeler le garage le plus rapidement possible pour convenir d'unrendez-vous, et prévoir une immobilisation du véhicule de deux journées ; le prêt d'un véhicule deremplacement durant cette intervention est offert, au titre de dédommagement pour le dérangement etl'erreur du constructeur. Circé a prévu que si « A » est un agent entraîné ou un officier derenseignement, il se doutera aussitôt de quelque chose, et changera alors peut-être de comportement :un effet attendu.

Quelques jours plus tard, un nouvel évènement se produit, alors que la lettre du concessionnairevient tout juste d'avoir été rédigée et expédiée par la poste à « B ». Les membres de l'équipe desurveillance, postés dans l'ancienne maison de l'ingénieur et qui surveillent les mails que « B »envoie par Internet et connaissent maintenant toutes les adresses électroniques qu'elle utilise, ou aumoins celles qu'elle utilise fréquemment, pensent avoir trouvé que l'une de ces adresses est en faitutilisée par « A ». Ils ont réussi, avec l'aide de quelques collègues d'une Direction spécialisée desservices secrets, à trouver le mot de passe de cette boîte aux lettres. Ainsi, ils ont pu connaître sousquel nom et à quelle adresse cette adresse email avait été créée, et ils ont trouvé : « Roy Desautel, 38boulevard Saint-Bruno, Montréal, Canada. » Puis ils ont aussitôt effectué quelques recherches àpartir de ce nom et de cette adresse.L'équipe de surveillance n'a pas trouvé de « Roy Desautel » vivant à cette adresse, mais elle atrouvé plusieurs « Roy Desautel » dans le monde, dont 2 qui ont une page Facebook. Sur une de cesdeux pages, ils ont trouvé une photo de groupe dans lequel un homme ressemble à « A ». C'estpourquoi on pense qu'il pourrait bien s'agir du vrai nom de « A », et qu'il pourrait bien être denationalité canadienne.Lorsqu'il était au Canada, « Roy Desautel » a acheté divers livres et articles sur Amazon, dont laliste présente un grand intérêt, puisqu'elle permet d'en connaître sur ses centres d'intérêt passés outoujours actuels.« Roy Desautel » aurait suivi des études supérieures de littérature française et de théologie, qui sesont toutes deux achevées par la délivrance d'un diplôme par des universités canadiennes.Aussi, les autres recherches, entreprises à partir des quelques informations que l'on a trouvées surcette page Facebook - sans grand intérêt -, ont permis d'établir qu'il pourrait bien s'agir d'unhomme qui aurait été membre d'un club de parapente, il y a quelques années, et qui aurait de lafamille dans l'État du Maine, aux États-Unis.

D'autres recherches ont évidemment été entreprises pour tenter de savoir ce que faisaient cesautres personnes, mais on n'a rien de trouvé de concret à ce sujet pour l'instant.Circé s'est fait remettre une note complète de toutes ces récentes informations, mais elle a décidéque l'on poursuive la petite opération avec le véhicule de « A », car elle a prévu que celle-ci allaitservir plusieurs buts de toute façon.Circé a bien entendu fait parvenir ces mêmes informations à la Direction du contre-espionnagedes services secrets, depuis les bureaux de la compagnie régionale.Les collègues postés dans l'ancienne maison de l'ingénieur ont acquis la capacité depouvoir « monitorer » tout ce que font « A » et « B » et leurs enfants sur l'ordinateur de bureaufamilial, sur l'ordinateur portable de « B », et aussi sur un iPad qui a l'air de servir à toute lafamille. Ils ont à leur disposition deux moyens techniques pour y parvenir :1. ils disposent de trois antennes multifréquence FM d'un genre très particulier qui permettent decapter, depuis la distance, les rayonnements électromagnétiques naturels émis par les matérielsinformatiques se trouvant dans la maison de « A » et « B » ;2. avec la complicité d'un agent qui est employé chez le fournisseur d'accès Internet et detéléphone de « B », ils ont eu accès à une « backdoor » du logiciel d'installation et de pilotage deleur boîte de réception Internet, de téléphonie et de télévision, qui permet de regarder, en temps réelet sur un moniteur vidéo, tout ce qu'il se passe sur tous les matériels connectés à cette boîte : depuisles ouvertures et consultations de dossiers jusqu'au parties de jeux vidéo, en passant par lesrédactions de courriers sur les logiciels de traitement de texte.Depuis qu'ils ont mis en place ce monitoring, les collègues de l'équipe de surveillance, qui viventen permanence et se relayent dans l'ancienne maison de l'ingénieur, prennent des notes sur tout cequ'ils voient sur leurs moniteurs de surveillance informatique, font des captures d'écran (imagesfixes ou vidéo) lorsque cela leur semble pertinent, et archivent toutes ces informations par ordrechronologique. 

Ils rédigent quotidiennement des notes à propos de tout ce qui est peut être utile àl'enrichissement des biographies de « A » et de « B », ou pourrait être utile dans le futur, et les fontparvenir à leur chef d'équipe (l'homme des techniques et de l'organisation quotidienne de lasurveillance), lequel en adresse une copie à « Circé » (la tête pensante, stratège et directrice de cettemission, sorte de « mini-directeur »).Comme on l'espérait, c'est bien « A » qui a conduit « sa » voiture chez le concessionnaire. Etcomme cette concession se situe à l'entrée de la ville, en bordure d'une route à grande circulation, laseule que pouvait logiquement emprunter « A », le contrôle de routine de la gendarmerie a porté sesfruits cette fois. Son permis de conduire, canadien, est bien au nom de Roy Desautel, né le 12septembre 1982 à Pointe Calumet, province du Québec, Canada, et il est domicilié à la même adresseque celle de son compte email Google.Comme on avait demandé aux gendarmes qui devaient effectuer ce contrôle qu'ils ne se montrentpas trop durs, ils n'ont pas verbalisé Roy Desautel pour défaut de permis de conduire international.Ils lui ont juste demandé depuis quand il résidait dans le pays, et, sur la base de la réponse quel'homme a fournie, ils l'ont ensuite invité à s'en faire établir un le plus rapidement possible auprèsde son consulat, « car d'autres policiers qui le contrôleront une prochaine fois se montreront peutêtremoins cléments qu'eux ».Naturellement, ces gendarmes ont procédé, juste avant cela, à un petit contrôle ordinaire de routinepour s'assurer que Roy Desautel n'était pas recherché par la justice ou signalé comme une personnesuspecte - ce n'était pas le cas.Si Roy Desautel est un espion entraîné, il aura ainsi eu confirmation qu'il est surveillé, car lehasard de cette intervention sur son véhicule, plus ce contrôle de gendarmerie en cette occasion,sembleraient trop suspects à n'importe quel professionnel de sa catégorie supposée - il en déduiraalors un manque d'efficacité des services de contre-espionnage du pays, ou peut-être une manière delui faire comprendre qu'il a été repéré, puisque l'ambiguïté fait partie du « jeu » des espions.

Roy Desautel, que nous continuerons d'appeler « A », comme le font dans ce cas les hommes d'uneéquipe de surveillance des services secrets, est revenu à son domicile à bord d'un véhicule de prêtaprès avoir déposé le « sien » chez le concessionnaire. Il pourra revenir le chercher le lendemain àpartir de 13 heures.Durant la soirée qui a suivi l'heure de fermeture officielle de la concession automobile, ce mêmejour, trois hommes se sont présentés auprès de son directeur : deux avec la fonction officielle depolicier, un avec la fonction officielle d'agent des douanes.Les trois hommes sont restés durant plusieurs heures pour inspecter divers endroits du véhicule de« A », dans l'éventualité où ils pourraient tomber sur quelque chose d'insolite. Dans le même temps,ils ont procédé au remplacement d'un composant de son système de navigation GPS. Ce système seradésormais en tous points identique à ceux que l'on installe sur des véhicules de location pour pouvoirles géolocaliser en cas de vol ; excepté que, dans le cas présent, ce système de géolocalisationfonctionnera en permanence, et que son utilisateur n'en sera pas averti.Aussi, ce nouveau composant comprend un microphone qui permet d'entendre tout ce qu'il se dit àbord du véhicule, et il peut être activé ou désactivé à distance à partir d'un ordinateur ordinaireconnecté à l'Internet, ou même à partir d'un smartphone. Ce système pourra fonctionner durant toutela vie du véhicule, tant que sa batterie sera en charge. Seul un voleur de voiture chevronné pourraitchercher la présence de ce boîtier, le reconnaître et le désactiver ; ou une personne se plaçant àproximité du véhicule, et qui serait équipée d'un scanner à antenne directionnelle capable de capterles micro-ondes dans une plage de fréquences de 800 MHz à 2400 MHz, pourrait remarquer que cevéhicule émet un signal radio. Mais comme ce dernier appareil est spécifiquement fabriqué pourservir à des fins de détection de matériel d'espionnage[66], il faudrait donc que « A » ait desérieuses raisons d'en acheter un, compte tenu de son prix relativement élevé.Si jamais « A » devait chercher à acquérir ce genre de matériel (en le commandant tout simplementsur Internet, par exemple), l'équipe de surveillance le saurait pour les raisons qui ont été expliquéesplus haut, et le mouchard de son véhicule serait aussitôt désactivé à distance, au moins le temps que« A » puisse s'assurer que son véhicule « n'est pas » tracké.

Sitôt que Circé a eu confirmation formelle de l'identité de « A », elle en a informé son contact à laDirection du contre-espionnage des services secrets.L a Direction du contre-espionnage n'a rien trouvé dans ses bases de données concernant uncertain Roy Desautel ; c'est pourquoi celle-ci a fait une demande inter-services auprès de laDirection du renseignement , chargée des activités d'espionnage à l'étranger, afin que sa sectionAmérique du Nord se débrouille pour obtenir des informations sur cet homme. Car cette section aforcément recruté au moins un agent ou a une source dans la Police montée et dans la Gendarmerieroyale canadiennes qui auront accès à des fichiers confidentiels. Cependant, on s'attend un peu à ceque le retour de cette information puisse être relativement long. Cette demande a été adressée à unagent en poste au Canada, qui est un clandestin sous la couverture d'éditeur d'une applicationinformatique à destination des touristes, des jeunes qui veulent aller poursuivre des études àl'étranger et autres globe-trotters ; l'homme vit là-bas depuis près de dix années ; son activité nesuffirait pas à le faire vivre si son officier traitant ne se débrouillait pas pour compléter ses revenusgrâce à quelques petits tours de passe-passe financiers aussi plausibles que possible.Il eût été possible d'envoyer au Canada une demande très officielle d'informations sur RoyDesautel, au prétexte d'une enquête de routine concernant une suspicion d'activités terroristes oud'autre chose, dans le cadre de la collaboration internationale normale entre services de police. Maisune telle demande susciterait aussitôt la curiosité des autorités canadiennes, même si le nom de RoyDesautel était glissé parmi d'autres sans intérêt. La discrétion de l'opération de surveillance seraitalors compromise, puisque les autorités canadiennes ont une liaison permanente avec les autorités dupays suspecté de manipuler Roy Desautel, et peut-être « B » aussi.Aussi, la même Direction du contre-espionnage a adressé une demande d'informations similaireaux services secrets d'un autre pays, allié, qui, dans les faits exerce une influence considérable, maisaussi discrète que possible, dans le pays. Sachant que les services secrets de cet autre pays déploientordinairement, et depuis de nombreuses années, une activité très importante au Canada, il se pourraitqu'il en revienne quelques informations supplémentaires ; dans cet autre cas, cela ne devrait prendreque quelques heures.

Désormais, l'équipe de surveillance de « A » et « B » dispose de moyens de surveillance accrussur ceux-ci. Mais le dispositif n'est pas encore complet, puisqu'il manque encore la sonorisation deleur domicile.En attendant, les collègues en poste dans l'ancienne maison de l'ingénieur utilisent ponctuellement,à distance, les microphones et caméras des ordinateur portable et iPad de « A » et « B », qu'ilspeuvent activer et désactiver à distance par Internet, et aussi, bien sûr, les microphones de leurs lignetéléphonique principale et de téléphones portables. Ces moyens sont fort utiles, mais pascomplètement satisfaisants, cependant, puisque le couple « A » et « B » ne se trouve pas toujours àproximité de tous ces matériels lorsqu'il a une conversation.Dans l'ancienne maison de l'ingénieur, les membres de l'équipe de surveillance sont entrés dansune phase de routine qui est rarement intéressante, puisqu'ils sont forcés d'écouter les enfants quijouent, les chaînes de télévision que regarde la famille, la musique, et quelques appareils ménagers,dont l'aspirateur au premier chef. Et ils savent que ce travail risque de durer des mois ; des annéespeut-être même.Mais ils sont également convaincus qu'on les relèvera si la mission doit durer ainsi ; ils ignorentjuste au bout de combien de temps cela arrivera, puisque c'est « en haut lieu » que l'on en décidera.Ils considèrent qu'ils ne sont que des exécutants, après tout ; qu'ils ne sont moralement nullementresponsables de ce qu'ils font, quelles qu'en puissent être les issues, bonne ou mauvaise, puisquel'on n'attend surtout pas d'eux qu'ils réfléchissent au-delà de ce qu'on leur demande de faire[67].Leurs uniques soucis sont de ne pas commettre d'impairs, de ne pas se faire repérer ou suspecter dequoi que ce soit par quiconque dans le voisinage, que le matériel qu'ils utilisent soit en permanenceopérationnel, et de ne surtout pas prendre la moindre initiative sans en avoir demandé l'autorisation àleur chef d'équipe.« A » et « B » sont discrètement pris en filature partout où ils se rendent, désormais. Ausupermarché où ils vont faire leurs courses, la collaboration du responsable de la sécurité dumagasin a été requise ; ce dernier est en relation régulière avec la gendarmerie de la région, pour desraisons aussi logiques que justifiables. 

Il est appelé sur son téléphone portable chaque fois que « A »et « B » sont à l'approche du supermarché ; on lui demande de surveiller tous les agissements ducouple à l'intérieur du magasin, et surtout s'ils y rencontrent quelqu'un. Les caméras de surveillancedu magasin lui sont alors d'une grande aide. Son contact à la gendarmerie lui a expliqué que cecouple est suspecté dans une affaire de recel d'objets volés. Ce genre de demande le réjouit et mêmel'excite ; la surveillance des éventuels petits voleurs ordinaires est devenue pour lui une frustranteroutine.Une semaine plus tard, l'équipe de surveillance a appris que « A » et « B » s'apprêtent à partirpour un de ces déplacements de quelques jours qu'avait signalé le petit mouchard. On apprend encette occasion qu'ils payent un couple de la région pour garder leurs enfants. L'enquête effectuée àpropos de cet autre couple n'a rien révélé de suspect. La femme est une institutrice de l'école de lacommune où vont les enfants de « B », et elle a l'habitude de se faire payer « de la main à la main »pour garder des enfants, pour arrondir ses fins de mois - une information qui pourra constituer unmoyen de pression utile en échange de quelques services, en cas de besoin.La compagnie régionale signale aussitôt ce prochain départ à deux agents qui ont reçu uneformation de pose de moyens de surveillance domestique, et qui ont une couverture d'électroniciensréparateursde matériel audio et vidéo. Les services secrets leur imposent une mise en formephysique constante par la pratique de sports. Des années avant d'être recrutés pour sonoriser deshabitations, ils étaient tous deux des cambrioleurs qui se sont fait prendre. En prison, ils se sont vuproposer une réinsertion professionnelle, assortie d'une formation entièrement prise en charge parl'État.On les a ensuite testés, après leur sortie de prison, pour s'assurer que l'envie ne leur prendrait pasde voler quelque chose dans les endroits où ils auraient à installer des matériels de surveillance.

Lorsque tous les autres tests usuels des services secrets se furent achevés, on leur a alors expliquéd'autres moyens, plus efficaces, et quelques autres astuces et précautions, pour pénétrerclandestinement dans un logement. Puis, enfin, ils ont été formés aux installation et dissimulation demicrophones-espions.Ces deux techniciens ne savent pas qu'ils rendent leurs petits services aux services secrets dupays ; ils croient travailler pour une agence privée de sécurité et de gardiennage qui a des relationsprivilégiées avec la police, et sont payés de la main à la main.Mais Circé a décidé que la sonorisation de la maison de « A » et « B » se ferait durant unsimulacre de cambriolage. Car si jamais « A » a reçu une formation avancée et adaptée par le servicesecret ennemi qui l'a envoyé, dans ce cas il doit probablement poser des témoins de visite dans samaison avant de s'en absenter (c'est-à-dire des astuces telles qu'un très petit objet posé sur le hautd'une porte, qui tombera à terre à l'insu de celui qui l'ouvrira et qui ne le saura pas, et autres trucs dumême genre).Aussi, « A » pourra avoir caché chez lui un petit enregistreur qui se déclenche à la voix, appareiltrès ordinaire et disponible à la vente dans de nombreux magasins. Des cambrioleurs, qui ne sont pascensés être des poseurs de micro expérimentés, n'auront cure de toutes ces contre-mesures. De plus,la gendarmerie du secteur aura bien vite ficelé l'enquête après que « B » aura déposé sa plainte pourcambriolage, et on ne retrouvera jamais les auteurs.Le jour du départ de « A » et « B » à bord de leur plus gros véhicule, celui qui a été équipé chez leconcessionnaire, leur déplacement est aussitôt suivi sur ordinateur, et leurs conversations à bordécoutées. Mais ce n'est pas tout : ils sont également pris en filature discrète par un véhicule, à bordduquel un homme et une femme des services secrets peuvent eux aussi suivre les déplacements duvéhicule de « A » et « B » sur un smartphone équipé d'un logiciel de géolocalisation en temps réel.

Puis il a y un second véhicule de filature pareillement équipé, qui prendra parfois le relais quand ilne suivra pas « A » et « B » depuis une plus longue distance que le premier véhicule - ceci afin que« A » et « B » ne soient pas toujours suivis par le même véhicule ; l'organisation de ces changementsse fera par téléphone portable. Et aussi, si le « véhicule cible », ainsi que celui-ci sera désigné,venait à bifurquer au dernier moment durant le trajet, le premier véhicule ne tenterait pas unemanoeuvre qui pourrait être aussitôt repérée par « A » ; ce sera le second véhicule, plus loin derrière,qui pourra reprendre le relais de la filature. D'autres options sont prévues, au cas où « A » utilisemanifestement des techniques de contre-surveillance durant son trajet.Enfin, l'équipe de surveillance considérant que ce déplacement, qui durera vraisemblablementplusieurs jours comme les précédents, est hautement suspecté de servir à au moins une rencontre avecun agent au service d'un pays étranger, ou à une transmission ou à un échange d'informations partoutes sortes de moyens possibles, la surveillance mobile sera de toute façon particulièrement lourde.Différents collègues des services secrets, dans d'autres compagnies du pays, se tiennent prêts àprendre part à la filature.La surveillance ordinaire de « A » et de « B » implique une dizaine de permanents, en comptant lesrelèves. Durant les quelques jours de leur déplacement, jusqu'à une centaine de personnes pourrontêtre mobilisées en cas de comportement d'évasion de surveillance constaté. La Direction du contreespionnagea donné son feu vert pour l'emploi de tels effectifs, et sera en contact permanent avec lechef de l'équipe de surveillance et ses membres, par téléphone portable.Pour cette partie technique, Circé a complètement laissé l'initiative au chef de l'équipe desurveillance ; elle doit maintenant attendre qu'une information importante, ou des instructions de laDirection du contre-espionnage remontent jusqu'à elle.« A » et « B » sont partis de bonne heure le matin. Ils ont tout d'abord déposé les enfants « C » et« D » chez l'institutrice. 

Les informations, fournies par les jeunes collègues en poste dans l'anciennemaison de l'ingénieur, ont indiqué une grande ville de destination située à 250 kilomètres de là ; lepoint de chute est un hôtel, dans lequel une chambre pour une personne avec un grand lit a étéréservée au nom de « B ». Il y a justement une grosse compagnie des services secrets dans cette villeimportante ; celle-ci a été prévenue et commencera à poster des employés rompus aux techniques defilature et de surveillance peu avant l'arrivée de « A » et « B », aussitôt qu'ils seront prévenus decelle-ci.« A » a roulé calmement et n'a pris aucune mesure de contre-surveillance durant le trajet ; lecouple s'est arrêté en route pour déjeuner dans un restaurant, où il a été aussitôt rejoint par lesoccupants du second véhicule de la filature, qui y ont également pris un repas. « A » et « B » ont étéparticulièrement surveillés durant leurs allez aux toilettes, puis retours à table. Les toilettes ont étéinspectées par un des deux employés des services secrets, aussitôt après. Rien de suspect dans lescomportements des deux cibles n'a été remarqué durant cette pause.Les cibles sont arrivées à leur hôtel un peu moins de 5 heures après leur départ. Les servicessecrets ayant un contact dans l'hôtel, via la police de la ville, il a été possible de rapidement fairesonoriser la chambre qu'a réservée « B », à l'aide d'un micro unique dissimulé dans une prise decourant.Quatre jours plus tard, lorsque « A » et « B » sont revenus chez eux, le rapport de surveillance aconclu que rien d'anormal ou de suspect n'a été constaté par aucun de tous les collègues qui y ontparticipé. « B » s'est rendu quotidiennement de son hôtel au siège d'une grosse entreprise detransport routier, où elle est toujours restée durant les heures ouvrables normales, parfois plus tard.Un petit « mouchard régulier » qui travaille dans les bureaux de cette entreprise a un peu plus tardrapporté que « ni lui, ni l'un de ses collègues n'ont remarqué quoi que ce soit de bizarre à propos decette consultante, qui est d'ailleurs déjà venue auparavant ».

Durant ces journées de travail de « B », « A » a fait du tourisme dans la ville ; il a visité des lieuxde culte, pour l'essentiel, dont il a pris quelques photographies avec son téléphone portable (ce qui aété jugé consistant avec ses centres d'intérêt constatés durant son usage de l'Internet, et ses études).« A » n'a rencontré personne ; il n'a pas cherché d'aventure avec une femme ou un homme ; il a euquelques coups de fil (tous avec « B » confirment les écoutes téléphoniques). Il avait emporté l'iPad,mais il ne l'a jamais sorti de la chambre de l'hôtel ; il a effectué ses connexions à l'Internet à l'aidede cet appareil depuis la chambre d'hôtel, et aucune de celles-ci n'a été de nature suspecte.Des photos et vidéos ont été jointes au rapport de surveillance, comme témoignage et archivagepouvant servir des besoins ultérieurs de l'enquête. Une courte enquête de routine a été effectuée surl'entreprise dans laquelle « B » s'est rendue, et celle-ci n'a fait ressortir aucun fait remarquable ou àcaractère suspect.

Le schéma ci-dessus montre un exemple de filature urbaine avec 7 agents de filature (« filocheurs »). Il y a un chef de groupe ; tous les agents communiquent à l'aide de

simples téléphones portables, en mode vocal ou par SMS, et en utilisant un langage spécifique fait d'acronymes pour plus de rapidité (les moyens photo/vidéo de ces

téléphones peuvent être utilisés). Les agents de filature sont des spécialistes ayant reçu une formation spécifique. Ils doivent bien connaître la ville où ils effectuent

leurs filatures, y compris les immeubles et les magasins qui ont des doubles sorties. Dans les grandes aglomérations, l'équipe peut compter un agent de filature en moto,

ou à vélo plus souvent, pour suivre les taxis ou d'autres véhicules que peut emprunter la cible. Des moyens plus sophistiqués et impliquant un plus grand nombre

d'agents et de contacts sont impliqués dans les villes où il existe un réseau de métro. Dans le principe, une filature urbaine peut être grossièrement comparée à un jeu

vidéo de « Pacman ».

Durant la première nuit de « A » et « B » à l'hôtel, il a été procédé à la sonorisation de leurmaison. Les deux techniciens qui s'en sont occupés n'ont crocheté aucune serrure ; ils ont utilisé uneméthode d'effraction délibérément grossière, dont la gendarmerie pourra dire qu'elle est le faitd'« amateurs » ou de jeunes délinquants. La gendarmerie du secteur n'a pas été prévenue de cetteintrusion. Les collègues en poste dans l'ancienne maison de l'ingénieur ont assuré une surveillance des abords et du voisinage immédiat de la maison durant cette intrusion, et ils sont resté en contact radio avec les deux techniciens pour assurer leur sécurité, notamment lorsqu'ils ont allumé les lumières dans la maison pour pouvoir faire une vidéo de toutes les pièces et du contenu des meubles.Les micros, au nombre de 8, ont tous été installés dans l'immédiate périphérie des logements de prises électriques, afin qu'ils soient alimentés par l'installation électrique domestique, et les techniciens ont fourni des indications précises de leurs emplacements qui ont ensuite été reportés sur un plan sommaire de l'intérieur de la maison, pour information et pour faciliter leur récupération ultérieure lorsque la surveillance s'achèvera. Il s'agit de micros FM[68] simples qui ne peuvent être coupés à distance ; leur présence pourrait donc être détectée grâce à une recherche à l'aide d'un récepteur FM, ou d'un scanner, capable de capter des fréquences supérieures à 130 MHz[69]. 

Le Travail de reconnaissance et de pose des microphones, y compris l'effraction et la mise en scène du cambriolage, a pris un peu plus de quatre heures. Aucune caméra par fibre optique[70] n'a été installée, car la Direction du contre-espionnage ne l'a pas jugé nécessaire.Lors de cette intrusion, du désordre a été intentionnellement mis dans la maison. Quelques bijoux sans valeur ont été emportés, et quelques bouteilles et canettes de soda ont été ouvertes et vidées dans un évier, dans le but d'achever la mise en scène d'une intrusion par de jeunes délinquants. Le Pied-de-biche, qui a servi à forcer la porte du garage par laquelle les deux techniciens sont entrés, a ensuite été délibérément « oublié » dans le garage. Comme on n'a fait que procéder à une « copie miroir » du disque dur de l'ordinateur de bureau parce qu'il ne pose aucun problème dans le cadre de son monitoring, en ligne comme par moyens TEMPEST[71], il n'a pas été emporté, et donc les consoles de jeux vidéo des enfants et le téléviseur du salon non plus, pour créer une consistance de motifs des « cambrioleurs » qui, « manifestement, cherchaient des bijoux ».Le responsable du bureau de poste de la commune doit remettre tous les courriers adressés à« A », « B » et ses enfants « C » et « D », avant leur distribution, pour examen et éventuelle ouverture, à un collègue du service qui représente, officiellement, une unité de recherche de la police menant une enquête concernant toujours une affaire de recel d'objets volés.Si cela est jugé utile, le second véhicule, plus petit, qu'utilise quotidiennement, seule, « B », sera lui aussi sonorisé et équipé d'un dispositif de géolocalisation discret ; afin de ne pas éveiller l'attention du couple, on procédera cette fois-ci en provoquant un petit accrochage urbain qui nécessite une réparation dans un garage ou chez le concessionnaire de la marque.

Par la suite, il a été relevé avec attention que « A » et « B » n'ont pas tenté d'ajouter quelques biens à la liste de ceux qu'ils ont déclaré volés, car ce genre de détails permet aux services secrets de savoir s'il leur est possible de facilement compromettre un individu ou pas.Après avoir pris connaissance de tous ces nouveaux faits, les employés de la Direction du contre espionnage,qui suivent les résultats de cette surveillance, ont notamment émis l'hypothèse que ce pourrait plutôt être « B » qui cherche à cacher l'existence de « A » à ses employeurs actuels, pour des raisons qui devront être élucidées, car elles peuvent être déterminantes quant aux suites à donner à la surveillance telle que son importance a été définie jusqu'à présent - ceci dans le cadre de l'optimisation des dépenses et mobilisations en moyens humains et matériels.Ici s'achève cette description de surveillance lourde, laquelle aura permis au lecteur d'en connaître les modalités d'une façon sans doute plus parlante que l'aurait fait une longue suite de descriptions de techniques, méthodes et organisation.

Méthodes de recrutement et formation.

On rencontre, dans la plupart des services secrets, deux types génériques de recrutement : le recrutement des personnels de bureau qui ne seront jamais appelés à être impliqués dans des missions « sur le terrain », et le recrutement des « clandestins » (les « mercenaires » dont nous parlions plus haut) qui, parce qu'ils restent au contact de gens qui ne sont pas dans les services secrets et en ignorent tout, doivent être assez fiables pour qu'il ne soit pas nécessaire de les« chaperonner » en permanence.Ensuite, on trouve deux modes opératoires de recrutement, qui peuvent parfois succéder l'un à l'autre ; nous les appellerons le recrutement amical, et le recrutement hostile. Le recrutement hostile concerne plus fréquemment les individus appelés à devenir des agents.Enfin, les modalités du recrutement, en général, peuvent être très différentes d'un individu à l'autre, car elles sont toujours définies à partir des profils et comportements de la recrue.Nous l'avons entraperçu, les services secrets « proposent » plus volontiers un recrutement qu'ils acceptent une candidature spontanée, car ils se méfient beaucoup de cette dernière, pour deux raisons,principalement.En effet, parmi les candidatures spontanées, plus ou moins nombreuses selon les pays, et surtout selon la réputation des services secrets dans leurs pays d'origine, au cas par cas, on trouve fréquemment :

1. des candidatures jugées à la fois peu sérieuses ou peu intéressantes, parce qu'elles sont le fait d'individus qui ont une perception fantaisiste du monde des services secrets et de leurs missions et tâches ordinaires diverses ; il s'agit, pour rapidement résumer ces profils de recrues, d'amateurs defilms de James Bond et de romans d'auteurs tels que Jean Bruce, Gérard de Villiers et autres Robert Ludlum[72].

2. beaucoup plus rarement, des candidatures jugées suspectes parce qu'on les soupçonne de correspondre à des tentatives de pénétration par un service secret étranger ou par une organisation mafieuse ou terroriste[73].

LE RECRUTEMENT DE L'EMPLOYÉ

Dans le cas du recrutement amical d'un individu choisi pour devenir un employé à temps pleind'un service secret, celui-ci est fréquemment une personne d'âge jeune (c. à d. de 18 à 25 ans,environ) qui a entrepris des études supérieures (après le bac, ou équivalent de celui-ci selon les pays)[74].Mais on trouve également une proportion relativement importante de militaires en cours de carrière, ou qui viennent tout juste de s'engager dans l'armée, dans la gendarmerie ou la police[75].Car, quoique dans quelques pays on a parlé, ou on parle, d'une progression importante des effectifs des services secrets recrutés dans le civil, alors que ce n'était traditionnellement pas le cas auparavant, les discipline, mode de pensée et organisation militaires dominent toujours.Les services secrets ont bien plus de facilités à trouver dans l'armée que dans le civil des recrues qui s'adapteront, pour les raisons qui suivent.Premièrement, celui ou celle qui se sent attiré par des notions telles que discipline, ordre, primauté de la hiérarchie planifiée sur les compétences, dépassement de soi, action, « soif d'aventures » et de« nouveaux horizons », etc. se sentiront plus vite à l'aise avec le quotidien et les méthodes des services secrets que d'autres - au début, en tout cas.

Deuxièmement, celui ou celle qui a déjà fait l'expérience d'au moins une année de vie dans l'armée sera toujours moins choqué ou surpris par les réalités d'un service secret qu'un civil qui n'aura pas eu une telle expérience ; ce sera plus difficile encore pour celui ou celle qui n'aime pas l'armée et les militaires, ou qui se montre réticent à la discipline. Et réciproquement depuis le point de vue des services secrets cette fois, car ces derniers se sentent beaucoup plus en confiance au moment de recruter un militaire plutôt qu'un civil, pour les mêmes raisons qui viennent d'être évoquées, tout d'abord, et pour les quelques autres qui suivent.Un militaire est un individu littéralement enfermé dans un milieu étanche à la grande diversité (de moeurs, d'opinion, de mode de vie, etc.) du monde civil. Tous les militaires doivent se conformer à un même mode de vie et à un mode de pensée, « standardisés » et définis par une hiérarchie unique,sans que les considérations et opinions diverses et variées du monde civil ne puissent y être ajoutées.

On peut dire que le militaire est également enfermé dans un milieu social qui, même lorsqu'il sort dela caserne (le lieu ceint de murs et gardé où il se trouve tout de même le plus souvent), le tient encore. Le militaire fréquente plus volontiers d'autres militaires que des civils, pour des raisons logiques.Ensuite, bien peu de choses de la vie privée, et surtout de la personnalité, du militaire échappent à ses supérieurs et camarades. Il est difficile pour un individu de s'isoler dans l'armée ; la vie privée n'y est pas accessible. L'armée est donc un milieu d'observation privilégié pour connaître à fond et rapidement un individu. Plusieurs années d'observation et de tests divers sont nécessaires pour connaître un civil à un point où une seule suffira pour un militaire.Lorsque la recrue des services secrets est un militaire, elle est tout de même testée dans son milieu, en sus des tests et observations habituels de ses supérieurs. Au plus élémentaire, cela implique que la recrue soit discrètement et astucieusement mise en contact avec d'autres militaires qui la testent à son insu, en usant pour ce faire de prétextes de conversations anodines lors desquelles des confidences concernant des détails de la vie privée, des préférences, des goûts et des opinions sur toutes sortes de sujets doivent être collectés. Et puis cette recrue sera tout de même testée en environnement civil.

Le sujet des services secrets et de l'espionnage surgira à un moment dans une conversation,inévitablement ; ce sera le début d'une approche, jusqu'au moment de la proposition directe, le plus souvent présentée comme une mutation ou une option de carrière. Globalement, le recrutement dans les services secrets est présenté de manière beaucoup plus claire à un militaire qu'à un civil. Mais il faut préciser que ces propositions et opportunités se rencontrent beaucoup plus souvent dans les unités d'élite : commandos, parachutistes, etc. Sans parler du fait que la recrue qui parvient à être admise dans une unité militaire d'élite est souvent entrée du même coup dans les services secrets sans le savoir[76].Les choses sont assez différentes pour la recrue civile, car le mode opératoire des tests qu'on lui fait subir est bien noyé dans cette diversité d'opinions, de goûts et de modes de vie du monde civil,surtout si le contexte du recrutement est une grande ville, avec toutes les folies et les bizarreries auxquelles tous ses habitants sont quotidiennement confrontés.Tous les services secrets du monde placent des dénicheurs de talents et d'aptitudes particulières dans les universités et autres grandes écoles de leurs pays respectifs. 

Ceci est d'autant plus aisé que bien des professeurs sont également des spécialistes dans leurs domaines qui travaillent régulièrement pour les services secrets, ou seulement des recruteurs qui chassent le futur bon analyste ou quelque autre spécialiste ; tous ces gens sont à la bonne place pour le repérer dans une classe ou dans une promotion.Mais le mode opératoire du recrutement du jeune civil en milieu universitaire s'avère souvent désagréable pour lui, même lorsqu'il s'agit d'un recrutement amical. Car les services secrets, avec la complicité de quelques personnels de l'enseignement, sont prompts à placer quelques embûches sur le chemin scolaire de la jeune recrue, pour que celle-ci soit privée d'alternative au moment final de la proposition. Celui qui a obtenu son diplôme avec mention bien peut encore tenter de décliner l'offre qui lui est faite de disparaître dans l'ombre, et tenter sa chance dans son pays, ou dans un autre s'il réalise que toutes les portes se ferment inexplicablement devant lui (c'est fréquent dans un tel cas). Et encore, la fuite vers des cieux apparemment plus cléments est parfois précisément ce qu'attendaient les services secrets de leur recrue.D'une manière générale, quel que soit le mode opératoire du recrutement et le contexte dans lequel il est mis en place, tous les services secrets du monde usent de la même tactique : fermer toutes les issues et ne laisser (entre)ouverte que celle qu'ils veulent que la recrue franchisse d'elle-même.

Durant cette progression, du point de vue des services secrets, les choses peuvent bien ou mal sedérouler ; cela dépendra essentiellement du comportement de la recrue.Si la recrue est assez clairvoyante pour s'en apercevoir et décide de ne plus faire un pas, latactique a prévu que cette immobilité la mènera vers une asphyxie économique, puis sociale. Lesrecruteurs attendront alors patiemment le moment où l'instinct de survie de la recrue la contraindra àaccepter ce quelle aurait refusé lors de circonstances ordinaires - et de la patience, les servicessecrets en ont à revendre.Enfin, les services secrets renoncent très rarement à poursuivre le recrutement d'un individusimplement parce que celui-ci le refuse ; dans un tel cas, si l'« approche amicale » s'est avéréevaine, un « recrutement hostile » est entrepris - nous verrons bientôt, dans ce même chapitre, lesdifférences entre ces deux types de recrutement.Pour le futur employé en interne des services secrets, la phase qui précède immédiatement la findu recrutement se déroule fréquemment dans une annexe clandestine des services secrets ayant uneactivité de couverture quelconque. La recrue, qui croit avoir été embauchée par une entreprise ou unservice public tout à fait ordinaire, sera subtilement amenée à prendre peu à peu conscience de cetteréalité (à sa grande surprise, toujours).

On serait tenté de penser de ce dernier constat que les services secrets ne sont donc pas un refugedes intelligences les plus brillantes, que leurs personnels ne sont finalement pas plus clairvoyants queles « non-initiés ». Cette déduction correspond bien à une réalité, qui surprend parfois la fraîcherecrue. Car l'intelligence n'est pas la qualité première requise pour être recruté par les servicessecrets ; celle-ci n'est même pas un atout - il ne faut pas confondre intelligence et culture.C'est vrai, et c'est parce que, dans les faits, encore, les services secrets s'accommodent plus desintelligences supérieures qu'elles les apprécient sincèrement. Les services secrets, globalement,perçoivent leurs employés doués d'intelligence supérieure comme des « éléments difficiles àcontrôler », parce que difficiles à percer. En conséquence, ces derniers doivent être considéréscomme des « menaces potentielles », comme des individus ayant des capacités intellectuellescapables de déjouer ces indispensables contrôles qui sont le corollaire de tout service secret[77]. Ilen résulte que le processus de recrutement de l'individu ayant des capacités intellectuelles quis'inscrivent dans la « moyenne générale » est plus court, voire beaucoup plus court, que celui de larecrue ayant une intelligence au-dessus de la moyenne à très au-dessus de la moyenne. Car lerecrutement ne sera pas toujours effectif à l'issue d'une durée programmée, comme d'aucuns lecroient, mais bien à celle d'une parfaite connaissance de la recrue, et aussi de l'assurance d'uneparfaite emprise sur elle - les services secrets s'imposent tout de même des durées maximales deprocessus de recrutement.Le recrutement des analystes est affaire d'une observation discrète de la recrue (c. à d. à l'insu decelle-ci), puis de deux à trois années, environ, de tests divers qui s'achèvent sur un concoursadministratif ayant une apparence officielle et servant à formaliser une admission décidée à l'avance.

LE « RECRUTEMENT HOSTILE »

Lorsque les recruteurs reconnaissent leur impuissance à accéder à ces connaissance et emprise, il ne leur reste plus qu'à tenter d'affaiblir les défenses naturelles de la recrue, jusqu'à ce que celle-ci régresse psychologiquement à un niveau qui permettra de faire enfin s'achever le processus de recrutement. Nous entrons ici dans le recrutement hostile. Les étapes psychologiques d'une recrue suivant un choc psychologique qui lui est délibérément infligé, dans le contexte d'un recrutement hostile, sont représentées par le diagramme ci-dessous. D'autres services secrets font s'articuler le recrutement d'un agent en seulement trois étapes génériques :1. pousser la recrue à remettre en question la perception valorisante qu'elle a d'elle-même (amour propre) ;2. pousser la recrue à revoir complètement l'interprétation qu'elle fait de son itinéraire passé, et à revoir complètement la perception qu'elle a du monde qui l'entoure et de ses règles populairement admises, afin de lui en faire accepter de nouvelles ;3. faire se développer chez la recrue la conviction de sa dépendance complète de l'organisation qu'elle doit servir.

On le voit, cette description est finalement identique à celle du diagramme précédent, lequel ne fait quelque détaillé des étapes intermédiaires, plutôt du point de vue de la recrue.Le choc psychologique, qui est le véritable point de départ du recrutement hostile, peut être très bref et violent (l'exposition soudaine d'un détail relevant de la vie privée, qui rend le chantage évident), ou survenir très progressivement sous la forme d'une longue succession d'échecs et déportés qui se ferment, visant à persuader la recrue qu'elle « n'a pas d'avenir », quoiqu'elle puisse tenter pour y changer quelque chose.Celui qui s'est déjà bien engagé, délibérément, dans le processus de recrutement d'un service secret, puis qui réalise qu'il a commis une erreur et tente alors de reculer, pour fuir, sentira aussitôt la pression du « collier étrangleur » que l'on a délicatement placé autour de son cou sans même qu'il en ait eu conscience. Aucun de ses recruteurs, et moins encore leurs sbires, ne lui accordera la moindre miséricorde, ni même un peu de compassion ou de réconfort ; car eux qui n'en ont pas eu ne voient aucune bonne justice dans l'exception gratuite. 

C'est pourquoi, au contraire, ils riront de l'infortune de la recrue au moment où celle-ci réalisera qu'« elle s'est faite piéger », et sa peur ou son regret deviendra alors de l'amertume ou du désespoir (phénomène psychologique attendu du schadenfreude).Cet incident de parcours, lorsqu'il survient, marque souvent le passage du recrutement amical - qui en est rarement un, toutes choses bien considérées - au recrutement hostile. Aussi, le cynisme qui est présenté en réponse à la détresse est une manière de plus de faire comprendre à la recrue que personne ne compatit à son infortune ; cela fait partie du choc psychologique attendu.Mais le recrutement, cette période très éprouvante de la vie de certains employés des services secrets et aussi de celle de ses agents[78], doit également servir d'« avant-goût » de ce qui attend celui auquel l'idée viendrait de désobéir, de se révolter, de trahir, ou même simplement de manquer de respect à l'un de ses supérieurs. La recrue doit donc vivre son recrutement comme un traumatisme peuvent altérer la perception qu'elle a d'elle-même et aussi du monde qui l'entoure. Le recrutement vise, selon l'expression ordinairement employée par quelques services secrets, « à faire entrer la recrue dans le moule ».Il y a tout de même une nette différence entre le recrutement de l'agent clandestin et celui de l'employé ordinaire des services secrets, parce que le premier est appelé à être un clandestin, l'autre non.

Le second saura finalement qu'il est recruté par les services secrets de son pays, tandis que le premier aura une perception distordue de ce fait, caractérisée par une incertitude qui deviendra vite désagréable, car ce doute semble ne jamais devoir disparaître à mesure que le temps s'écoulait.Or l'être humain s'accommode mal du doute ; il finit par s'épuiser lorsqu'il doit vivre longtemps avec. L'amiral Pierre Lacoste, qui a été chef des services secrets de son pays, la DGSE, dit que « les agents s'usent comme des piles ».Le recrutement des clandestins, qui ne travailleront donc pas dans les locaux des services secrets,peut prendre jusqu'à cinq ans et plus ; c'est selon l'intelligence de la recrue et sa capacité à contourner les chausse-trappes qui sont posées le long de son parcours. Quoi qu'il en soit, tout sera fait pour pousser la recrue à trahir les quelques secrets qu'on lui révélera, et elle le fera, toujours.Deux raisons viennent justifier cette étrangeté :

1. la recrue doit être mise en contact avec l'un des ennemis du service secret qui la recrute « pour lui passer l'envie de recommencer », car n'étant porteuse d'aucun secret de valeur (du point de vue d'un service secret étranger), cet ennemi ne lui offrira, dans le meilleur des cas, qu'une situation pire encore que celle qu'elle a tenté de fuir, ou la renverra aussitôt dans son pays[79] ;

2. la recrue doit éprouver un fort sentiment de culpabilité à l'égard du service secret de son pays,pour lui être redevable, et non pas l'inverse, ainsi qu'elle l'espère, bien souvent ; une fois de retour dans son pays, elle devra donc s'acquitter d'une « dette » qui ne pourra jamais être réglée en totalité - la culpabilité est un puissant levier d'asservissement de l'individu[80].Voyons maintenant le recrutement de l'agent clandestin en particulier.Tout d'abord, il faut se garder de surestimer la part prise par la variété des circonstances, les unes absurdes, les autres bureaucratiques, dans la compréhension de la dimension psychologique du recrutement de l'agent secret. Car on peut la comparer au rite initiatique qui fait passer un individu de la vie normale à une double vie, l'une de façade et l'autre « underground ». Cette « intronisation »coûte chèrement à la recrue, car elle doit y perdre ce qui fait d'elle un être humain, sa volonté propre,pour devenir ce que l'on pourrait appeler une enveloppe corporelle sans âme. Et, ainsi que cela a été présenté à l'aide de l'analogie métaphorique du collier étrangleur, les recruteurs ne laissent aucune chance à la recrue de refuser ce qu'elle perçoit, tôt ou tard, comme une terrible fatalité qui s'abat sur elle.Le recrutement est vécu par la recrue comme une rupture traumatisante et définitive, césure radicale séparant ce qu'elle percevra comme deux mondes, l'un « réel », l'autre « virtuel ». 

Et tout est organisé pour qu'elle perçoive ainsi l'espace dans lequel elle évoluera quotidiennement. Voilà le contexte que les services secrets désirent pour leurs futurs agents, pour que puisse être mise en place cette relation particulière qu'est le contrôle d'un individu par un autre.La tromperie est formulée à la manière de l'aveu précédant la déception amoureuse, car le recrutement d'un agent implique le moment décisif où son recruteur retire son masque[81]. Toute L'ambiguïté du recrutement tient au tissage préalable d'une « toile » par le recruteur, afin de capturer et d'immobiliser sa recrue[82], version alternative de l'analogie de la souricière évoquée plus haut.D'une manière générale, l'interaction entre le recruteur et le recruté prend toujours la forme d'un chantage devant produire un échange de services inéquitable. D'un point de vue strictement juridique,cette approche peut être très claire parce que le recruté a commis la maladresse de s'être compromis.Cette progression dramatique est toujours soigneusement préparée par des experts légistes tels que des avocats, dont l'importance du rôle a été largement expliquée à l'un des chapitres précédents (voir L'avocat et le psychiatre, piliers des services secrets).

Car, sans en avoir conscience, la victime glisse lentement mais sûrement vers l'instant dramatique où elle sera contrainte d'accepter l'inacceptable. Le futur agent est amené à devenir un agent parce qu'il l'a déjà été sans en avoir eu conscience. La première demande de service, anodine en apparence, deviendra un acte compromettant, source d'un chantage.Car, il faut le préciser, un recrutement de ce type se déroule en deux phases :1. la première, lors de laquelle la recrue ne peut comprendre qu'elle est testée et que sa vie est littéralement décortiquée dans le but de faire d'elle un agent (à moins, bien sûr, d'avoir été préalablement initiée aux arcanes de ce processus pour pouvoir le deviner plus tôt) ;2. la seconde, lors de laquelle elle est définitivement considérée comme une recrue, et qu'elle s'est déjà suffisamment avancée vers le centre de la toile que l'on a tissée pour elle pour qu'il soit enfin possible pour le recruteur de se livrer à un jeu de non-dits, de métaphores improbables,d'allusions faites pour frapper l'esprit, mais qui ne devront être compris qu'ultérieurement. Bref, de toutes choses, jamais claires, qui doivent à la fois convaincre la recrue qu'elle se trouve au centre de« quelque chose qui la dépasse », et affaiblir autant que faire se peut sa capacité de discernement, et donc ses défenses.

Ce glissement de la recrue vers le chaos et l'incertitude plus ou moins conscient est important dupoint de vue du recruteur, parce qu'il stigmatise le paradoxe disant que s'il faut être reconnu commeun agent secret pour l'être réellement, il n'est cependant pas nécessaire de le savoir.Au contraire d'une relation politique clandestine, où l'enjeu n'est que l'adhésion dans des conditions de sûreté réciproque entre deux individus, le moment décisif du recrutement de l'agent se produit sous la forme d'une domination soudaine de l'un par l'autre par la compromission, selon un processus délibérément rendu flou afin que toute lecture logique soit quasiment impossible. Car cette compromission est bel et bien un chantage dans les faits, surtout au regard de la loi du monde des hommes libres, et le recruteur doit donc tout mettre en oeuvre pour que toute tentative de l'exposer publiquement (par la recrue, au premier chef) puisse aisément être démentie, puis se retourner à coup sûr contre l'accusateur[83].Voici maintenant quelques brefs exemples de ces subtils chantages, tirés de cas authentiques parmi les plus fréquents dans le contexte de l'intelligence domestique.Une jeune recrue fille a été placée dans une situation sociale et économique de grande précarité qui l'a menée à un état dépressif (grâce au concours de quelques services publics). 

Cette dépression a alors constitué une faiblesse qui a grandement aidé l'implication de cette jeune fille dans des relations sexuelles particulièrement dégradantes, qui furent filmées à son insu. La même chose se produit fréquemment avec des recrues mâles, à l'aide de vidéos de relations homosexuelles, puisque l'homme craint moins pour sa respectabilité d'être vu en compagnie de multiples partenaires femelles(c'est même bien souvent le contraire !).Un homme d'âge mûr, adepte du tourisme sexuel, a été filmé ou pris en flagrant délit en compagnie d'un ou d'une mineure ; au caractère dégradant de l'objet de la compromission est ici associée la menace d'une lourde sanction pénale.Un jeune étudiant a sincèrement cru se compromettre en se trouvant associé à un délit pénal grave ;il ignore que le délit en question ne fut qu'un simulacre spécialement organisé pour lui, avec la complicité d'agents et de contacts eux-mêmes manipulés par les services secrets. Celui-ci accepte le recrutement par peur d'une sanction qui n'existe que dans son imagination, et dont la vérité, bien sûr,ne lui sera jamais révélée.Une jeune recrue a accepté de se compromettre définitivement sous la menace de voir ses parents expulsés de leur logement et mis à la rue (les services secrets utilisent souvent un premier chantage de ce genre, concernant des proches, enfants et parents, pour forcer la recrue à se compromettre, ce qui constituera un deuxième motif de chantage, jugé plus sûr). 

Les objets de chantages les plus fréquemment utilisés par les recruteurs des services secrets sont : le sexe, les enfants, les frères et soeurs et les parents ou grands-parents, les délits de droit commun et les fraudes (aux allocations de chômage, de précarité, de santé...), l'emploi, les dettes (existantes ou provoquées dans le cadre du processus de recrutement).Le chantage des services secrets n'est jamais mis en place puis formulé par une seule personne,mais par deux, au minimum. Il y a la personne qui menace, toujours implicitement et de manière floue puisque le chantage est puni par la loi. Et il y a celle qui attend que la victime vienne spontanément lavoir, puis écouter ses suggestions, puisque c'est ce que le recruté, seul, devra comprendre. Un Chantage ainsi organisé est particulièrement difficile à démontrer dans un tribunal, et plus encore si savictime a été placée dans une situation préjudiciable à sa crédibilité[84].Les possibilités qui s'offrent à l'agent venant d'être recruté vont de l'inconscience du processus dans lequel il s'est engagé, à son corps défendant, au soupçon, à la pleine conscience. Le rapport de forces asymétrique dans la relation entre le recruteur et son agent, et ce choix d'états de conscience qui s'offre à ce dernier, débouchent obligatoirement sur une version sophistiquée d'une relation de maître à esclave[85].

Bon nombre de ces agents se voient offrir le mince soulagement psychologique de croire qu'ils jouent à un jeu ; plus particulièrement à un gigantesque jeu de rôles duquel ils ne sortiront jamais.Quelques-uns de ceux qui se trouvent dans ce cas finissent par y croire sincèrement, et délaissent alors des perceptions fantastiques de leur « nouveau moi » à défaut de ne pouvoir aimer plus longtemps ce qu'ils sont réellement devenus : des individus ayant définitivement perdu leur volonté propre[86].Il est d'ailleurs remarquable que les services secrets utilisent régulièrement, avec la participation de quelques-uns de leurs agents plus ou moins jeunes et ayant un profil psychologique adapté, le thème des jeux de rôle (donjons et dragons et dérivés) comme première approche d'un recrutement.Durant ce type particulier de recrutement, l'irréalité du jeu de rôle est progressivement mêlée, dans un flou que l'on pourrait qualifier d'artistique », à des actions réelles impliquant des personnes extérieures au jeu et qui en ignorent tout : les cibles désignées par les services secrets pour être espionnées ou harcelées.Les services secrets favorisent fréquemment un glissement psychologique de leurs agents vers le thème du jeu de rôle (en particulier dans les contextes des missions ordinaires d'intelligence domestique, de contre-influence et de contre-espionnage), parce que les modalités et règles de ce jeu,de même que les comportements ordinaires et extraordinaires de leurs plus fervents adeptes,présentent de grandes similitudes de forme avec le monde des agents secrets. 

Le monde virtuel du jeu de rôle peut étroitement cohabiter avec celui, réel, des gens ordinaires. Les joueurs de jeu de rôle peuvent facilement s'identifier aux personnages fictifs qu'ils ont créés pour eux-mêmes ou qu'un« maître de jeu » leur a attribués. Les joueurs de jeu de rôles forment généralement de petits cercles intimes, desquels émergent les notions abstraites d'« exclusivité », de secrets partagés, de groupe assez fermé pour justifier des attentes exigeantes et contraignantes pour ceux qui veulent s'y joindre(épreuves), de sentiment d'individualité et de « différence » par rapport au monde extérieur de ceux qui ignorent tout des jeux de rôle, et qui s'en retrouvent péjorativement perçus comme des « non initiés».Enfin, le jeu de rôle attend de ses participants qu'ils acceptent des « missions », des « gages », des« châtiments »...Le recrutement d'un agent peut également prendre la forme d'une contrainte par la force, pensée comme un « enlèvement »[87]. Dans cet autre cas, la mise en oeuvre du recrutement, longuement préparée, est basée sur une ruse devant dépasser les possibilités intellectuelles de l'individu ignorant des pratiques des services secrets ; toute volonté propre échappe à la recrue.L'ambivalence entre l'acte volontaire et le servage de l'agent est plus complexe et moins tranchée qu'elle ne le semble au premier abord. 

Dans la réalité, les deux situations fusionnent pour former une combinatoire spécifique propre à chaque relation entre le maître et son agent, et devant être comprise au cas par cas.Du point de vue du recruteur, le recrutement doit nécessairement s'apparenter à un engagement,volontaire ou forcé ; et peu importe, dans l'absolu, que celui-ci soit sincère ou non puisque, ainsi que nous l'avons vu, les services secrets ne croient pas à la fiabilité des seuls patriotisme et fidélité.C'est pourquoi le recrutement doit s'inscrire dans une pathologie psychologique engendrée par un milieu extrême fait de contraintes devant favoriser un véritable assujettissement.Remarquablement, tous les mécanismes psychologiques et de manipulation qui viennent d'être présentés reposent sur l'action de la recrue.LES TESTS La littérature consacrée au monde des services secrets, y compris celle de fiction, a fréquemment parlé de « tests » de recrutement. Dans le cas des recrues appelées à devenir des agents clandestins,tout particulièrement, il ne s'agit nullement de tests psychotechniques officiels et formels, tels qu'on en rencontre dans les concours administratifs et certaines grandes entreprises. 

Car ici, les tests sont,soit reconnaissables, mais présentés sous des prétextes divers et variés, soit effectués à l'insu de la recrue, grâce à la participation d'agents du service qui jouent des rôles auprès de celle-ci, et qui l'ont approchée bien avant qu'elle ait eue conscience du début de son recrutement. Ces tests sont très comparables à des mises en scène réalisées pour des émissions de télévision du genre « caméra cachée », et leur mise en place est lourde, parfois. L'engagement ou le patriotisme sont tout spécialement testés, puisque, dans ce cas, la recrue doit être motivée par un alibi connu, mais qui ne doit pas être celui de la raison d'État, réservé aux cadres - un agent ne peut ni ne doit servir au nom de la raison d'État, puisqu'il est un clandestin.Simultanément, la recrue est soumise à des pressions diverses, et plus spécialement à des pressions économiques et sociales visant à la détacher de sa vie et de ses relations « d'avant ». Ce Dernier aspect du recrutement de l'agent de terrain vise également à abattre ses défenses psychologiques une à une, et ses moyens de défense physiques (économiques, et donc de mouvement).Il faut amener le futur agent au bout de ses limites, à un état d'épuisement moral et physique qui devra permettre de lui faire pleinement accepter tous les aspects de sa future vie de clandestin des services secrets.

Du point de vue des psychiatres des services secrets, cette dure épreuve vise également à faire émerger chez la recrue de possibles troubles mentaux maintenus jusque-là à un état de latence. Par Exemple, un trouble psychopathique chez un individu est parfois difficile à détecter si celui-ci mène une vie normale et équilibrée (c. à d. il a un emploi stable, plaisant et bien rémunéré, une vie de famille et un bon logement). Mais un trouble de ce genre deviendra bien vite visible sitôt que ce même individu perdra tous ces avantages les uns après les autres ; il révélera sa véritable personnalité. Ces épreuves, et le phénomène de transformation qui les suit, concernent d'autres troubles psychologiques ; mais il permet également de faire tomber les apparences de sociabilité(rôle) que toute personne se construit pour évoluer dans la société des gens ordinaires et dans son milieu social d'appartenance, pour ne laisser de visible qu'un « noyau dur » qui est la personne telle qu'elle est vraiment au fond d'elle-même[88].Ce processus de recrutement est un dérivé, adapté à une situation de clandestinité obligatoire et au monde civil, des processus de sélection des hommes des unités militaires d'élite. 

Du point de vue du spécialiste de la psychologie, et plus particulièrement de la neuropsychologie et du behaviorisme[89], il s'agit bien plus d'un « lavage de cerveau » que d'une batterie de tests, et c'est,en effet, le but recherché par les spécialistes du recrutement des services secrets, parmi lesquels on trouve des psychiatres[90].Car il convient de garder à l'esprit qu'être un « agent de terrain » (clandestin) des services secrets n'est pas un « emploi » au sens où le grand public l'entend ordinairement, puisque la vie de celui-ci sera totalement mise sous contrôle, depuis ses revenus et logement jusqu'à ses relations - les persistances et détermination dans l'engagement évoquées plus haut s'avèrent fort utiles au moment où la recrue devra accepter ce lot.LA FORMATIONLa vie des employés et des agents des services secrets comprend bien sûr des formations et cours spécifiques. Cependant, les salles secrètes où des classes de recrues reçoivent au fil de journées entières et consécutives une formation complète d'espion, comprenant des initiations à la manipulation de divers gadgets, armes et explosifs et au cryptage de messages secrets, est un cliché de cinéma qui ne correspond à aucune réalité, dans aucun service secret, et ce pour les raisons qui suivent.Les services secrets l'enseignement à leurs employés et agents que ce dont ils ont, ou auront besoin dans le cadre strict des missions qui leur sont confiées ; nous avons précédemment évoqué ce point.

Pour ce qui concerne les agents clandestins devant être envoyés à l'étranger, ceux-ci, contre toute attente, ne reçoivent qu'une formation minimum, laquelle est dispensée de manière aussi informelle que possible et toujours à titre individuel, sous la forme de ce que l'on pourrait appeler, en exagérant un peu, de « petits modules de formation ». Une partie de cette formation, qui ne comporte aucun secret que d'autres services secrets ne connaîtraient pas, commencé d'ailleurs durant le processus de recrutement, bien avant que celui-ci soit achevé : des cours intensifs de self-défense, par exemple,qui sont, en vérité, autant destinés à achever d'user les ressources psychologiques de la recrue.De nos jours, les agents secrets reçoivent réellement leur formation dans les pays mêmes où ils sont envoyés, toujours en fonction de leurs besoins absolus, et de manière très discrète. C'est-à-dire qu'on ne leur apprend même pas à repérer une filature, et donc moins encore à la déjouer, au motif qu'un individu sous surveillance qui fait usage d'un parcours de sécurité dans le but de tenter de déjouer une filature confirmerait ainsi les éventuels soupçons qui pèsent sur lui[91]. Sinon, la surveillance ponctuelle et légère de ses mouvements et agissements deviendrait aussitôt une surveillance lourde, laquelle ne pourrait plus être déjouée du tout.

Dans son livre, DGSE : Service Action, l'agent des services secrets français Pierre Martinet Explique qu'il était si pauvre à un moment de son recrutement qu'il a dû se résigner à aller voler la nourriture dans des magasins. On peut croire à cette anecdote, mais pas complètement dans le contexte où son auteur la raconte. Car, en fait, le vol de marchandises dans des magasins fait bel et bien partie d'un entraînement informel d'agent secret visant à lui apprendre à gérer son stress à l'occasion d'un vol (qui pourra plus tard être celui d'un autre type de marchandises), à tenter de déjouer une surveillance humaine et vidéo, et aussi, pendant qu'on y est, à lui apprendre un moyen de survie en milieu urbain[92].Les cours de tirs, chers aux amateurs de films de James Bond, ne font pas partie de la plupart des formations, toutes spécialités confondues. Un agent secret n'a jamais besoin de se servir d'une arme à feu, même pour tuer, si jamais une telle chose doit arriver, puisque les services secrets ne tuent plus à l'aide d'armes à feu depuis à peu près la fin de la Seconde Guerre mondiale[93].

Les employés et agents des services qui sont censés utiliser les gadgets d'espions chers au cinéma sont les agents du contre-espionnage, car ils ont besoin de tous types de moyens sophistiqués pour surveiller les agissements des individus suspectés d'espionnage, ou connus comme des agents des services secrets étrangers avérés. En sus, ces autres agents apprennent des techniques de filatures à pied ou par des moyens de locomotion.Les analystes, qui travaillent toute leur vie durant dans un bureau, hormis quelques voyages d'études dans les pays auxquels ils se consacrent, reçoivent régulièrement des cours de géopolitique,d'économie et autres matières dans de véritables salles de cours, en effet. Idem pour les spécialistes chargés de la surveillance de l'Internet ; mais il s'agit plutôt, dans ce dernier cas, d'échanges de découvertes, de trucs et d'astuces entre employés, parmi lesquels on trouve couramment d'authentiques ex-hackers de haut niveau qui ont été contraints d'accepter de travailler pour les services secrets en échange de leur liberté ou d'une remise de peine[94].

Le contrôle des sources et descorrespondants, et leur manipulation.

Jusqu'à présent, nous n'avons fait qu entrevoir l'importance des sources et des correspondants divers des services secrets, en regard de l'importance de leurs rôles, collectivement, et de leur nombre et diversité très importants. Rappelons tout d'abord que les sources et les correspondants d'un service secret sont, dans une très large majorité de cas, des « agents secrets ponctuels »,totalement ou plus ou moins inconscients de l'être. On peut dire que les sources et les correspondants sont aux services secrets ce que les « indics » et les « amis » sont aux services de police et de gendarmerie, exception faite de la forme que doit prendre la relation. Et, lorsque s'agissant d'intelligence domestique plutôt que d'espionnage à l'étranger, ces sources et ces indics, ces correspondants et ces amis, sont très souvent les mêmes personnes, puisque, dans ce cas, les services de police et de gendarmerie font techniquement partie de la communauté du renseignement(admis officiellement en interne, démenti officiellement auprès de l'opinion publique).Au plus simple, et dans les deux cas de l'espionnage domestique et de l'espionnage à l'étranger, la source des services secrets est une personne ordinaire pouvant appartenir à n'importe quel milieu social et économique, qui confie à un(e) ami(e) un événement jugé extra-ordinaire au simple motif arbitraire que celui-ci est perçu comme « négatif », « contestable », « amoral », « répréhensible »,« entaché d'illégalité »... 

Cet évènement peut donc être un vol, une mort jugée suspecte, une forte suspicion de délit quelconque... En suite de ce premier acte, l'ami de cette source doit être un contact, un correspondant ou un agent des services secrets, qui aura filtré l'événement transmis de manière informelle pour que celui-ci puisse être reçu comme un renseignement.Une grande part de hasard intervient donc dans la transformation d'un individu ordinaire en source des services secrets ; et il faut ajouter à ce phénomène la possibilité que le contact de la source puisse être un agent ou un correspondant d'un service secret étranger (ou d'une organisation terroriste, d'un groupe politique extrémiste, etc.).C'est donc en fonction de ce dernier hasard qu'un individu ordinaire peut, sans le savoir : soit rester un petit mouchard, soit devenir une source d'un service secret étranger.La proportion de sources dans le cas de l'espionnage à l'étranger ne varie pas considérablement dans le temps. Il y a, proportionnellement à la population, le même nombre de sources renseignant un pays étranger dans un pays donné aujourd'hui qu'il y a cinquante ans.

Cependant, il existe tout de même des facteurs qui font varier cette proportion, à commencer parles changements politiques survenus dans chaque pays durant ces cinquante dernières années. Tel Pays peut considérablement étoffer les moyens de son intelligence domestique, ce qui complique sérieusement la tâche des agents étrangers qui y collectent de l'information, ou y font de l'influence,tandis que tel autre peut juger ne pas en avoir besoin, et ainsi être plus perméable à ce type d'agressions extérieure. Le moyen le plus évident de créer un réseau de contacts dans un pays étranger est d'y créer un mouvement de dissidence ou un parti politique, ou d'y implanter des filiales d'entreprises privées (ou, plus fréquemment, une association) - ce qui explique pourquoi les entreprises privées étrangères sont si surveillées par les services de contre-espionnage.Nous pouvons arbitrairement parler de pays ouverts et de pays fermés, et effectuer un premier classement grossier selon ce genre de considération. Un assez bon indice permettant de porter un premier jugement sur le développement ou la régression de l'espionnage domestique par pays, est de consulter le classement mondial des indices de la liberté de la presse. 

Car le corollaire d'une croissance de l'espionnage domestique est une régression quasi proportionnelle de la liberté de sa presse. Les journalistes sont fréquemment des correspondants ou des contacts des services secrets de leurs pays, mais ils sont toujours prompts, cependant, à reprendre leur indépendance sitôt qu'on laleur rend.Cependant, l'indice de liberté de la presse ne doit pas être considéré comme une preuve, car ceux qui jaugent cette liberté s'astreignent eux-mêmes à ce que l'on pourrait pudiquement qualifié de retenue. Il ne gêne pas grand monde de dire que la liberté de la presse en Corée du Nord est inexistante ; il peut être plus délicat de révéler qu'elle a sérieusement régressé dans une puissance économique de premier ordre réputée démocratique - y compris pour l'auteur de ce livre ! En outre,lorsque la majorité d'une population est influencée avec succès par une presse sous contrôle (ce qui arrive fréquemment, mais jamais durablement), cette dernière est la première à dire que sa presse est,globalement, libre, et du même coup à contester un indice de liberté de la presse jugé bas.Une augmentation élevée de l'espionnage domestique est presque toujours proportionnelle à l'impopularité grandissante d'un gouvernement ou d'un leader politique, ou à une instabilité sociale et économique croissante. 

D'un autre côté, plus ces derniers problèmes grandissent, et plus l'espionnage domestique devient difficile à pratiquer, car la population en vient à le surveiller à son tour, et à dénoncer ses agents et ses pratiques - ce cercle vicieux mène ultimement à une répression policière et à un État despotique. Et, ainsi que l'actualité nous le rapporte régulièrement, lorsque l'état de crise dans un pays atteint son paroxysme, seuil qui précède de peu la révolte populaire ou la guerre civile, la population se livre alors à une véritable chasse aux indics, informateurs et agents des services secrets du pays ; c'est-à-dire tous ceux dont la raison d'être était justement de prévenir ce risque.D'une manière générale, on constate, dans tous les pays et dans toutes les cultures, qu'une obsession grandissante du secret dans un gouvernement engendre toujours une obsession proportionnellement grandissante de la conspiration parmi la population. C'est lorsque ce phénomène se produit que le gouvernement détourne l'attention de la population vers un bouc émissaire, lequel est toujours un pays étranger.L'indicateur le plus fiable de l'importance de l'espionnage domestique dans un pays jugé « à peu près stable », lequel ne fait l'objet d'aucun indice rendu public, est une observation suivie d'une analyse des opinions et préférences de sa population[95].

Par exemple, une large diversité d'opinion et de préférences de la population témoigne presque toujours d'un espionnage domestique « minimum » ou « normal » - puisque tous les services secrets de tous les pays pratiquent l'espionnage domestique, pour les évidentes raisons des stabilité intérieure et défense contre les inévitables tentatives d'invasion étrangères discrètes et progressives,lesquelles procéderaient, à terme, si rien n'est fait, une véritable ingérence étrangère.Le contraire, on s'en doute, témoigne très souvent d'un espionnage domestique particulièrement actif et important, qui n'est pas toujours confirmé dans les mêmes proportions par l'indice de liberté de la presse, en raison de ce qui a été expliqué plus avant à ce propos.Citons un dernier facteur, et non des moindres, qui influence l'importance que les services secrets accordent à leur action d'espionnage domestique, et la perception que peut subséquemment en avoir la population d'un pays : la santé économique. Un pays économiquement fort, où le taux de chômage est faible et où les revenus moyens sont relativement élevés et garantissent ainsi à une large majorité de la population un bon accès au logement et aux biens et services divers, peut se permettre de pratiquer un espionnage domestique assez important sans que la population s'en indigne où se sent opprimée. 

Et même, dans de telles sociétés, c'est une majorité de la population qui se déclare prête à collaborer régulièrement avec la police.Globalement, et universellement à travers le monde, on peut dire qu'une population donnée accepte d'être espionnée par son propre gouvernement en proportion de la qualité de vie que ce dernier peut lui garantir. Ce constat est remarquablement similaire au « concept d'engagement » défini par le sociologue américain Howard Becker[96]. Le concept d'engagement d'Howard Becker explique, en gros, que l'individu socialement intégré dans son pays, et qui jouit pleinement de la plupart des droits ordinairement accordés à la majorité des membres de la population, ne voit aucune raison de ne passe soumettre aux lois et réglementations diverses qui lui sont imposées. Et il y a une réciproque dans le concept d'engagement sur laquelle Howard Becker insiste, disant que l'individu qui ne jouit pas de tous ces avantages n'a aucune raison logique de se soumettre pleinement à ses lois et réglementations en échange (indépendamment des jugements d'ordres moraux et éthiques) ; le contraire témoignerait d'une évidente irrationalité, ajoute Howard Becker, ou d'une répression policière particulièrement sévère ordonnée par un gouvernement autoritaire et despotique.

Dans de nombreux pays, y compris certains considérés comme démocratiques, les sources et les correspondants, premiers collaborateurs de l'espionnage domestique, peuvent devenir de véritables agents des services secrets, inconscients et pourtant tout à fait volontaires, non soumis aux conditions de recrutement et d'existence qui ont été décrites en détail au chapitre précédent. Il est d'ailleurs difficile de trouver un nom pour cette sorte d'agents qui n'en sont pas, et qui ne sont pas des sources des contacts au sens où nous l'avons entendu jusqu'à présent.Tout d'abord, ces agents/sources le sont devenus volontairement et spontanément, sans qu'aucun recrutement ni aucune influence des services secrets n'aient eu lieu. Mais ils ont tout de même un profil commun, à la base : ils se sont fortement engagés idéologiquement pour une cause, ou dans un« patriotisme extrémiste ». En raison de cet engagement, et de l'adhésion à un groupe, simultanément,ils ont été repérés grâce au « maillage » de l'espionnage domestique, lequel surveille particulièrement les émergences et activités de tout rassemblement politique/idéologique, religieux...

Après ce repérage, suivi d'une observation/évaluation, une communauté du renseignement moderne choisit entre trois options :1. continuer à observer le rassemblement afin de savoir s'il va s'éteindre rapidement comme un feu de paille (cas le plus fréquent), ou s'il a un leader possédant les charisme et détermination nécessaires pour le faire durer et, éventuellement, se développer ;2. aider discrètement le rassemblement s'il peut servir les objectifs courants de l'action influence domestique (ou de contre-influence) ;3. nuire discrètement au rassemblement, dans le cas où il est lui-même susceptible de nuire auxobjectifs courants de l'intelligence domestique.La communauté du renseignement, et les services secrets plus particulièrement, peuvent aider un rassemblement pour deux possibles raisons :a. les objectifs de ce rassemblement sont « positifs » et en phase avec ceux des services secrets(action de propagande blanche), et celui-ci peut être manipulé ;b. les objectifs de ce rassemblement sont « négatifs », mais peuvent aider les services secrets à atteindre des objectifs qui peuvent être : une action de propagande noire visant à discréditer une idéologie ou un courant d'idées similaires dans le pays, ou à attirer des individus pour l'instant isolés, et donc difficiles à repérer et identifier, que l'on souhaite connaître et contrôler parce que leurs opinions sont jugées dangereuses.

Voici un exemple fictif correspondant au cas 2a :Un groupe d'étudiants, animé par le parent de l'un de ceux-ci, veut sensibiliser les autres étudiants,restés passifs jusque-là, au problème des jeunes qui se prostituent pour payer leurs frais d'études et de logement.L'action du groupe est consistante et persistante dans le temps, en grande partie grâce à la détermination de son leader, un adulte. Les services secrets ont justement, dans leurs priorités du moment, une mission de lancement d'une action de propagande blanche visant à préparer l'opinion publique à une prochaine proposition de loi visant à sanctionner lourdement l'encouragement à la prostitution chez les jeunes.Les services secrets vont donc discrètement aider ce groupe, en demandant à quelques-uns de leurs contacts réguliers qui sont journalistes d'aller à sa rencontre, puis de lui consacrer un large espace médiatique (auparavant, très certainement, les services secrets auraient cherché à repérer un de ces jeunes militants qui ait assez de charisme pour prendre la place du parent d'élève, initiateur du mouvement, parce que cela aura plus d'impact auprès de l'opinion publique).

Cette première action médiatique sera reprise par les media en ligne (journaux, blogs, forums,réseaux sociaux) qui feront ainsi caisse de résonnance[97], afin que d'autres gens, dans tout le territoire, viennent grossir ce qui devra ultérieurement devenir un petit mouvement national.Après quoi, un groupe de députés ou de sénateurs déclarera officiellement, par la voix des média,être touché par l'appel du public pour des sanctions contre l'incitation passive ou active à la prostitution des jeunes étudiant(e)s, et présentera le projet de loi qui avait déjà été préparé depuis plusieurs mois.Voici maintenant un exemple fictif inspiré d'un fait qui s'est réellement produit, correspondant à la première possibilité du cas 2b :Un groupe d'étudiants se réclamant de l'idéologie libertarianisme[98] fait du prosélytisme dans une université. L'action du groupe est consistante et persistante dans le temps, en grande partie grâce à la détermination de son leader, un étudiant.Les services secrets vont longuement observer le groupe et même l'étudier, prendre ses membres en photo et les filmer, et surtout, repérer parmi eux ceux qui sont les plus virulents et/ou les plus influents. Durant ce travail d'investigation, ils vont également chercher à savoir qui sont les personnalités politiques actuelles qui, selon eux, ont des opinions ou un programme politique qui se rapprochent le plus des leurs. 

Car cet exemple se produisant dans un pays où l'idéologie dominante est à gauche du spectre des idées politiques, les services secrets connaissent déjà la personnalité qu'ils veulent entendre nommer par l'un de ces jeunes ; il s'agit du leader d'un parti prônant un libéralisme inspiré par le philosophe John Locke, ainsi qu'une réduction globale de diverses taxes et charges sociales.Lorsque ces préliminaires à l'action de propagande noire sont achevés, un contact des services secrets, qui est responsable d'une émission télévisée ayant pour thème les grands faits d'actualité, est briefé sur le groupe de jeunes libertariens. Les services secrets fournissent à ce contact des informations et des recommandations précises.Le contact envoie ensuite un cameraman et un journaliste reporter à la rencontre du groupe. Le Groupe est filmé durant une de ses manifestations, et beaucoup de ses membres sont interviewés. Le Groupe se montre ravi d'attirer l'attention des média télévisés, et il est, bien sûr, particulièrement enthousiaste.Après quoi, certaines prises de vues et interviews sont sélectionnées durant le montage de ce qui sera présenté comme le reportage, avec une introduction, un développement, et une conclusion. Lavoix off du reportage est choisie grave, dramatique, avec une pointe de cynisme au moment de commenter certaines images plus frappantes que d'autres. 

Les séquences montrant la manifestation du groupe insistent sur les militants les plus agressifs, et sur d'autres qui ne sont pas à leur avantage(l'un d'eux à une canette de bière à la main et semble bien éméché, un autre porte un tee-shirt noir à l'emblème de la tête de mort des pirates). Ce sont les interviews des militants les plus maladroits, et une autre lors de laquelle le nom du leader du parti libéral est cité, qui sont sélectionnées.Le reportage est diffusé une semaine plus tard, à son heure habituelle de programmation sur une grande chaîne nationale ; c'est-à-dire à une heure de grande écoute. Il montre une image bien peu flatteuse du petit groupe, présenté comme la manifestation visible d'une inquiétante tendance qui apparaît dans quelques grandes villes du pays depuis quelque temps. Le leader du parti libéral y est associé, grâce à l'interview d'un des jeunes libertariens qui cite son nom.Cet amalgame fabriqué est repris par quelques quotidiens et hebdomadaires imprimés, et sur Internet (journaux, blogs, forums, réseaux sociaux), lesquels font caisse de résonance et alarmant ainsi l'opinion publique à propos d'un « mouvement idéologique absurde inspiré par le leader du parti libéral » ; ce dernier est discrédité pour quelque temps, et plus encore le groupe de jeunes libertariens qui se dissout aussitôt de lui-même. 

Certains services secrets nomment ce genre d'opérations une diabolisation (c. à d. faire percevoir un individu ou un groupe d'individus, une entreprise ou tout un pays, comme un « diable » par l'opinion publique ; connotation négative).Enfin, voici un exemple fictif inspiré d'un fait qui s'est réellement produit, correspondant à la seconde possibilité du cas 2b :Nous partons du même cas de ce groupe de jeunes libertariens, mais, cette fois, les services secrets ont donné pour instruction qu'il soit présenté de manière neutre dans la même émission télévisée.Cette couverture médiatique a valu au groupe la venue spontanée de nouveaux membres depuis tout le territoire. Parmi ces nouveaux venus, il y a eu deux agents des services secrets dirigés par un officier traitant, lesquels se sont anonymement fondus dans la masse de cet afflux. L'un excelle dans la réalisation de sites Web, et il a spontanément proposé au groupe politique ses services à titre gracieux, au nom de son engagement et de sa solidarité avec les idées de jeunes libertariens. Sa Mission pour les services secrets sera d'aider la communication du groupe, mais aussi de subtilement l'orienter. C'est pourquoi il propose la création d'un forum en ligne, dont le but sera d'attirer et d'accueillir autant de sympathisants que possible.L'autre est responsable d'une petite maison d'édition qui s'est faite connaître pour son engagement politique à droite du spectre politique, même si quelques-uns de ses clients lui reprochent tout de même de ne toujours pas avoir fait traduire dans la langue du pays, et éditer, des ouvrages considérés comme des fondamentaux dans les pays où les idées de droite sont dominantes - et pour cause puisqu'il est manipulé ou sous contrôle par les spécialistes des services secrets chargés de la contre-influence[99]. 

Jusqu'à présent, ce responsable l'a toujours justifié en arguant du coût de la traduction d'un livre, très élevé, en sus des frais d'impression, de promotion et de diffusions, que les ventes ne parviendraient peut-être pas à couvrir. Cet éditeur, sur instruction de son contact auprès des services secrets, propose au leader du groupe de jeunes libertariens de publier sa vision pour le pays, et son programme politique, ce qui fera se matérialiser son existence. Les services secrets ont prévu que ce livre, une fois imprimé, sera vendu dans quelques librairies connues pour leur engagement politique à droite, et même à l'extrême droite du spectre politique[100], même si les libertariens n'ont rien à voir avec les nationaux-socialistes et les fascistes. Car il est prévu que cet amalgame permettra de diaboliser le groupe libertarien, et ainsi de stopper son expansion si jamais celle-ci venait à se produire.L'ensemble des actions que nous venons de présenter participe d'un type d'opérations d'espionnage domestique que les services secrets qui en sont ordinairement chargés nomment un noyautage (infiltration d'un petit groupe politique naissant par un ou plusieurs agents des services secrets afin de le contrôler, de l'intoxiquer avec de fausses informations présentées comme« secrètes », ou, plus simplement, de surveiller ses activités). 

La suite de cette opération consistera à conférer au groupe libertarien, une fois que son contrôle sera parfaitement maîtrisé, une autorité nationale « reconnue » de la pensée libertarienne, et ainsi ne pas laisser cette place libre à d'éventuels services secrets étrangers qui pourraient en faire une promotion consistante et bien réelle pour servir leurs propres besoins.Peu à peu et par la suite, les membres sincères du groupe seront manipulés dans le but d'en faire des militants « modérés », et, éventuellement, d'autres contacts, correspondants ou agents, viendront occuper des positions dominantes.Ces trois derniers exemples d'opérations de création de groupes d'influence, ou de noyautage de ceux qui sont nés spontanément sans intervention extérieure, entrent dans le cadre de la mission d'intelligence domestique courante de nombreux services secrets depuis maintenant deux cents ans,environ. La Russie, qui en est historiquement un adepte régulier, l'a même étendue à la religion dominante de sa population, l'Église orthodoxe, depuis très longtemps[101].D'une manière générale, la surveillance étroite des religions et des lieux de culte est fréquemment pratiquée dans de nombreux pays, ce qui implique la participation active de sources, contacts et agents spécialisés. On le devine aisément, certaines religions, leurs groupes d'adeptes et lieux de culte sont plus étroitement surveillés dans certains pays[102] ; faisons un petit aparté à ce chapitre pour rappeler pourquoi :

1. la relation entre la religion et la politique est historiquement forte et étroite, et il est courant quedes prêtres, pasteurs, imams, rabbins et autres usent de leur position privilégiée pour diffuser des idées et défendre des opinions qui contredisent le courant politique/idéologique choisi par l'élite politique du pays ;

2. à l'inverse, certaines religions jouent un rôle de support, voire de véritable pilier du courant politique/idéologique de certains pays. Celles-ci sont parfois utilisées par des services secrets dans le cadre de missions d'influence des masses dans des pays qu'ils souhaitent conquérir, ou dans lesquels ils souhaitent installer un puissant lobby (cet usage de la religion à des fins de conquêtes territoriales est vieux comme le monde, et les exemples historiques qui pourraient être cités ici sont innombrables ; le lecteur en a appris quelques-uns à l'école) ;

3. les services secrets utilisent fréquemment, et depuis fort longtemps, des agents se présentantcomme des prêtres, pasteurs, imams et autres dans des pays étrangers, parce qu'ils font, sous cettecouverture, d'excellents espions et agents d'influence[103].D'une manière générale, dans les pays où l'intelligence domestique est anormalement importante,les services secrets recrutent massivement contacts, correspondants, agents et personnels sous couvertures dans le but d'avoir un regard quasi permanent sur tout ce qui est susceptible de favoriser ou d'abriter d'éventuelles activités d'espionnage de toutes sortes. Ces pays se présentent alors, au regard de l'observateur averti, comme de véritables États policiers dont les citoyens ont quasiment tous les mêmes opinions, et sont tous des petits mouchards en puissance. Typiquement, les cadres des services secrets de ces pays se sont laissés emporter dans une spirale infernale de l'espionnite », et cherchent à faire de la nation un « État garnison » dont chaque représentant doit se percevoir comme un assiégé.

Mais un second examen révèle fréquemment, dans des cas de ce genre, que cet état d'esprit est délibérément créé de toutes pièces pour canaliser les griefs et les mécontentements de la population vers un pays étranger, présenté comme « l'agresseur puissant et sournois, cause de tous les maux du pays ». Cette astuce d'influence domestique, dite du « bouc émissaire », permet de préserver (au moins le temps de trouver d'autres solutions) les autorité et crédit de l'élite dirigeante du pays, et de maintenir un semblant de cohésion sociale stimulée par une forte revendication identitaire de façade.Cependant, le recours à de telles techniques d'intelligence domestique ne conduit la population,dans les faits, qu'à un état collectif de crainte et de paranoïa qui, à son tour, paralyse l'initiative en toutes choses et place ainsi le pays dans une situation de régression sociale et de récession économique. Dans un tel cas, les sources et les contacts des services secrets sont plus fréquemment sollicités, et deviennent peu à peu de véritables agents officieusement et arbitrairement investis de pouvoirs sur le reste de la population - pouvoirs arbitraires aux motifs fluctuants qui ne sont justifiés par aucun décret ni aucune loi recevable. En marge des lois et décrets officiels apparaît alors une « loi de l'implicite » que tout le monde est « censé connaître », mais que personne ne peut contester ni remettre en question, puisqu'elle n'existe pas.

La manipulation des individus.

Nous avons déjà largement vu, arrivés à ce chapitre, comment les services secrets manipulent leurs propres ressources humaines - puisque, d'une manière générale dans presque tous les pays, et à la fin de pouvoir nier à tout moment leur implication dans une action clandestine accidentellement exposée à la connaissance de l'opinion publique, ils ne sollicitent jamais personne clairement et en leur nom ou en celui de l'État, même verbalement. C'est pourquoi ce chapitre ne traite que de la manipulation d'individus « ordinaires » par les services secrets, c'est-à-dire de gens qui n'ont jamais consciemment eu quelque relation que ce soit avec eux, et qui ne sont pas appelés à devenir desagents.Précisons également que toutes les méthodes possibles de manipulation ne pourraient être présentées et expliquées dans un chapitre de livre, ni même dans un livre entier. Passé quelques règles et méthodes de base, la manipulation d'un individu procède d'une infinie variété de facteurs,caractéristiques et besoins ; c'est selon les intelligence, croyances, milieu culturel et social et profil psychologique de celui qui doit être manipulé, puis du contexte dans lequel la manipulation doit prendre place, puis des moyens techniques et humains qui peuvent être mis en oeuvre pour ce faire.

La manipulation est l'un des tout premiers enseignements que reçoit la jeune recrue des services secrets, enseignement informel dispensé sur le terrain par la démonstration pratique, qui n'est soutenu par aucun complément théorique écrit, comme presque tous les autres. À l'occasion d'un trajet effectué dans une rame de métro, par exemple, on montre à la recrue que le fait de bâiller provoque aussitôt le bâillement d'autres voyageurs ; la recrue s'émerveille de ce qui vient de lui être présenté comme « un truc amusant et curieux », et brûle alors d'en apprendre d'autres ; elle est aussi en train d'être manipulée, mais cela, on ne le lui expliquera pas, puisque les services secrets veillent toujours à conserver une bonne longueur d'avance sur ses employés, à quelques inévitables exceptions près.Les agents des services secrets ne manipulent donc pas scientifiquement, mais en usant d'une palette de ce qu'ils perçoivent comme des « trucs et des astuces », qui viennent compléter ce que la vie normale leur a déjà appris.Les officiers traitants, eux, ont souvent (mais pas toujours) reçu un enseignement plus complet,supporté par une présentation théorique scientifique sommaire qui porte sur les vulnérabilités psychologiques de l'être humain ; beaucoup savent qui sont Stanley Milgram, Jean Rivolier, Henri Laborit, Gustave Lebon et d'autres. 

Rares sont ceux qui sont allés jusqu'à se documenter sur la théorie des jeux, mais ils en ont appris quelques notions sans le savoir, de manière empirique (dans un pays ouest-européen, les services secrets, et aussi quelques sectes, usent de pseudo-sciences telles que la « sophrologie » [en milieu maçonnique] ou la « programmation neuro-linguistique [PNL] », en sus de cours sur la pratique des sophismes, comme prétextes à l'enseignement de véritables techniques de manipulation, comme pour manipuler des individus). Et lorsque celui qu'un officier traitant pleinement formé tente de manipuler se montre déroutant ou peu réceptif, ce dernier s'adresse alors à ses collègues les psychiatres.Car il est de la plus haute importance pour le manipulateur de garder à l'esprit que la manipulation est une tromperie de l'entendement humain. Ensuite, il doit savoir que cette tromperie peut impliquer des conséquences susceptibles de varier grandement d'un individu à un autre ; cela dépend d'une large variété de facteurs, depuis l'origine culturelle à l'éducation, en passant par le vécu et les traumatismes. De deux individus trompés exactement de la même manière, l'un prendra le parti d'en rire, l'autre mettra fin à ses jours ; voilà la règle de base que doivent garder à l'esprit tous ces manipulateurs.

Lorsque les services secrets sont les auteurs d'une manipulation, il s'agit bien plus souvent d'une tromperie purement « intellectuelle » que franchement criminelle et intéressée, même si ses conséquences pour celui qui en est la victime peuvent être graves, voire dramatiques. Car la manipulation d'un individu par les services secrets, typiquement, ne vise qu'à altérer la perception que celui-ci peut avoir d'une chose, d'un événement, d'une attitude, d'un mot ou d'une phrase ; c'est pourquoi la maîtrise des sophismes, base de la formulation des visées formelles, est une discipline importante des services secrets. Le but de la manipulation est d'inciter celui qui en est la victime à agir selon le but recherché de son auteur. Les buts de la manipulation par un service secret peuvent être nombreux ; cependant, on en trouve deux qui reviennent constamment :1. faire croire à l'autre que l'on est ce que l'on n'est pas en réalité, et l'inverse ;2. faire faire à l'autre ce qu'il ne ferait pas si on ne le trompait pas.En effet, tous les employés et tous les agents de tous les services secrets du monde passent leurs vies entières, heure après heure et jour après jour à s'efforcer de faire croire qu'ils n'ont rien à voir avec les services secrets ; c'est une première manipulation qu'ils dirigent contre chaque personne qu'ils sont amenés à rencontrer, et dont les effets peuvent être nuls à considérables selon les circonstances et les individus.

Presque tous les employés, et tous les agents de tous les services secrets du monde sont régulièrement amenés à influencer les choix d'un individu, sans que celui-ci ne puisse s'en apercevoir. Ce qui, remarquablement, nous ramène au premier des deux buts qui viennent d'être présentés, puisque dès lors que cet individu se trouve incapable de réaliser qu'il a été influencé dans son choix, il ne peut donc pas reconnaître l'auteur de cette influence.Tous les individus sont vulnérables à la manipulation, y compris les plus intelligents d'entre nous,y compris les esprits les plus rodés aux techniques de manipulation[104].La première vulnérabilité qui attaquent, typiquement, les services secrets chez l'individu qu'ils veulent manipuler est l'action. L'Homme (présenté ici en tant que race animale) est doté de ce que les scientifiques appellent un système nerveux central, c'est-à-dire l'ensemble comprenant le cerveau et la moelle épinière. Et, au gré de l'évolution de l'Homme, depuis le primate à l'homo sapiens, ce système nerveux central s'est développé pour devenir de plus en plus complexe, pour agir, en actions physiques tout d'abord : se nourrir et être capable de faire se déplacer l'enveloppe corporelle qu'il commande pour trouver cette nourriture dont il a besoin pour maintenir son organisme en vie, pour se défendre contre les agressions et ainsi survivre individuellement, puis pour copuler afin de préserver son espèce. 

Toutes ces actions ne sont pas le fait de réflexions logiques, mais de pulsions, ce qu'il est important de garder à l'esprit puisque l'immense majorité des êtres humains maîtrise assez mal ses pulsions (cela veut bien dire qu'il existe des exceptions ;nous y reviendrons).La bonne connaissance des faits élémentaires qui viennent d'être présentés est déjà suffisante pour savoir comment manipuler l'Homme, en utilisant quels « leviers » et quels moyens correspondants.Voici un exemple simple le démontrant.Puisque l'Homme a besoin de se nourrir, et qu'il va nécessairement devoir agir pour satisfaire ce besoin - avec d'autant plus de vivacité et d'impulsivité que son organisme aura besoin de cette nourriture -, il est possible d'inclure dans l'action qui lui sera nécessaire pour satisfaire ce besoin élémentaire une étape intermédiaire qui participera de sa manipulation. Nous voici à nouveau en plein schéma pavlovien.À partir de là, le manipulateur devra définir ce que doit être cette étape intermédiaire en fonction du contexte dans lequel la manipulation doit prendre place, et, bien sûr, de ce qu'il en attend.Par exemple, l'étape intermédiaire peut être le besoin de se procurer de l'argent pour acquérir cette nourriture. Or, si le manipulateur a quelques puissantes complicités, il aura pu priver d'argent celui qui en a besoin pour manger, afin de pouvoir intervenir auprès de ce dernier pour lui offrir cet argent en échange d'un service, certes simple, mais compromettant (clairement ou pas, peu importe).Si l'individu qui a besoin de cette nourriture accepte de passer par cette étape intermédiaire pour l'obtenir - et il acceptera, car, sinon, il sait qu'il mourra - il aura alors été manipulé, doublement même, s'il n'a pas été informé que l'étape intermédiaire dont il a dû s'affranchir s'avérera être compromettante, et servira un chantage (il a dû livrer un paquet dont le contenu est de nature illégale,par exemple).À ce stade de ce chapitre, nous n'avons fait que présenter les pulsions du cerveau de l'Homme, or ce cerveau-là est également capable de développer d'autres besoins plus complexes, « accessoires ».

De plus, en raison même de sa complexité, le cerveau humain est sujet à des anomalies de fonctionnement plus ou moins importantes, que les psychiatres nomment « dépendances »,« névroses », « troubles », « perversions », « manies », lesquels sont hautement susceptibles d'être utilisés comme leviers d'une manipulation.Voici maintenant un exemple encore plus simple de manipulation, qui n'exploite pas l'une des pulsions (innées) de l'Homme, mais son conditionnement lorsqu'il était enfant (acquis), que le lecteur pourra facilement expérimenter lui-même.Sortez des toilettes d'un restaurant en ayant laissé le robinet d'un des lavabos grand ouvert. La Prochaine personne qui entrera dans ces toilettes prendra certainement la peine de refermer le robinet, même si elle a pourtant utilisé un autre lavabo. Cette expérience fonctionnera dans de nombreux autres cas, tels que portes de placards laissées grandes ouvertes, portefeuille vide intentionnellement abandonné sur un trottoir, etc. Le « coup du portefeuille », par exemple, pourra permettre d'adresser un message ou une menace à celui qui le ramassera, s'il est su qu'il emprunter ce chemin ; impossible alors pour ce dernier de prétendre que ce message lui était personnellement adressé !Les services secrets américains ont grossièrement englobés tous les leviers permettant de manipuler un individu dans quatre grandes catégories génériques, que leurs officiers traitants (case officers) apprennent sous la forme mnémotechnique de l'acronyme MICE (souris, en français), qui veut dire :Money (argent)Ideology (idéologie)Constraint (contrainte, c'est-à-dire le chantage ou la menace)Ego (ego, c'est-à-dire l'amour propre, l'estime de soi)

Au moment de se demander comment ils vont pouvoir manipuler un individu qui les intéresse, les services secrets américains placent côte à côte, mentalement ou par écrit sur un tableau, un profil aussi complet que possible de celui-ci, et les quatre lettres de cet acronyme (ces employés et case officers cessent de se donner toute cette peine, l'expérience venant).Il ne faut pas déduire de la présence de l'argument Money que les services secrets américains se contentent parfois de payer pour obtenir ce qu'ils attendent d'un individu ; ce levier ne doit être compris ici que comme appât du gain, car la réalité sera fort différente de ce qu'espère le manipulé,ultimement.Nous l'avons déjà vu à propos de l'agent dont les services secrets font tout ce qu'ils peuvent pour ne jamais le payer. De même que la police qui rémunère ses indics en argent (liquide ou pas) est une légende bien entretenue devant cacher la pénible réalité d'un chantage à la peine de prison (il y a des exceptions, mais celles-ci sont extrêmement rares[105]). Seuls les « chasseurs de primes » sont rémunérés en échange d'un travail qui s'apparente à du mercenariat, et encore, dans les quelques rares pays où cela se pratique. Les cas de services secrets qui rémunèrent un transfuge[106] ou un informateur sont de très rares exceptions (moins d'un cas sur cent) qui ne servent qu'à tenter d'appâter d'autres possibles « candidats », et c'est bien pour cette raison qu'elles font toujours l'objet d'une certaine publicité chaque fois qu'elles se produisent.

Les services secrets manipulent donc couramment des individus, qui peuvent être des agents des services secrets ennemis, en usant de la promesse d'un gain financier qu'ils s'efforcent de faire durer aussi longtemps que possible, jusqu'à ce que le manipulé comprenne enfin qu'il ne sera jamais payé en échange du service qu'il a rendu ou de sa trahison. Les services secrets qui promettent un gain quelconque ne le font d'ailleurs jamais clairement, et s'arrangent plutôt pour que le manipulé, seul et de lui-même, en arrive à croire que sa récompense « ira de soi ».La manipulation par l'usage de motifs idéologiques s'étend fréquemment sur une très longue durée ; durant toute la vie du manipulé, souvent. L'usage de ce levier est fréquemment accompagné d'un recrutement sous un faux drapeau, lorsque le manipulé sait qu'il agit pour le compte d'un service secret - mais le faux drapeau peut fort bien être, plus simplement, dans le cas de l'intelligence domestique en particulier, un agent des services secrets qui se présente comme le cadre d'un parti politique, comme prêtre...La manipulation au motif idéologique réclame une évaluation préalable de celui qui doit être manipulé, laquelle peut être difficile à réaliser en raison de la grande diversité des vrais motifs, plus profonds, sur lesquels ont pris naissance l'alibi de la revendication idéologique - c'est la perception du motif idéologique qu'ont les psychiatres de presque tous les services secrets. 

Car L'engagement idéologique cache toujours une motivation plus personnelle, mais pas toujours pleinement consciente cependant, qui peut provenir d'un traumatisme généralement ancien. Il peut s'agir d'une déception personnelle que la personne refuse d'admettre parce qu'elle ne pourrait être perçue comme « noble » ou légitime, d'un besoin de revanche suite à une profonde vexation ou à une tromperie. Parfois, il s'agit simplement d'une déception amoureuse (incident auquel une idéologie ou une croyance peut être associée) ; très souvent, il s'agit d'une longue série d'échecs divers ayant donné lieu à une déchéance personnelle, lesquels ont peu à peu conduit la personne à renoncer à croire en elle-même, pour croire en un idéal perçu comme valorisant et réunissant d'autres individus,substitut de son ego (typiquement, cette dernière catégorie d'idéologies demeure insensible aux critiques qui peuvent lui être personnellement adressées, mais très sensible, au contraire, à celles qui sont adressées contre son idéologie et/ou contre ses partisans, perçus collectivement comme une« famille »). Enfin, il vaut de citer le syndrome dit « des 40 ans », qui est la déception que peut ressentir un individu, toujours vers cet âge, de ne pas avoir eu la promotion qu'il estimait mériter, et de voir d'autres employés pourtant plus jeunes que lui l'obtenir. Cette dernière catégorie d'individus est généralement très vulnérable à la corruption ; les services secrets le savent bien, et ils en tiennent compte lorsqu'ils s'intéressent, par exemple, à un employé d'une grande entreprise.La manipulation au motif idéologique est plus aisée lorsque l'idéologie de celui qui doit être manipulé se situe à une extrémité du spectre politique ou religieux.

La manipulation par la contrainte, ou chantage, est la plus fréquente ; ses modalités ont largementété expliquées aux chapitres précédents.La manipulation par l'ego, c'est-à-dire par la flatterie, est courante est aisée. Par exemple, il est possible de manipuler un journaliste en lui offrant la possibilité de traduire et publier ses articles dans un journal ou un magazine prestigieux, ou en lui offrant de s'exprimer sur une chaîne de télévision, ou encore, en lui offrant de publier son livre. Mais les services secrets jugent peu fiable la manipulation par le levier de l'ego, parce qu'un autre manipulateur peut facilement surenchérir et s'approprier à son tour et pour son seul profit les services du manipulé. C'est pourquoi le recours à l'ego est toujours suivi d'une seconde manipulation usant d'un autre levier.Les quatre leviers de la manipulation proposés par les services secrets américains ne couvrent cependant pas toutes les possibilités, car d'autres encore se sont avérées très efficaces, ainsi que nous le verrons à la lecture des exemples de manipulation qui suivent.Voici un cas, authentique, de manipulation d'un agent par un service de contre-espionnage qu'ils emploient depuis plusieurs années, mais qui avait décidé de se débarrasser de lui ; nous appellerons cet agent, « Pierre », afin de préserver son anonymat, et nous ne nommerons pas non plus le service secret qui l'employait.Pierre a commencé sa carrière dans une unité de forces spéciales de l'armée de son pays, puis il a été recruté, au bout de quelques années, par le service de contre-espionnage. 

Là, son travail consistait, pour l'essentiel, à effectuer des enquêtes et des vérifications de routine concernant diverses personnalités. Il effectuait ce travail « sur le terrain » sous des couvertures diverses, et non depuis un bureau. Durant la période de ses débuts, par exemple, le service de contre-espionnage plaçait Pierre comme chauffeur/garde du corps de dirigeants de grandes entreprises ; ce qui lui offrait une position privilégiée pour surveiller en permanence tous leurs agissements, déplacements et rendez-vous en dehors de leurs bureaux.Quelques années plus tard, on a confié à Pierre une mission de désinformation essentiellement dirigée contre les services secrets d'un pays ennemi, sous couvert d'une activité de recrutement pour les services secrets de son pays dont, toujours à cette époque, il ne dépendait pas puisqu'il travaillait toujours pour le service de contre-espionnage détaché de ces derniers.C'est durant cette dernière mission que s'est produit un incident que d'aucuns appelleraient sans doute un « cafouillage ». On avait demandé à Pierre de tenter de compromettre un individu soupçonné d'être un agent des services secrets d'un pays ennemi qui cherchait à se faire recruter par la communauté du renseignement. Nous appellerons ce suspect, « Paul ». Dans le cadre de cette mission, le service de contre-espionnage a fourni à Pierre un dossier très complet concernant Paul,ainsi qu'un compte rendu quotidien de ses communications (téléphone, Internet) et déplacements.

Pierre a ensuite ouvert un contact[107] avec Paul, directement et sans procéder à une tromperie quelconque. Et il s'est présenté à lui comme un recruteur des services secrets, explicitement.Mais Paul n'a pas réagi comme le souhaitait Pierre ; il n'a pas jugé ce dernier crédible, ainsi que les conversations qu'il a eues chez lui avec son épouse l'ont indiqué, puisque son appartement était sonorisé. Pierre ne s'est pas découragé, bien évidemment, et il est allé plus loin pour prouver à Paul Qu'il n'était pas un plaisantin.Tout d'abord, Pierre a organisé un rendez-vous dans la capitale pour présenter Paul à l'ex directeur de son service de contre-espionnage. Ensuite, il a invité Paul chez lui à dîner, puis, le repas terminé, il lui a démontré qu'il pouvait obtenir des informations confidentielles sur n'importe qui dans le pays ; Paul n'avait qu'à donner un nom.À partir de ce dernier événement, Paul a été d'accord pour revoir Pierre régulièrement, mais il est demeuré méfiant, ce que Pierre a manifestement manqué de voir, ou a interprété autrement ; les écoutes et sonorisation n'ont pas permis de clairement l'établir.Puis, Pierre a spontanément proposé à Paul de lui faire rencontrer deux autres personnalités : un officier de l'armée en charge des relations avec un pays étranger, et un présentateur de télévision très connu.Contre toute attente, Paul, au lieu de manifester l'enthousiasme qu'espérait Pierre, a trouvé qu'il y avait « quelque chose qui n'allait pas » dans tout ce que ce dernier lui disait et lui proposait, et c'est pourquoi il a décliné ces dernières offres.

Pierre a alors eu peur de voir son espion étranger lui filer entre les doigts, et d'être sanctionné pour cela par ses supérieurs. C'est pourquoi il a tenté quelque chose de plus audacieux, mais de bien maladroit aussi compte tenu de l'attitude de méfiance renouvelée de Paul.Un soir, à l'occasion d'un nouveau dîner, Pierre a proposé à Paul de lui échanger le fichier nominatif et biographique complet de tous les membres de la puissante société secrète du pays,« contre quelque chose qui pourrait avoir une valeur similaire ». Paul, décontenancé par cette offre invraisemblable, n'a rien répondu ; certainement parce qu'il ne savait réellement pas quoi répondre.Pierre s'est alors emporté, et a aussitôt cherché, cette fois-ci, à intimider Paul en lui montrant une liste de tous les sites Internet qu'il avait visités durant la semaine passée, et de toutes les conversations téléphoniques qu'il avait eues durant le même temps, tout en lui disant qu'il était suspecté d'être un espion à la solde du principal ennemi du pays, et que, conséquemment, il devait maintenant faire ce que « les services secrets » lui demandaient s'il ne voulait pas avoir de graves ennuis - Pierre avait tenté ainsi un recrutement hostile de Paul, ce qui devait faire de lui l'officier traitant de ce dernier.Le choc psychologique espéré eut bien lieu ; la suite de cette soirée tourna au drame. L'épouse de Paul, qui était présente ce soir-là, paniqua et se mit à pleurer. Paul, tout d'abord abasourdi, s'est mis en colère de voir son épouse être terrorisée ainsi, puis, contre toute attente, il a pris la chose de haut et est ressorti de chez Pierre en claquant la porte. 

C'est ainsi que le contact entre Pierre et Paul fut fermé, mais à l'initiative de ce dernier et au grand désarroi du premier.Les supérieurs de Pierre voyant combien celui-ci s'était avancé, et combien il s'était compromis,par son attitude, avec un individu qui n'était pas censé avoir connaissance de tout ce qu'il avait vu et entendu, en présence de son épouse de surcroît (un témoin, donc), prit peur que Paul puisse en faire des révélations aussi fracassantes que désastreuses. De plus, la preuve ayant été démontrée que Paul Était un individu qui ne se laissait pas facilement intimider, tenter d'aller plus loin dans l'espoir qu'il garde tout pour lui pouvait fort bien faire s'aggraver la situation au lieu de l'étouffer.Pierre comprit finalement son erreur ; il téléphona dès le lendemain à Paul, comme si rien ne s'était passé, sans faire la moindre allusion au malentendu de la veille, et donc sans présenter d'excuses ni à ce dernier, ni à son épouse qui avait effectivement été traumatisée (un agent des services secrets ne doit jamais s'excuser, sauf pour une petite bourde et comme une politesse de pure forme ; c'est une règle). Cette tentative, à nouveau bien maladroite, fut accueillie avec la froideur que n'importe qui pourrait imaginer.Aussitôt après cela, les supérieurs de Pierre lui ordonnèrent de ne plus tenter de reprendre contact avec Paul[108].À ce stade de ce petit récit, nous avons pu voir une tentative de manipulation, puis de recrutement hostile, qui ont toutes deux lamentablement échoué, non pas parce que l'agent qui en fut chargé avait mal étudié le dossier de sa cible, mais tout simplement parce qu'il s'était comporté de manière grossière. 

Cette manipulation avortée donna aussitôt lieu à une autre, réussie cette fois, qui surprendra certainement le lecteur non initié.Quelques semaines plus tard, le service de contre-espionnage confia une autre mission à Pierre,comme si la lourde faute qu'il venait de commettre avec Paul avait été oubliée et pardonnée. Il S'agissait, encore, de tenter de compromettre un individu : cette fois un officier du renseignement militaire[109] décrit comme un suspect qui cherchait à vendre des secrets à quiconque se montrerait assez sérieux pour prétendre les acheter.C'est avec la même hardiesse et la même promptitude que Pierre ouvrit le contact avec cet officier, puis lui proposa, tout aussi rapidement, de le mettre en relation avec « un de ses amis »,décrit comme un diplomate étranger. Précisons que le pays de ce diplomate était officiellement hostile, mais pas du tout en réalité pour quelques raisons diplomatiques assez compliquées.On pourrait dire que cette tentative de manipulation d'un officier du renseignement fut un remake de celle de Paul. Son issue fut différente, cependant, puisque, le jour même où Pierre proposa très directement - toujours chez lui, mais à l'occasion d'un déjeuner cette fois - à cet officier de servir d'intermédiaire dans le cadre d'un achat de secrets d'État, ce dernier se rendit aussitôt après dans la première gendarmerie qu'il trouva, pour y rapporter qu'il venait d'être approché par un espion étranger qui voulait lui acheter des informations classifiées.Pierre fut interpellé par la gendarmerie quelques heures plus tard, à la nuit tombante, puis fut remis au service du contre-espionnage qui l'employait depuis plusieurs années. 

Là, à la grande surprise dePierre, on procéda normalement à son interrogatoire, et aucun de ses supérieurs ne se manifesta pour dissiper ce qu'il prit pour un quiproquo. L'enquête établit que le diplomate étranger dont Pierre S'était présenté comme le « contact », alors qu'il ne l'avait jamais rencontré, existait bel et bien.Pierre fut accusé d'intelligence au profit d'une puissance étrangère et de tentative de corruption de fonctionnaire, plus d'autres accusations « accessoires ». La presse fut informée de l'affaire par le même service de contre-espionnage, à laquelle on décrivit Pierre comme un « hurluberlu » et un« personnage à la personnalité immature ». Il fut même précisé que Pierre racontait pour sa défense qu'il était un agent du contre-espionnage en mission pour son pays, et que, se prenant au jeu de ses fantasmes, il s'était finalement laissé embarquer dans une véritable histoire d'espionnage qui avait mal tourné, en raison du fait qu'il n'était pas un véritable agent secret entraîné pour ce genre de travail. C'est à peu près en ces termes qu'un grand magazine d'information brossa le portrait de« l'apprenti espion » de cette affaire.Pierre écopa de quatre vraies années de prison ferme, dont trois avec sursis, et sa carrière aucontre-espionnage s'arrêta abruptement là.Le service de contre-espionnage avait finalement résolu son problème avec Paul et son épouse, en désavouant et en discréditant son propre agent. 

Si Paul avait tenté de se plaindre que le service de contre-espionnage du pays avait injustement tenté de lui créer des ennuis et avait espionné les communications téléphoniques et ses consultations Internet, on pouvait alors lui répondre que ce n'était, en réalité, que « l'oeuvre d'un déséquilibré ».Pierre, sincèrement passionné par son travail, avait fini par se prendre un peu trop au rôle qu'on lui avait donné, son point faible et levier qu'utilisa le service de contre-espionnage. On avait à nouveau donné un rôle de manipulateur à Pierre dans le seul but de le manipuler, une éventualité qu'il estimait n'avoir aucune raison de redouter.Le lecteur a peut-être été surpris de remarquer que le sexe est absent de la liste des vulnérabilités dressée par les services secrets américains, alors qu'il est pourtant fréquemment utilisé par tous les services secrets. C'est parce que les services secrets considèrent aussi que l'on ne peut guère manipuler par cet unique moyen que les individus qui ne sont pas des espions entraînés. En effet, les services secrets s'efforcent de dissuader, par la méthode pavlovienne, toutes leurs recrues d'avoir des aventures sexuelles ou même purement sentimentales. Durant un recrutement d'agent ou d'employé des services secrets, la recrue est ponctuellement approchée par des agents hommes ou femmes qui ont reçu ordre de tenter de la séduire. Si la recrue répond favorablement à ces sollicitations, elle peut être « punie » de différentes manières qui peuvent aller d'un changement de comportement inattendu et brutal du « partenaire », à l'irruption soudaine d'un complice qui joue lerôle du conjoint ou du petit ami faisant un scandale. 

Ceci se répétera selon de nouveaux scénarios, et les punitions deviendront de plus en plus désagréables, jusqu'à ce que la recrue devienne inhibée en présence d'une personne séduisante et d'une opportunité d'avoir des relations avec elle. Aucune Justification, ni explication ni préalable à ces épreuves ne lui est fournie, conformément à la règle de l'implicite, et à celle des expériences de Pavlov ; son refus de céder à une opportunité de naturesexuelle doit être un réflexe conditionné, et non une obéissance à une instruction.Les services secrets ne renoncent cependant jamais à tenter d'approcher l'agent d'un service secret ennemi en usant de l'appât du sexe, parce qu'ils savent que celui-ci souffre souvent de sa solitude, d'une abstinence prolongée, ou de relations avec son conjoint légal qui se sont détériorées,et que, se croyant à l'abri de toute surveillance par ses chefs et par les services secrets du pays où il a été envoyé, il est donc susceptible de discrètement chercher quelque réconfort, ou d'attendre une opportunité. Car, pour prévenir le danger d'une approche de l'un de leurs agents et employés présentée sous la forme d'une « rencontre fortuite et simplement amicale », les services secrets utilisent la même méthode d'entraînement que celle utilisée pour le sexe. L'agent ne doit avoir pour ami que son officier traitant (même si cette relation lui est désagréable), et l'employé ses collègues de travail.

La manipulation durable par le seul recours au sexe ou aux sentiments demeure rare. Presque Toujours, lorsque celle-ci est employée, la maîtresse, l'amant ou l'ami envoyé par les services secrets doit ensuite introduire sa proie auprès d'une ou plusieurs autres personnes, lesquelles devront capturer définitivement et fermement. La maîtresse aura « un frère » trafiquant de drogue, l'amant« une épouse » perverse narcissique ayant des relations influentes, l'ami d'autres « amis » qui seront des policiers... Souvent également, la maîtresse prétendra être enceinte ou le sera vraiment ; un chantage sur le thème de l'enfant prendra alors place, assorti de demandes de pension alimentaire qui pourra, bien sûr, être payée d'une autre manière.À court ou moyen terme, le levier du sexe peut s'avérer payant lorsqu'utilisé avec un individu non initié; c'est à l'issue de cette compromission qu'un service secret peut se contenter de ce qu'il a eu,ou poursuivre la manipulation par le recours à un levier plus efficace.Un autre cas authentique de manipulation, de recrutement puis de compromission par le moyen de la seule amitié, fut rendu célèbre par l'auteur de romans d'espionnage John Le Carré, qui en fit le seul essai sur l'espionnage qu'il écrive jamais : il s'agit de l'affaire du colonel brigadier de l'Armée suisse, Jean Louis Jeanmaire, qui tomba dans ce piège d'un genre inhabituel, tendu par un agent du renseignement militaire soviétique en poste en Suisse sous couverture diplomatique[110].Terminons ce chapitre par quelques principes de manipulation, innocents au premier abord, maisque les services secrets utilisent couramment pour en faire des moyens hostiles ou des armes.

Lorsque deux personnes lient connaissance, elles se présentent, ainsi que la plus élémentaire des courtoisies le veut. Ces présentations s'étendent rapidement à divers aspects de la vie privée. L'agent Des services secrets (recruteur ou chargé d'une autre tâche) s'efforce toujours de poser le moins de questions possible à celui qu'il est chargé d'interroger. Au lieu de cela, il parle spontanément de lui même(du personnage qu'il a inventé pour lui, en vérité) à celui qu'il a approché, d'une part pour ne pas éveiller sa méfiance en lui posant des questions, d'autre part parce qu'il a appris que c'est un excellent moyen pour pousser une personne à parler spontanément d'elle-même.Par exemple, l'agent dira à sa cible, « oh, j'ai des tas de problèmes avec ma femme, en ce moment » ; sa cible pourra lui répondre, sans aucunement se douter qu'elle répond à une question très personnelle, « moi ça va, j'ai de la chance ; je m'entends heureusement bien avec la mienne », ou« eh bien, vous n'êtes pas le seul, si ça peut vous soulager ; pour moi c'est pareil ».La même astuce fonctionne avec les photographies. L'agent dira ensuite, « tenez, j'ai justement une photo d'elle dans mon portefeuille, regardez, celle-là a été prise peu de temps après notre mariage ».La cible pourra peut-être répondre, si l'agent est chanceux, « tenez ; j'ai une photo de la mienne aussi, regardez ; là, c'était avec nos deux enfants, l'année dernière. Nous étions dans notre maison de campagne à Saint-Malo ».Une astuce très similaire dans son principe fonctionne comme suit. 

L'agent aura pris soind'apporter, dans le café où il attend sa cible, un roman ou un essai traitant d'un sujet choisi à dessein.Il y a fort à parier que la cible dira à un moment, en voyant ce livre, juste pour entretenir laconversation, « qu'est-ce que vous lisez ? » L'agent répondra quelque chose comme « c'est le dernier roman de Stephen King ; vous aimez Stephen King ? » La cible pourra répondre, « non, ce n'est pas mon genre de lecture, je trouve ça trop violent à mon goût ; moi, c'est plutôt quelques auteurs classiques, Stendhal, Proust, Hemingway... ; mais je lis plutôt des bouquins sur la pêche ; j'aime bien la pêche ».Sans aucunement en avoir eu conscience, la cible aura livré en une seule phrase beaucoup d'informations très personnelles. Car le chef de cet agent pourra ensuite procéder à des déductions et associations d'idées, grâce aux noms d'auteurs et thèmes donnés.Cette dernière astuce est déclinée de beaucoup d'autres manières, afin que l'agent n'ait jamais l'air de poser beaucoup de questions.En se basant sur tout ce qu'ils auront ainsi appris d'un individu, les services secrets pourront alors organiser des mises en scènes que celui-ci ne pourra prendre que pour des hasards. Par exemple, à l'occasion d'un voyage de celui-ci en train, ils enverront un de leurs agents femmes s'asseoir près de lui, où là, elle sortira un roman d'Hemingway pour se mettre à le lire. Durant le voyage, il y a une forte probabilité pour que cet individu, ne serait-ce que pour tuer le temps, cherche à engager la conversation en usant du prétexte que cette femme lit un auteur qu'il affectionne tout particulièrement.

Le même schéma peut être reproduit avec deux agents qui auront une conversation à voix haute à propos d'un sujet qui passionne justement cet homme, etc., etc.Et si la cible ne « mord à aucun de ces hameçons », les services secrets pourront encore en faire des déductions intéressantes (ex. la cible est un introverti ou un grand timide, ou la cible semble avoir été entraînée, et donc elle peut-être un agent secret de quelque pays, ou elle peut avoir un autre intérêt à se faire discrète qu'il convient de découvrir).La présentation de ces derniers trucs de manipulation nous amène à une autre règle générale,commune à tous les individus : l'Homme ne manque jamais de remarquer ce qui le suit, voire de s'en inquiéter ; mais il ne prête jamais attention à ce qui le précède, et il s'en inquiète encore moins.Les services secrets le savent bien, et c'est pourquoi ils se débrouillent toujours pour connaître les habitudes de l'individu avec lequel ils souhaitent entrer en contact, et pour savoir, sitôt que possible,où il se rendra, afin de placer leurs agents sur son chemin, au-devant de lui, jamais derrière.Par exemple, si la cible a l'habitude de se rendre dans un café, les services secrets demanderont à un de leurs agents de fréquenter régulièrement le même endroit, et d'y créer, après quelque temps, des circonstances qui inciteront naturellement la cible à engager la conversation avec celui-ci.Voyons maintenant une autre caractéristique du comportement de l'Homme qui permet sa manipulation, et que les officiers traitants utilisent fréquemment avec leurs agents. 

Ce truc découle d'une forme d'interaction que certains spécialistes nomment « jeu non coopératif[111] », et il est quasiment imparable.Deux individus, que nous appellerons « Pierre » et « Paul », sont éloignés l'un de l'autre de plusieurs kilomètres, et ils entrent en communication à l'aide de leurs téléphones portables. Ils Décident de se rencontrer, et de convenir d'un lieu qui doit logiquement se situer à mi-chemin l'un de l'autre. C'est à ce moment précis que Pierre décide de mettre en place sa manipulation dirigée contre Paul.Pierre dit à Paul que la réception de son téléphone est soudainement devenue mauvaise et qu'il n'entend plus, ce qui est un mensonge. Paul tente tout de même de dire qu'il l'entend très bien quant à lui. Mais Pierre fait mine de ne pas l'avoir entendu, et, compte tenu de cette impossibilité que l'un puisse être compris de l'autre, il propose la seule solution logique restante qui leur permettra de serencontrer : il dit à Paul que, « si jamais il l'entend », il lui propose de venir le rejoindre là où il setrouve (ou à n'importe quel autre lieu de son choix) ; il va l'y attendre à défaut de pouvoir faire mieux.Paul ne pensera évidemment jamais que Pierre lui a menti pour le forcer à faire le déplacement seul, et à le faire aller à un endroit bien précis.Sachant que les espions sont confrontés quasi quotidiennement à la manipulation, activement ou passivement, ou les deux en même temps, le lecteur comprendra que les tentatives de manipulation d'agents entre deux services secrets rivaux peuvent être aussi subtiles que complexes, et que leur mise en place peut s'allonger considérablement dans la durée. 

De plus, toutes ces formes, méthodes et astuces étant connues de tous les services secrets du monde, ceux-ci doivent redoubler d'ingéniosité, non pas pour en inventer de nouvelles, puisque le nombre de leviers sur lesquels on peut agir est tout de même fini, mais pour rendre très difficilement détectable celles qui sont déjà connues. De véritables stratégies parfois très complexes et devant se dérouler sur de longues durées peuvent être mises en place, telle que, par exemple, une tentative de manipulation qui en cache un autre. Dans un tel cas, la cible, en évitant la première manipulation, peut se diriger d'elle-même dans le « filet » de la seconde[112].Beaucoup d'agents apprennent (souvent à leurs dépends aussi) que l'un des moyens les plus efficaces et les plus simples de ne pas se faire manipuler, est de ne jamais écouter les recommandations et suggestions d'inconnus - ce qui n'est pas toujours facile à faire, il est vrai.Beaucoup de petites manipulations des services secrets procèdent de l'usage du téléphone, c'est pourquoi les personnels et agents des services secrets ne décrochent jamais le téléphone lorsque l'écran de celui-ci n'affiche aucun numéro (ni n'ouvrent les mails envoyés par des individus qu'ils ne connaissent pas). Ils partent du principe, fort logique, que la personne qui cherche à les joindre laissera forcément un message sur la boîte vocale, si son appel est amical.Les services secrets ne font usage des mails, des réseaux sociaux et des forums en ligne que comme appâts ou accessoires de manipulations (moyen de communication d'un jeu non coopératif,dans ce cas), car on ne peut réellement manipuler que des esprits faibles ou des enfants par le recours exclusif à l'Internet - l'Internet demeure, avant tout, du point de vue des services secrets, un outil de surveillance et d'influence et non de manipulation.

Enfin, les tentatives de manipulations entre services secrets rivaux s'inscrivent souvent dans des contextes politiques, économiques et stratégiques, dont les enjeux sont considérables et peuvent affecter tout un pays. Dans ce cas, de grands penseurs et stratèges prennent les places des simples espions, et élaborent des manipulations d'une incroyable complexité, lesquelles se déroulent selon des durées qui se mesurent en années à plus de dix ans. De telles manipulations peuvent aisément être assimilées à des parties de jeu d'échec ou de go chinois, et c'est pourquoi les services secrets du XXIe siècle et des plus grandes puissances font simultanément usage de l'informatique, de la cybernétique (intelligence artificielle) et de la pensée humaine pour les élaborer, puis les poursuivre.

Les méthodes modernes d'élimination des individus.

1. l'élimination sociale.

Par « élimination sociale », il est entendu l'isolement social d'un individu par le recours au discrédit et la suppression complète de ses moyens économiques, le but étant qu'aucune personne intégrée dans la société ne souhaite développer ou poursuivre une relation régulière et amicale avec lui. Car un individu normalement intégré dans la société et éduqué ne souhaite jamais faire la connaissance d'un nécessiteux, même si celui-ci parvient à démontrer qu'il a un doctorat.L'élimination sociale prend toujours la forme d'un harcèlement dont celui qui en est la cible ne doit pas pouvoir désigner l'auteur à l'opinion publique, sinon au risque d'être aussitôt accusé de fabulation, de paranoïa ou de schizophrénie.Dans une large majorité de cas, les services secrets éliminent socialement un individu lorsque celui-ci, à la fois, est susceptible de porter atteinte à l'ordre public (passivement ou activement) et n'accepte plus (ou pas) l'autorité. Plusieurs cas entrent dans cette définition :- l'espion étranger qui a été repéré, mais qui refuse de coopérer (pour que l'on fasse de lui un agent double[113]) ;- l'agent ou l'employé des services secrets qui cesse d'obéir ou qui trahit ;- l'individu ordinaire ou la personnalité qui a connaissance d'informations compromettantes pour les intérêts de l'État, et qui est à la fois crédible et hautement susceptible de les révéler parce qu'il ne se soumet pas à la manipulation, ni n'est vulnérable à un moyen de pression ;- le militant politique ou religieux extrémiste qui, à la fois, est doué d'une capacité à convaincre et à rallier d'autres individus à sa cause, mais n'accepte ni la manipulation, ni de rejoindre un groupe politique officiellement reconnu ou toléré, ni n'est vulnérable à un moyen de pression efficace ;- l'agent ou l'employé des services secrets qui est puni pour une faute grave.

Tous les services secrets du monde pratiquent couramment l'élimination sociale, depuis fort longtemps dans quelques cas. Par exemple, des récits historiques attestent de formes de harcèlement particulièrement sophistiquées dirigées contre Voltaire par le roi de Prusse Frédéric II (dit LeGrand), lorsque ce dernier comprit que le philosophe et écrivain français avait été envoyé par Louis XV pour l'espionner et tenter de l'influencer dans sa politique[114]. Frédéric II n'avait pas voulu s'en prendre violemment et ouvertement à un homme aussi connu et « respectable » que Voltaire.C'est pourquoi il fit mettre à la disposition du Français une résidence, dont ce dernier ne manqua de remarquer, entre autres détails, que ses murs intérieurs avaient été peints en jaune, couleur de la honte et du discrédit en Prusse à cette époque, et que la nappe de la table de la salle à manger avait été brodée de renards, symboles de la trahison et de la fourberie. En sus de quoi Frédéric II avait fait suivre Voltaire par des agents partout où celui-ci se déplaçait en Prusse, et juste assez ouvertement pour que ce dernier puisse s'en apercevoir sans pouvoir le démontrer formellement.Typiquement, l'action d'élimination sociale d'un individu par les services secrets est toujours identique dans son principe, quel que soit le pays, puisqu'elle doit agir sur les leviers de l'esprit humain qui ont été expliqués au chapitre précédent, lesquels sont évidemment universels. Par contre,les formes que peut prendre le harcèlement qui en est l'outil peuvent grandement varier d'un individu à l'autre, selon les personnalités, cultures et intelligences de ceux-ci.

Par exemple, Voltaire ne pouvait se sentir harcelé que parce qu'il était assez cultivé pour savoir que le jaune était la « couleur de la honte », et le renard une représentation allégorique de la trahison et de la fourberie. Un individu aux intelligence moyenne et culture médiocre se serait estimé, au contraire, très heureux d'avoir une belle nappe brodée et des murs fraîchement peints, et il aurait pris Voltaire pour un fou s'il l'avait vu se lamenter ; un effet secondaire du harcèlement attendu par sonauteur.Au XXIe siècle, le service de contre-espionnage qui veut procéder de la même manière que Frédéric II - cela arrive fréquemment dans la réalité - pour faire savoir à un espion étranger, ou à un individu suspecté de l'être, qu'il ne lui est plus longtemps utile de tenter de le cacher, se débrouillera pour lui présenter ostensiblement, par un moyen ou un autre, un symbole en usage dans son service secret dont lui seul pourra comprendre le sens (exemples réels : un petit chien en peluche ou en figurine dans le cas d'un pays, un ours présenté sous le même aspect pour un autre, un oeil humain pour un autre encore...). L'opinion publique n'ayant pas couramment connaissance de cette symbolique bien hermétique, celui contre lequel elle a été employée ne pourra raisonnablement s'en plaindre, même à ses proches, sous peine d'être accusé d'avoir « l'esprit dérangé » - c'est précisément pour cette raison que les services secrets, et de contre-espionnage en particulier,procèdent ainsi.Ces derniers exemples et leurs explications permettent de se faire une idée assez précise d'une des marques caractéristiques d'un harcèlement conduit par des services secrets. 

Car il y en a d'autres,que nous allons bientôt examiner. Aussi, on comprend la nécessité pour les services secrets que leurs méthodes de harcèlement doivent toujours être particulièrement difficiles à démontrer par le harcelé.Les premières étapes de l'élimination sociale d'un individu par les services secrets sont souvent,sinon toujours, très similaires à celles du recrutement d'un de leurs employés ou agents. C'est-à-direque l'élimination commence d'abord par une privation plus ou moins rapide des ressources économiques de celui qui en est la cible. Ce dernier perd son emploi à la suite d'une manipulation ou d'une intervention quelconque, puis ne parviendra pas à en trouver un autre, quoi qu'il fasse, quels que soient ses compétences, expérience et diplômes, quelle que soit l'ingéniosité qu'il peut déployer pour ce faire - puisqu'il fait l'objet d'une étroite surveillance.Car, parce que la recherche d'un emploi, de nos jours, passe inévitablement par l'usage de l'Internet, du téléphone et du courrier, un service secret aura toujours toute facilité pour devancer, ou intervenir peu après, celui auquel il veut nuire au moment de cette démarche. Il n'existe pas de mot dans la langue de Molière pour nommer cette action « d'exclusion économique délibérée » (peut-être parce qu'elle n'est pas censée exister), mais il en existe bien un dans celle de Shakespeare :blacklisting (littéralement, mettre sur une « liste noire »). 

Cependant, il semble que la francisation de ce mot anglais soit en cours, avec l'apparition depuis quelques petites années du verbe« blacklister » (encore réservé pour l'instant à l'action d'exclure une personne d'une liste informatique de clients, de membres ou d'abonnées).Il existe d'ailleurs un cas de blacklisting qui est entré dans l'Histoire des services secrets, en partie en raison du nom de sa victime, celui de Klop Ustinov, père du célèbre acteur Peter Ustinov.Klop Ustinov était un grand intellectuel, passionné d'Histoire, qui fut utilisé comme agent double par les services secrets anglais durant la Seconde Guerre mondiale, et qui rendit d'immenses services aux Alliés. Cependant, comme Klop Ustinov n'avait jamais été qu'un agent, et non un employé des services secrets, et qu'en sus il avait eu connaissance d'informations dont la confidentialité se poursuivit bien après la fin de la guerre, les services secrets britanniques le blacklistent jusqu'à la fin de ses jours. On lui versa une pension calculée pour suffire à quelques besoins élémentaires, mais ce fut trop peu pour qu'il ne se trouvât obligé de vendre, volume après volume, tous les livres de sa grande bibliothèque. Voyant la dérangeante précarité de Klop Ustinov, en regard des importants services qu'il avait rendus à l'Angleterre, quelques cadres des services secrets tentent le lui faire obtenir une petite rallonge à sa pension, mais cette demande fut refusée. Klop Ustinov mourut dans un état de misère indescriptible, après avoir vendu tous ses livres auxquels il tenait tant.À titre de dédommagement pour les conséquences de ce blacklisting qui avait évidemment touché la famille de Klop Ustinov, les services secrets donnèrent un « coup de pouce » à son fils, Peter, qui devint ainsi un acteur connu et riche[115].

Il serait possible de présenter dans un tel chapitre de nombreux cas plus ou moins similaires à celui de Klop Ustinov qui se sont déroulés dans d'autres pays occidentaux, mais comme ceux-ci n'ont pas été officiellement reconnus comme tels, il est impossible de rapporter les noms de leurs victimes sans s'exposer à quelques poursuites. Et à cette liste, on pourrait ajouter celle de personnages qui se trouvèrent, ou se trouvent encore aujourd'hui, dans la très inconfortable situation d'être à la fois réfugiés politiques et détenteurs de secrets d'État. Les pays qui sont assez charitables pour accueillir ceux-là - souvent à la demande d'un pays tiers qui ne veut pas les prendre en charge pour des raisons diplomatiques - les privent cependant de tout contact avec la société, ce qui comprend, par conséquent, l'interdiction de travailler dans une entreprise ou même d'obtenir des revenus qui favoriseraient une inclusion dans la société.Revenons au cas spécifique de l'individu qui se trouve blacklisté dans le cadre d'une élimination sociale, et commençons par énumérer tous les moyens dont usent la plupart des services secrets pour se faire.En sus de la privation du droit au travail et de la surveillance des moyens de communication, on trouve une multitude de moyens et méthodes de harcèlement dont le but commun est d'user nerveusement la cible, et de la pousser à agir, encore. Un harcèlement par les services secrets est élaboré sur la base d'un fait qui a été maintes fois démontré par des chercheurs et médecins spécialistes de la neurobiologie, du behaviorisme, de la psychologie évolutionniste, de lapsychanalyse et des neurosciences en général[116]. 

Tout être vivant muni d'un système nerveux central réagit à l'agression par un comportement de défense (qui peut être passif ou actif, ou les deux). L'Homme n'étant pas équipé d'un moyen de défense passif naturel, comme le hérisson et le putois, il se défend par l'action contre l'agression, même lorsque cette action est peu susceptible d'être payante. L'Homme, qui est une créature intelligente parce qu'elle a un système nerveux central pourvu d'un néocortex[117] très développé, est cependant capable d'apprendre à différer sa défense ou sa riposte. Car grâce à son intelligence, l'Homme peut mieux évaluer qu'un animal la force et la tactique de ce qui le menace, et attendre un moment plus propice pour dissuader ou éliminer cette menace. Il peut tenter de fuir, aussi. Mais il est particulièrement rare qu'il soit assez fort à la fois nerveusement et intellectuellement pour différer à volonté une action physique de riposte.Par exemple, tout le monde a fait l'expérience, durant l'enfance en particulier, d'être tourmenté par de petites agressions telles que des moqueries, somme toute insignifiantes, mais répétées, jusqu'à ce que l'inévitable instant de la colère survienne - assortie d'une gifle, d'un coup de poing ou d'une autre action associée du même genre. Mais lorsque l'on est adulte et que l'on se trouve dans le contexte d'une société civilisée moderne, ce genre d'action peut facilement se solder par une sanction ; celle d'une plainte pour coups et blessures, par exemple. 

Pourtant, personne ne peut échapper à cette défense par l'agression, même les plus intelligents et les plus cultivés d'entre nous,parce qu'elle est l'expression d'une pulsion « préfabriquée » qui provient du cerveau reptilien[118],et non d'une réflexion élaborée dans le néocortex.C'est sur la base de cette connaissance scientifique que les services secrets ont construit une technique de harcèlement, et une seule. Car, on le comprend dès lors, c'est uniquement ce geste violent issu de la pulsion qu'ils cherchent à provoquer. On trouve donc deux actions et deux visées différentes dans une élimination sociale par les services secrets, complémentaires cependant.Il y a une bonne raison venant justifier la seconde action que nous venons de voir : le coût en moyens humains et techniques, très lourds, qu'implique l'élimination sociale d'un individu. Car tant que la cible de cette élimination ne se sera pas définitivement discréditée d'elle-même, en commettant l'irréparable sous l'emprise d'une pulsion, il faudra s'efforcer de le faire pour elle, ce qui demande d'infinies précautions pour que d'aucuns n'en viennent pas à s'en apercevoir et décident de prendre sa défense, de témoigner (contraindre la cible à se trouver en contact régulier avec des marginaux est une autre manière de la discréditer contre son gré).L'analogie de la toile d'araignée revient dans ce contexte, mais de manière peut-être plus évidente, car la métaphore de la mouche qui s'empêtre plus encore dans la toile à mesure qu'elle se débat de manière désordonnée, ses gestes étant commandés par la même pulsion de lutte, montre exactement ce qui arrive à l'individu pris pour cible d'un harcèlement organisé.Mais l'être humain, victime de sa propre intelligence supérieure, est réceptif à des subtilités que lamouche ne pourrait pas même identifier. 

Ces subtilités se présentent comme autant de mailles supplémentaires qui, en dépit de leurs apparentes faiblesses, empêchent encore la « proie » de concentrer tous ses efforts sur les plus solides. Ces faibles mailles sont le cynisme et le sourire qui accompagnent toujours l'acte de harcèlement le plus petit, le refus lourd de conséquences prononcé suavement, la mesquinerie récurrente, les comportements faussement enfantines, les promesses et les engagements révoqués à la toute dernière minute pour des motifs absurdes, mais également justifiables, les multiples « hasards malheureux » et autres funestes « coups du sort », les coups de téléphone bizarres ou absurdes « qui ne se produisaient que très rarement avant », les inexplicables« pannes » électriques, de chauffage, de connexion à l'Internet ou au téléphone, de réseau câblétélévisé qui ne se produisent que durant les émissions favorites, les attitudes inexplicablement hostiles des voisins et des commerçants, le voisin qui ouvre en grand ses fenêtres quand il fait des grillades à chaque fin de mois alors qu'il n'y a que des pâtes à manger à la maison, tandis qu'un autre empile, bien en vue, les boîtes de pizzas vides devant sa porte plutôt que de les mettre à la poubelle,et puis celui du dessus qui organise régulièrement de bruyantes fêtes avec ses amis, etc., etc.[119]On le remarque, tous ces faits sont anodins et bien ordinaires ; personne ne serait assez fou pour les prendre comme les preuves d'une quelconque agression. C'est juste l'extra-ordinaire fréquence avec laquelle ils se produisent, et leurs extra-ordinaires associations qui les font devenir, ensemble,un harcèlement indiscutable et puissant. 

Ils ont tous pour caractéristique particulière commune, et pour seul but de faire naître un sentiment de frustration dans l'esprit de celui qui y est exposé, en particulier lorsque ses ressources économiques ont été délibérément réduites au minimum vital, etlorsqu'il a été isolé socialement.Car la frustration, lorsqu'elle se prolonge indéfiniment, est un sentiment qui mène inévitablement :soit à la dépression, soit à des bouffées violentes, soit au suicide. La frustration est un barrage à l'action, elle produit exactement les mêmes effets, sur le long terme, que l'inhibition. Lorsqu'elle est entretenue et dirigée contre tous les besoins et centres d'intérêt d'un individu, la frustration est un emprisonnement virtuel, sans murs ni barreaux visibles, un emprisonnement de l'esprit que personne d'autre que celui qui en est la victime ne peut voir.Mais quand bien même la cible de cette forme très sophistiquée de harcèlement aurait l'intelligence de consigner dans un cahier toutes ces sources de frustration extraordinairement nombreuses, avec des dates permettant d'en démontrer l'anormale fréquence, celle-ci devrait encore prouver l'impensable : qu'un aussi grand nombre de gens n'ayant aucun rapport avéré les uns avec les autres se soient délibérément ligués pour agresser un(e) pauvre inconnu(e) sans emploi qui vit dans une situation de grande précarité. Seule une issue dramatique permettra peut-être de s'interroger sur la cause de cette succession d'improbables hasards, puisqu'elle sera inexplicable.Le témoignage d'un harcèlement par une autre personne que celle contre laquelle il est dirigé est un incident que redoutent évidemment beaucoup ceux qui en sont les auteurs. 

C'est pour ce genre de raison, une fois de plus, que les services secrets recrutent beaucoup de juristes et de psychiatres.C'est pour cette unique raison qu'un service de contre-espionnage a dû se résigner un jour à faire aller en prison et à discréditer l'un de ses propres collaborateurs, ainsi que l'a montré un des exemples du chapitre précédent.Il suffit d'une faute d'un agent des services secrets, d'une petite négligence ou d'une méprise, pour qu'un harcèlement soit constaté par une autre personne que celle contre laquelle il est dirigé. Et sitôt que cela arrive - les psychiatres des services secrets le confirment eux-mêmes -, il n'est raisonnablement plus possible de prétendre devant une cour de justice que deux personnes puissent avoir des « illusions » ou des « délires » absolument identiques.Dans les pays où le pouvoir des services secrets se manifeste plus fortement et plus souvent que ce que prévoient leurs constitutions, les cas d'éliminations sociales y sont anormalement fréquents aussi,proportionnellement pourrait-on dire. L'opinion publique finit toujours par le remarquer, et elle n'a d'autre alternative dans ce cas que d'ignorer délibérément « ces histoires de gens sur lesquels la colère des dieux semble inexplicablement s'acharner », par crainte de sanctions similaires, ou les dénoncer lorsqu'elle sent que cette initiative sera encouragée.Ces cas d'éliminations sociales discrètes, que seul un pouvoir ayant la puissance d'un État peut accomplir, sont bien souvent visibles pourtant. Car, fréquemment, un individu qui est discrètement poussé à bout selon les méthodes que nous venons de voir en vient à commettre des actes d'une extrême violence, que les media ne peuvent passer sous silence. 

Ici un père de famille sans histoire qui a tué tous les siens, a tiré des coups de feu sur les forces de l'ordre ou même sur de simples passants avant de se donner la mort. Ici un homme à l'intelligence et à la culture au-dessus de la moyenne qui s'est procuré une arme automatique pour ensuite tirer sur des dizaines de personnes,sans raison rationnellement justifiable ou explicable. Là un policier ou un militaire bien noté qui s'est soudainement mis à tirer sur ses collègues, sans explication ni raison apparente.Les arguments du « phénomène d'émulation » des jeux vidéo et des films violents ne parviennent pas à expliquer tous ces étranges phénomènes d'ultra-violence gratuite, fréquemment suivis du suicide prémédité de leurs auteurs, que la société ne connaissait pas il y a seulement trente ans et n'avait jamais connus avant cela.Tous ces cas n'ont pas nécessairement pour cause un harcèlement durable et délibéré, mais un examen approfondi de chacun de ceux-ci met fréquemment en lumière quelques indices troublants et concomitants avec l'hypothèse d'un harcèlement élaboré et discret, pour quiconque sait comment il est pratiqué et contre quels profils d'individus en particulier.Parce qu'à peu près tous les États modernes pratiquent l'élimination sociale, peu importe la fréquence, un consensus tacite s'est installé à ce propos. Tel pays se montre hésitant à dénoncer de telles méthodes dans tel autre pourtant son rival, simplement parce qu'il redoute que ce dernier puisse riposter en dénonçant les siennes, et réciproquement - il ne serait donc pas une bonne idée d'en parler. 

Tout au plus un romancier ou un cinéaste pourra-t-il les présenter à l'opinion publique sous la forme d'une fiction devant émouvoir les esprits.Cependant, la reconnaissance officielle de ces harcèlements d'État se produit de temps à autre,c'est-à-dire chaque fois qu'un gouvernement est détrôné par sa propre population. Les harcelés deces pays sont alors enfin admis comme tels ; ils peuvent librement raconter aux journalistes les sévices qui leur ont été infligés ; personne ne se risquera plus cette fois, à l'inverse, à les accuser de paranoïa, de délire ou de schizophrénie.Cette dernière explication permet maintenant de comprendre que les services secrets doivent aussi pouvoir s'en remettre à un consensus tacite avec l'opinion publique, les media, les autres pays et même les réseaux internationaux de coopération policière et de justice pour pouvoir couramment pratiqué l'élimination sociale d'individus.Concluons ce chapitre avec la présentation de deux anecdotes authentiques qui sont parties démissions d'éliminations sociales, et qui ne firent que s'ajouter aux nombreuses autres tracasseries qui furent infligées à leurs cibles.Cette première anecdote s'est produite dans un pays occidental, il y a quelques petites années, dans le cadre d'une mission d'élimination sociale d'un homme marié et père d'un enfant, dont les services secrets cherchaient à l'obliger à se compromettre pour le recruter comme agent.Des vigiles d'un supermarché avaient reçu la visite d'un officier de police, ce qui n'avait rien d'exceptionnel puisqu'ils entretiennent des relations régulières avec la police pour d'évidentes raisons. 

Ce policier les avait informés qu'un des clients habituels du supermarché était un voleur demarchandises récidiviste bien connu de la police. Le policier avait, tout aussi naturellement, fourni une description précise de ce voleur, et même la photocopie agrandie de sa photo.Ce n'était pas la première fois que ce genre de visite se produisait ; il ne s'agissait, selon toutes les apparences, que d'un travail de collaboration normal entre policiers et vigiles chargés de la surveillance d'un grand magasin.Connaissant cette précieuse information, les vigiles s'étaient par la suite empressés de suivre et de surveiller très ostensiblement ce voleur sitôt qu'ils l'avaient aperçu entrant dans le supermarché.Leur but était de bien faire comprendre à ce dernier qu'il était « repéré » et étroitement surveillé, et donc qu'il valait mieux pour lui qu'il renonce à tenter de venir voler quoi que ce soit ici. Il s'agissait là d'une technique ordinaire de vigiles, qui permettait à ces derniers de s'épargner une interception aux caisses, toujours désagréable.L'astuce avait bien fonctionné, en effet, car le voleur, intimidé, n'a plus remis les pieds dans ce supermarché après cela.Ce que ne pouvaient soupçonner ces vigiles, faits collaborateurs inconscients, c'est que le voleur dont ils s'étaient débarrassé n'en était pas un du tout. Tout comme ils ne pouvaient soupçonner que le policier qui leur avait « donné ce tuyau » avait agi ainsi dans le cadre d'une des missions confidentielles d'intelligence domestique, que ce dernier se voyait parfois confier. 

Ce policier, luimême,ne connaissait pas précisément la portée de cette mission à long terme, car il n'avait pas nonplus été chargé de mener une enquête sur cet individu. Il savait juste qu'il s'agissait pour lui d'une petite tâche confidentielle, fort simple à exécuter ; il savait que quelques-uns de ses collègues, des policiers spécialisés, devaient certainement se charger d'une enquête quelconque sur cet homme.Les services secrets, très intéressés par le recrutement de cet homme qui n'avait pas cédé à un premier recrutement amical, en étaient arrivés à l'étape du recrutement hostile, en prenant le parti de le harceler jusqu'à ce qu'il finisse par craquer nerveusement et se compromette. Du point de vue des vigiles du supermarché, comment ces derniers, maillons finaux d'une chaîne de collaborateurs inconscients, auraient-ils pu imaginer une pareille histoire ? Il est très probable que certains d'entre eux, s'ils avaient pu l'apprendre puis aller jusqu'à y croire, se seraient probablement refusés à embêter ainsi cet homme. Peut-être le policier aussi se serait-il montré moins zélé dans le cadre de cette mission ; de plus, il se serait posé plus de questions sur les missions suivantes de ce genre, ce qui n'aurait pas été bon, ni pour la discipline, ni pour la foi en la mission de protection de la population dont il était ordinairement investi. C'est bien pourquoi les services secrets avaient agi ainsi : en ne fournissant pas à ce policier les véritables raisons de leur demande.Cette seconde anecdote authentique de harcèlement par un service secret concerne cette fois une tentative de recrutement rapide par la contrainte d'un homme qui, lui aussi, avait déjà eu à subir toutes sortes de pressions en vue de l'affaiblir, et de le placer ainsi, à terme, dans une position si vulnérable qu'il serait prêt à tout pour se sortir d'une situation de grande précarité économique.

Cet homme, âgé de 35 ans, environ, et que nous appellerons « Pierre », était un spécialiste hautement qualifié et même reconnu dans sa profession (raison pour laquelle il intéressait tant les services secrets de son pays), mais il n'en était pas moins un chômeur de longue durée qui parvenait à peine à nourrir ses deux enfants ; une situation qu'avaient provoquée ces mêmes services secrets,on le comprend.Pierre vivait donc d'un revenu minimum versé par l'État, et logeait chez sa mère, elle-même réduite à la même situation de précarité que lui, afin qu'elle ne puisse l'aider à échapper à son recrutement.Comme Pierre utilisait l'Internet pour effectuer ses recherches d'emploi et envoyer ses candidatures, il était donc facile pour les services secrets de savoir quelles entreprises il contactait,et, selon le cas, soit de bloquer le transfert de ses mails à son insu, soit d'intervenir auprès des entreprises concernées pour que ses candidatures soient rejetées (en usant pour y parvenir d'une méthode assez similaire à celle du policier du premier exemple).Ne comprenant pas tous ces échecs, alors qu'en bien des circonstances ses profils et expériences correspondaient parfaitement, Pierre en était arrivé au stade de la dépression, ce qu'espèrent toujours les services secrets dans un tel cas de figure, nous l'avons expliqué en détail dans un précédentchapitre.La surveillance du domicile de Pierre consistait, assez simplement, en l'activation à distance de son téléphone afin qu'il serve de microphone-espion[120].

Sur la base de cette situation, une équipe régionale des services secrets élabora une petite opération, cependant assez compliquée pour ne pas pouvoir être reproduite par n'importe qui. Le Montage de cette opération impliquait, en effet, l'usage de plusieurs « ingrédients » et informations précises d'ordre psychologique concernant la victime, ainsi que nous allons le voir.Durant un samedi après-midi ensoleillé, Pierre déclara à haute voix, chez sa mère, qu'il partait dans un magasin d'articles de bricolage, qu'il nomma également, pour aller y acheter une boîte de joints de robinetterie.Sitôt que Pierre eut pris la direction de ce magasin distant de quelques kilomètres à bord de sa vieille voiture, l'équipe des services secrets, constituée pour cette occasion de cinq hommes, s'y rendit aussi à bord de trois véhicules, mais à toute allure pour y être avant lui.Lorsque Pierre pénétra dans le magasin, les hommes de l'équipe des services secrets prirent tout d'abord une disposition particulière, car, la plupart d'entre eux n'ayant jamais vu Pierre autrement qu'en photo, ils ne voulaient surtout pas courir le risque de le confondre avec une autre personne pouvant lui ressembler physiquement. Deux hommes de l'équipe déjà à l'intérieur du magasin,pensant avoir identifié leur cible, passèrent au test d'identification final qu'ils avaient spécialement imaginé pour cette circonstance. Dans l'allée d'un rayon, ils s'adressent spontanément à Pierre, en anglais, pour lui demander « si l'on pouvait trouver une manivelle ici ». 

Les hommes de l'équipe de surveillance avaient été informés que la cible parlait couramment anglais, et ils avaient donc considéré qu'il y avait fort peu de chances pour qu'une personne ne disposant que de notions d'anglais puisse comprendre ce que le mot manifold voulait dire. C'était bien vu, en effet, car la cible, en réponse, et en anglais aussi, demanda à celui des hommes qui l'avaient apostrophé de quel type de manivelles il voulait parler, et pour quel usage.Les deux hommes des services secrets commirent peut-être une bourde, en tournant les talons sans répondre un mot plutôt que de continuer à jouer leur jeu encore quelques secondes ; Pierre resta pantois en regardant ces deux jeunes hommes mal rasés et mal habillés s'enfuir littéralement vers la sortie du magasin.Quelques minutes après cette étrange rencontre, Pierre avait fait son achat puis s'en était retourné à sa voiture, garée sur le parking du magasin. Il n'avait certainement pas dû prêter attention au fait qu'une voiture s'était placée devant la sienne, juste avant d'atteindre l'intersection de la sortie de parking et de la route, et qu'une autre l'avait suivi jusqu'à cet endroit.Mais ce que Pierre ne pouvait manquer de remarquer, c'était la petite sacoche en similicuir encore posée sur le toit du véhicule devant lui, à bord de laquelle se trouvait un seul des cinq agents des services secrets : le chef du groupe. Cette voiture ne marqua pas le stop de sortie de parking ; bien au contraire, son chauffeur accéléra violemment pour s'engager sur la route tout en bifurquant à gauche dans un crissement de pneus.

Bien évidemment, sous l'action de l'inertie, la masse de la petite sacoche posée sur le toit lisse du véhicule glissa d'un coup sec, et tomba sur le bitume de la route ; on avait procédé à un essai pour en être sûr.Pierre arrêta son véhicule, puis en descendit pour aller ramasser l'objet, tout en faisant de grands gestes de la main en direction de la voiture de son propriétaire. Mais le chauffeur ne le vit apparemment pas ; de plus, ce dernier avait tant accéléré qu'il était déjà loin.Depuis derrière le véhicule de Pierre, deux autres des cinq hommes de l'équipe des services secrets observaient attentivement toute la scène à travers le pare-brise de leur véhicule.Seconde gaffe, peut-être : ces deux agents, assez jeunes aussi, jubilent et s'esclaffent en voyant leur « cible » ramasser la sacoche, puis, après une pause, remonter dans son véhicule. Car Pierre, en se retournant, avait remarqué ces deux jeunes hommes hilares qui le regardaient ; une réaction qui n'allait pas du tout avec les faits dont ils venaient d'être les témoins. Il marqua d'ailleurs une seconde courte pause, comme pour s'en étonner.Lorsque Pierre fut de retour chez lui, il ouvrit la sacoche, bien sûr, et son contenu l'intrigue beaucoup. Celle-ci ne contenait qu'un porte-chéquier dont seulement quelques chèques manquaient,plus un second, neuf, de cinquante chèques. Quelques talons de chèques, curieusement, n'indiquait des dépenses de vêtements et d'accessoires de sport ; de karaté, plus particulièrement. Rien à propos d'articles de bricolage.Dans le rabat du porte-chéquier, Pierre trouva la carte d'identité du propriétaire, dont les caractéristiques physiques ne pouvaient que le surprendre. Le visage sur la photo ressemblait beaucoup au sien, avec des lunettes en plus. 

La taille indiquée était la même que la sienne, à 3 centimètres près.Enfin, il trouva aussi une carte de visite portant un autre nom que celui du propriétaire du chéquier et de la carte d'identité. C'était une carte de visite professionnelle à l'en-tête du Ministère de la Défense du pays, son propriétaire était un major, et la carte disait que ce militaire était « responsable de support technique », sans plus de précision.Tout avait été savamment pensé par les recruteurs de Pierre, qui, ainsi que nous l'avons vu, se trouvait dans une situation de grande précarité. Le succès de cette opération devait utiliser le levier de la survie, par l'offre implicite faite à la cible d'utiliser ce chéquier et cette carte d'identité, en se faisant passer pour son réel propriétaire, ce qui eût été aisé considérant sa grande ressemblance physique avec ce dernier (même l'âge était très proche de celui de la cible).Sans doute Pierre considéra-t-il qu'il y avait beaucoup d'ambiguïtés et de choses étranges à propos des circonstances qui avaient entouré la découverte de cette sacoche : les deux jeunes« Anglais » qui lui avaient adressé la parole puis qui s'étaient enfuis avant même qu'il eût le temps de finir de leur répondre, et les deux autres qui l'avait observé en riant lorsqu'il avait ramassé la sacoche. Enfin, il y avait l'étrange contenu de celle-ci, astucieusement défini par les services secretspour qu'ils lui fassent songer à l'époque lors de laquelle on avait tenté de le recruter amicalement.C'était un psychiatre (également psychanalyste) des services secrets qui avait élaboré cette étrange mise-en-scène en prévision d'un prochain déplacement de Pierre, en spéculant qu'il devrait construire sa propre interprétation de cette série de petits événements et de ses objets, tous devant être perçus comme des « symboles » : chéquiers (survie, manger, réconfort), armée (autorité,puissance, pouvoir), major (père), karaté (défense, entraînement), carte d'identité aux caractéristiques identiques aux siennes (fuite, autre vie, double vie). 

Le psychiatre avait pensé que l'état dépressif de la cible, qui était connu, et sa situation de grande précarité qui durait depuis plusieurs années, génératrice d'un stress quotidien, devaient pousser celle-ci à agir impulsivement, et non par la raison puisqu'elle était forcément altérée. Le psychiatre avait songé à une tactique particulière qui disait, en substance, que : « puisque la cible connaît la cause de son infortune, un harcèlement par les services secrets (auxquels l'armée est étroitement associée dans ce pays), alors,voyant tous ces symboles qui convergeront vers l'hypothèse de l'armée ou de ces mêmes services secrets (dans son esprit), elle serait tentée de transformer sa trouvaille en une occasion de se venger des souffrances qui lui étaient infligées ». C'était une idée de manipulation très sophistiquée ; trop,certainement.En effet, l'idée d'utiliser un ou deux chèques était très tentante pour un homme se trouvant dans la situation de Pierre, ne serait-ce que pour « finir le mois convenablement » et « faire un plaisir à ses enfants » auxquels il ne pouvait jamais rien offrir depuis plusieurs années déjà, hormis des bonbons et des jouets achetés d'occasion. Après quoi, il n'aurait eu qu'à se débarrasser de la sacoche et deson contenu.La seconde surprise que l'on avait préparée pour la cible se produisit lorsqu'elle décida de chercher le numéro de téléphone du propriétaire du chéquier, pour le prévenir qu'elle avait trouvé sa sacoche. Les adresses des chéquiers étaient différentes de celle de la carte d'identité ; mais le nom, identique, ne figurait pas dans l'annuaire, ni à la première adresse, ni à la seconde. Car la cible se méfiait de la police, pour d'évidentes raisons dans son cas, très particulier, d'une recrue harcelée,et ne voulait donc pas tout simplement déposer cette sacoche dans un commissariat.

La cible téléphone à la mairie du lieu d'une des deux adresses, un petit village, pour tenter de prévenir ainsi le propriétaire de la sacoche. Ce dernier ne rappela finalement la cible que le lendemain, et rendez-vous dut être pris pour une restitution, après que l'homme eut tenté, en vain tant la suspicion et une évidente crainte s'étaient installées, d'obtenir que ce soit le major de la carte de visite qui prît cette tâche en charge. Et pour cause, nous allons le voir.Cette tentative de compromettre la cible n'avait pas marché, l'équipe de surveillance le comprit aussitôt. Sinon, voici ce qui avait été prévu, dans le détail.Connaissant fort bien l'adresse de celui qui avait « trouvé » sa sacoche, le chef de l'équipe des agents des services secrets n'aurait pas eu beaucoup de peine à « aider » la police à le retrouver et à le confondre, peu après qu'un premier chèque portant une signature imitée aurait été utilisé. Mais,avant d'en arriver là, la cible aurait été contactée par le major (celui dont le nom figurait sur la carte de visite), lequel lui aurait proposé le marché suivant : se faire arrêter par la police, ou devenir une« recrue » obéissant au doigt et à l'oeil en échange de la seule promesse de ne pas être inquiétée.

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